« Le ventre de l'Arc »

Le RP prend place dans les caches d'Aedelrik... lesquelles sont accessibles à ceux qu'Aedelrik laisse entrer. Ce topic n'est donc pas libre, mais les MPs sont autorisés si intéressés :)

[ Hors timeline ]

Lanre


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(vide)

Ses dent grincèrent, tandis que ses traits se brisaient, que son visage se paraît d'un masque de douleur tantôt sobre, tantôt violent, comme s'il avait été grimé par un jeune enfant. La nuque brisée, l'échine courbée et le torse cassé, le Ceald laissa sa jambe droite glisser de quelques pouces vers l'avant, pour mieux stabiliser son bras. Rejetant sa tête vers l'arrière, non sans balancer sa crinière en arrière, il se saisit de la large fiole de gnôle à désinfecter avant d'en embrasser le goulot. L'alcool à brûler enflamma l'intérieur de sa gueule, sa langue, son palais, avant de glisser dans sa gorge, avant d'incendier ses tripes d'un enfer froid, polaire et mesquin. Déposant ensuite la bouteille sur le petit tabouret qu'Aedelrik avait mis à sa disposition, il attrapa l'aiguille incurvée et se força à la tenir de sa main mutilée, sans chercher à retenir le grognement qui lui mordait les lèvres. Le voleur l'en avait assuré : l'acier avait été stérilisé. Mais le paria savait d'expérience que la moindre petite erreur pouvait signifier, plus tard, de grosses complications. Attrapant une seconde fois le casse-poitrine, il laissa couler quelques gouttes sur l'éperon, avant de porter la flasque jusqu'à la plaie. La gnôle inonda son bras, lui tirant un râle sourd, étouffé, et le secouant comme une poupée de chiffon. Frissonnant de la tête aux pieds, le maraudeur grogna, une fois de plus, avant de ramener une deuxième fois la bouteille jusqu'à ses lèvres. L'alcool glissait nonchalamment sur son menton, rongé par une barbe sale, quand il abandonna enfin sa choppe improvisée, encore groggy, sonné par le mal.

Glissant tant bien que mal le fil de boyau séché dans le chas de l'aiguille, le chasseur appuya plus encore son avant bras sur son genou pour s'assurer de ne pas trembler. Après plusieurs essais infructueux, il parvint enfin à ses fins. La petite pique d'acier recourbé prête, le vaurien attrapa une fois encore l'eau-de-vie, la langue a nouveau sèche.  Ça n'était pas la première fois qu'il lui fallait se recoudre lui même, et ça n'était pas la première fois qu'il vivait cela comme une épreuve. Il en savait la nécessité et le faisait sans hésiter... mais pas sans rechigner. Changeant l'aiguille de main, il affirma sa prise dessus, s'appliquant tant que faire se pouvait. Portant le poinçon jusqu'aux abords de la coupure, profonde d'un pouce environ. A la lueur du brasier qui éclairait la petite pièce de pierre brune, l'alliage se décorait joyeusement de mille et une nuances de rouge, d'orange et de jaune. « D'abord, percer aux alentours de la plaie... », se remémora-t-il, machinalement, déposant l'acier sur sa peau fatiguée. Le contact froid et humide lui tira un nouveau frisson, avant qu'il ne commence à appuyer. « Ungh.. — », siffla-t-il, enfonçant la griffe un peu plus encore, jusque perle son sang, rougeoyant à la lumière du feu qui illuminait la pièce. Une deuxième fois, il réitéra son ouvrage, toujours sans aller jusqu'au chas de l'aiguille, veillant bien à ce que le fil ne touche pas le sang. Ses dents crissèrent, dans un silence presque assommant. Une troisième fois, il entreprit de percer, procédant de façon méthodique, aussi rapide qu'il le pouvait. Peu à peu, les rivages de la plaie se couvraient de multiples rigoles carmins, toutes plus fines les unes que les autres. Il grogna, déposant l'aiguille près de la bouteille, sur le plateau de chêne du tabouret, il attrapa l'un des deux pans de lin blanc qu'il avait pu trouver. Ceux-là aussi avait été nettoyés, mais une fois encore il préféra passer un peu du pousse-au-crime sur le tissu.

Doucement, il essaya de nettoyer chacune des ouvertures qu'il avait taillé tout du long de son avant-bras. Sans véritablement quitter celui-ci des yeux, il chercha après l'aiguille, sans la trouver immédiatement : ses doigts meurtris trouvèrent d'abord le récipient qui lui avait déjà arraché la gueule à deux ou trois reprises, il n'aurait su dire. Sans tergiverser plus d'une demi-seconde, il rejeta encore la tête en arrière, soulageant une fois de plus son gosier déjà trop brûlant. Abandonnant encore sa compagne d'un soir, Lanre retrouva enfin son amante de fer et de fil. Grognant à l'avance, conscient qu'il n'avait fait qu'assouplir la plaie pour éviter que les boyaux cousus n'imposent trop de tension à la cicatrice. Sans un mot  – il n'avait jamais été des plus causants –, le trappeur reprit son ouvrage. D'un geste sec, il perfora le premier bord de la plaie, s'assurant bien que l'aiguille remonte suffisamment haut en dehors de la boucherie qui lui servait de giron. Serrant les dent, il pinça la tige entre son pouce et son index, avant de tirer durement. Avant qu'il ne réalise quoique ce soit, le rouquin se brisa en deux, manquant de chuter de son propre tabouret. Son visage se déchira en un rictus sombre alors qu'un râle perçait ses lèvres entrouvertes, sans parvenir à emmètre le moindre son. La sueur poissait ses tempes, son front, collait les crins roux qui parsemaient sa gueule cassée. La petite griffe toujours entre les deux doigts, il réalisa enfin qu'il avait tiré fort. Probablement trop : le filin en tripes séchées n'était pas resté bien longtemps dans la plaie. « Fe'dr... — », souffla-t-il, haletant comme un chien malade, laissé pour compte sur les terres de feu. Ses poumons le brûlaient comme s'il avait passé plusieurs minutes sous l'eau, à chercher l'air. Avec difficulté, il releva la tête, jetant un coup d’œil à cette salle qui lui semblait devenir une nouvelle geôle. La prison de sa souffrance, toute bâtie de roche d'un marron jaunissant à l'éclat des braises rougeoyantes. Son cœur battait la chamade. Simplement meublée, la pièce ne comptait qu'un bureau de bois vermoulu installé contre le mur à l'est de l'entrée à laquelle avait été fixés d'imposants rideaux d'un tissu sans doute plus lourd qu'un cuir léger. Lentement mais sûrement, son souffle lui revenait, sans qu'il ne s’aperçoive, encore sur le fil du canif. Face au bureau, deux râteliers d'armes, eux aussi vermoulus, dénués du moindre acier. Juste sur la gauche, une grande alcôve dans laquelle les flammes rouges léchaient avidement quelques bûches et illuminaient toute la mansarde souterraine. Un peu plus loin, deux tabourets. Sur l'un, un homme torse-nu, arc-bouté et visiblement assez tendu pour craquer comme le ventre d'une arbalète fatiguée. Sur l'autre, une bouteille de verre gris, à moitié vide, deux bandelettes de lin blanc et un coutelas de ferraille.

Son souffle finit par lui revenir, tandis que son pouls regagnait doucement la sérénité qu'il avait perdu. Les tambours de guerre continuaient à battre ses tempes, certes, mais au moins les cors ne vrombissaient-ils plus... Il soupira, se hissant tant bien que mal jusqu'à retrouver un semblant de dignité. Le sang barbouillait sa panse, maculait la ceinture abdominal, sans monter plus haut que le nombril. Dans un geste presque trop brusque, il récupéra le lin qu'il avait lavé à la gnôle un peu plus tôt et reprit du début, non sans se mordre la lèvre. Au sang.

Il tira sur l'aiguille, l'extirpant lentement de l'entaille, après avoir percé une seconde fois la plaie. Avec plus de prudence et de délicatesse qu'il n'en était nécessaire, il ramena le fil entre les deux rives de chair, avant de perforer son avant-bras une deuxième fois, grossièrement en face du premier trou. Les boyaux de cheval – il lui semblait que c'en était, mais en vérité, il n'aurait absolument pas su dire d'où lui venait cette intuition – glissèrent dans la deuxième ouverture, frottant les entrailles, déjà à vif. Il grogna, peinant à retenir un sursaut. Son poing droit se referma, comme s'il s'apprêtait à cogner un adversaire invisible, jusqu'à ce que chacune des jointures perdre de ses couleurs. Le râle rauque qui couvait dans sa gorge semblait monter aussi vite que ne tombait la foudre sur la mer battue par l'orage. Pinçant l'aiguille jusqu'à en pâlir, il perça une troisième fois, sur le même flanc, pour réaliser un « U » couché, barrant la cicatrice. Sectionnant les fils d'un coup de couteau sec, il noua les deux extrémités du fil, s'aidant tant bien que mal de ses dents pour maintenir ce qu'il ne pouvait conserver d'une main. Passé le premier point, le vagabond avala une nouvelle gorgée de vitriol, l'odeur du sang dans les narines, le goût du fer dans la bouche. La nuit promettait d'être longue.


Aedelrik


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(vide)

Lorsque Aedelrik revint dans le monde des vivants et des éveillés, il ne remarqua d'abord que la lumière du jour qui perçait à travers l'ouverture du plafond de la grande salle, lumière qui assaillait ses yeux fatigués avec l'acharnement bestial d'un chien sur un os à ronger. Il murmura d'agacement, se retourna sur son lit pour embrasser son oreiller, quand la douleur de son épaule le tira violemment de l'état de grâce du dormeur encore à moitié enlacé par Morphée. La tension qui le parcouru aussitôt fut supérieure à n'importe quel chant du coq et il se redressa sur le coup, le souffle brusquement coupé.

« Comment tu te sens ? »

Doklas s'était retourné sur sa chaise, et l'observait avec un soucis sincère. Le Renard se souvenait encore de l'expression de son vieil ami lorsqu'il était rentré au repaire, la veille. Trempé, épuisé par une longue course poursuite entre le château et la ville, puis dans le dédale de ruelle du quartier des artisans... Le tout avec une flèche fichée dans l'épaule. Cette fois, Aedelrik n'en avait pas réchappé de beaucoup. Sa fuite réussie, il la devait à son expérience, à un petit bout de talent, et à beaucoup de chance. Au final, le bilan restait positif... Excepté si on comptait dans la balance le savon que lui avait passé le vieux avant de le soigner. Le voleur ne se souvenait pas s'être déjà fait autant engueulé ! Comme un vrai gamin, en plus ! La tête baissée, l'air minable, ne manquait que la morve au nez ! Mais enfin, Doklas s'était finalement attelé à le rafistoler. Non sans le traiter d'idiot à chaque coup d'aiguille et aussi sans drogue anti-douleurs. Renard sentait presque encore la main experte mais rude du vieux médecin lui arracher soudainement la tête de la flèche de l'épaule... Pas un moment très jouasse, mais sans doute Doklas cherchait il ainsi à lui faire la leçon. En vain, malheureusement. Aedelrik sentait que sa pauvre carcasse connaîtrait la caresse d'autres traits d'ici la fin de ses jours.
Tout en se passant une main dans ses cheveux tandis que son regard cherchait une chemise présentable, le voleur répondit alors d'une voix enrouée,


« J'ai rêvé qu'un cochon bleu me poursuivait dans un couloir de la prison du château, et je ne pourrais pas mener de gigue avant un moment mais sinon... Ca va. Merci. Et Lanre ? »

« Ton ami a refusé mon aide. » Répondit un Doklas que le rouquin devina un brin boudeur, peut être vexé par ce qu'il lui racontait. Devant l'expression perplexe du renard, il ajouta, « Soi disant qu'un homme doit savoir s'occuper de lui même, seul. Je me demande de quelle trou paumé de très haute montagne il débarque pour penser ça ! »

« C'est bien pire que ça. Il vient d'une île, du genre loin vers les frontières du monde connu. Ne prends pas mal son refus. Il ne pensait sans doute pas à mal. »

Le médecin grogna mais sembla accepter l'explication et il revint à son ouvrage. Aedelrik, lui, s'empara d'une tunique rouge qui devait appartenir à Yoren mais qui lui allait assez bien - assez pour qu'il se sente autorisé à l'emprunter dés lors qu'il s'en sentait l'envie - et entreprit de se lever. Bien que ses mouvements restaient difficiles, il remarqua vite que la blessure l'handicapait beaucoup moins qu'il ne l'aurait prévu. Talent de Doklas ? Plaie peu profonde ? Peut être. Mais une autre raison lui vint à l'esprit, qu'il écarta aussitôt. Non pas qu'elle fut invalide, mais elle le dérangeait. Il n'aimait pas se rappeler ce qu'il était dés le réveil.
D'autant qu'un autre problème allait se poser. Inconsciemment, le voleur avait espéré la veille en s'endormant que Lanre s'en irait durant son sommeil, et que donc, ils n'auraient pas tous les deux - ou plutôt tous les trois - un moment assez déplaisant à vivre. Sauf que l'autre rouquin était toujours là, et visiblement encore pour un moment étant donné la mine peu ragoûtée du vieux lorsque Aedelrik lui demanda,


« Comment il s'en sort ? »

Une grimace assez négative lui répondit et le renard compris qu'une fois encore, l'orgueil Ceald ne facilitait pas les choses. Il s'approcha donc du coin de la grande salle où se tenait la porte qui la séparait de la chambre où s'était isolé Lanre, et écouta discrètement à la porte. Du juron qu'il entendit clairement et du souffle irrégulier qu'il capta, il déduit que le gros oeuvre ne serait pas forcément vite fini. Lui même dut se retenir de maudire les Dames vicieuses en s'éloignant de la porte. Décidément, les tisseuses de destin restaient inflexibles dans leur obstination à lui pourrir la vie. Et bien, puisqu'il fallait affronter la tempête... « ... Attendons la tempête. »

Il ouvrit alors la porte et déclara, d'un ton qui se voulait jovial mais qu'il ne put empêcher de sonner un peu faux. « Alors vieux, comment ça se passe ? Tu vas t'en tirer ? » Et avant que le Ceald ne puisse vraiment réagir, il enjamba la faible distance qui les séparait, et examina la blessure. Pas joli. Du tout. Du genre à faire rendre son déjeuner à un estomac sensible, ou à faire baver les vautours, au choix. Il tendit alors sa bouteille au rouquin et déclara, « T'es vraiment con de vouloir le faire toi même. Doklas a des doigts de fée. Quelques minutes et ça serait réglé. » Sur la table, il avisa une autre bouteille, considéra l'étiquette laconique qui présentait son contenant comme du vin rouge de raisin. Sceptique mais désireux de soulager sa gorge sèche, il but à longs traits sur ce picrate sans saveur ni subtilité. Un tord boyau immonde. Décidément les Cealds n'avaient aucun goût.
Le voleur observa un long moment son ami s'acharner avec son aiguille. Le spectacle était assez déplaisant, et ce même si il avait un temps ardemment désiré le voir en baver ainsi. D'ailleurs en parlant d'en baver...
« Faudra que tu m'explique un jour comment vous vous en êtes sortis, mon pote. Parce que déjà pour moi, c'est un putain de mystère ! Alors pour toi et l'autre, dans l'état où j'ai dû vous laisser... Enfin, ton état, on va dire que c'est une revanche du destin ! Tu sais, pour quand tu m'as... »
Aedelrik passa, sans y réfléchir, une main sur les traces de coups qui marquaient encore son visage. Un souvenir laissé par son ami, relativement peu de temps auparavant, à l'échelle d'une vie, mais qui lui semblait dater d'avant hier, au plus loin. Il s'arrêta néanmoins de parler avant que de mauvais sentiments ne refassent surface. Un long moment, il lui en avait voulu. Beaucoup. Pour lui avoir volé son suicide, puis l'avoir lourdement défiguré à coup de planches de bois, et ridiculisé devant un large public. Et puis, c'était son ressentiment qui l'avait poussé vers la forêt au sud, et vers... Alors qu'il achevait son travail, le souvenir acheva de lui imposer le silence. Tout joyeux qu'il était, cela lui rappelait trop la tornade qui n'allait pas manquer de dévaster ce lieu, sous peu. « Tu sais, l'arc que tu m'avais demandé de vendre une fois.. et be... Nan laisse tomber. Bon, je te laisse finir. Des affaires à régler. » Et il quitta la pièce, profondément insatisfait de lui même. Mais après tout, il ne faudrait pas longtemps pour que le Ceald soit au courant.

Car il savait qu'elle viendrait. Avant de partir pour le temple du temps puis le château, Aedelrik lui avait fait parvenir un message. Il avait même confié cette tâche à Kaaris, son associée Sheikah qui n'avait pas sa pareille pour retrouver quelqu'un, où qu'il se trouve. Normalement, la missive était arrivée à bon port et si sa destinataire n'avait pas exagéré son attachement à cette affaire, elle ne pouvait pas manquer le rendez vous. Après tout, elle avait tant insisté...
Pour conjurer le trac, le rouquin sortit déjà sa petite surprise d'un coffre où il l'avait soigneusement placé, avec cette fois interdiction à quiconque de sa bande d'y poser ses mains, qu'elles fussent sales, ou propres comme la culotte de Nayru ! Mettre la main dessus s'était avéré une tâche trop ardue pour qu'un indiscret ne foute tout en l'air. Il observait en détail l'objet quand le heurtoir de l'entrée frappa, trois fois. C'était le code prévu, pour un invité qui n'avait jamais pénétré dans le repaire. Pourtant, Aedelrik resta là encore quelques instants, tentant de se rassembler au mieux, pour faire bonne figure, pour en imposer dans son rôle, pour tenter de ne pas finir engloutit dans la tempête qui s'annonçait.


« Tu sais, quelqu'un a fr... »

« Je sais. » Le voleur s'en voulut aussitôt de sa réponse trop brusque à son vieil ami, aussi lui accorda t'il un sourire franc, où se lisait déjà de la lassitude. Mais enfin, à parole donnée, promesse à respecter... Aussi se leva t'il et, à force de pas lourds et lents, il parvint finalement devant l'escalier menant au dehors. Alors, sa main se posa sur l'anneau qui pendait à une chaîne et, d'un geste fatigué, il poussa sur celui ci. Aussitôt, le mécanisme d'ouverture s'activa et le tombeau qui masquait l'entrée de son repaire se recula devant son invitée pour lui dévoiler l'accès aux cryptes.

« Keith ! Comme je suis heureux de te revoir ! Comment vas tu ? »

Il avança à sa rencontre en ouvrant grand les bras et affichant un sourire qui n'avait pas grand chose de forcé. En fait, Aedelrik se sentait effectivement très joyeux de retrouver celle qui lui avait sauvé la vie et dont il appréciait la compagnie. Mais comme toujours, une vérité à moitié cachée tient un peu du mensonge et il aurait aimé lui avouer que leur rencontre eut été plus agréable dans d'autres circonstances. Il se retint au dernier moment de lui donner une étreinte ; ce qui se faisait en ville pouvait être mal interprété par ceux qui n'y passaient que rarement et il ne voulait pas l'inquiéter.

« Si tu es là, c'est que tu as eu mon message ! Et bien tout est comme je t'avais écrit. Mon ami est en ce moment mon invité, c'est l'occasion rêvé pour que tu le rencontre. » Son visage se fit plus dur, son regard moins enjoué, « Mais je te rappelle : pas de sang, pas de violence. Je ne livre pas un ami à ta vindicte. Je t'offre une occasion de rencontrer ton voleur et d'apaiser la querelle entre vous. Si seulement il s'en souvient... »

S'en retournant, il lui fit signe de le suivre. Et à mesure qu'il descendait les marches, Aedelrik se retrouvait en proie à un doute affreux. Etait ce vraiment une si bonne idée ? C'est bien le moment de se poser une telle question, pensa t'il aussitôt. N'empêche, et si Keith ne parvenait pas à se contenir ? Et si c'était Lanre qui ne supportait pas de se retrouver dans cette situation ? Le voleur s'adressa à nouveau à la louve une fois en bas des escaliers, en camouflant sa nervosité sous une couche d'ironie,

« Au fait, il n'est pas du tout au courant. Donc évite de lui rentrer dedans. »

Puis, la conduisant au centre de la salle, il fit signe à Doklas d'aller travailler dans un endroit plus calme. Oh bien sur, la grande salle était alors l'endroit le plus paisible de toute la ville. Mais quand à savoir pour combien de temps... « Prête ? » Demanda t'il à Keith, tout à son espoir qu'elle se dégonfle et qu'il n'ait pas à jouer le rôle du doigt entre le marteau et le clou. De tous ceux qu'il avait dû jouer, il détestait déjà celui là plus que beaucoup d'autres.


Keith Lyne


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Sa compagne d'un soir avait bien de la chance de dormir aussi paisiblement. Keith n'avait pas réussi à fermer l’œil de la nuit, trop impatiente pour arriver à se calmer. Se relevant lentement, ses yeux passèrent un dernier instant sur son amie endormie. Elle glissa la main dans ses doux cheveux. Presque auburn, ils retombaient sur ses épaules. Les seins nus de la jeune femme se soulevait lentement au rythme de sa respiration. Keith posa un baiser sur son front avant de quitter le lit.
Malgré toute le délicatesse dont elle fit preuve, la demoiselle qui l'avait hébergée ne dormait sans doute que d'un œil. La chasseresse entendit dans son dos une voix encore ensommeillée.


"Belle vue. Tu pars déjà ?"

La rouquine eut un sourire aux lèvres. Elle serait volontiers restée plus longtemps mais elle avait déjà expliquée à son amie la veille ce qui l'amenait en ville.

"Je t'en ai parlé hier, c'est quelque chose que je ne voudrais pas rater."

Elle avait évoqué l'histoire de façon très vague, évidemment, mais suffisamment pour que son hôte comprenne le besoin d'arriver à l'heure au rendez-vous.

"À ta guise. Mais tu es la bienvenue quand tu veux, mon mari ne rentrera pas avant un moment..."

Keith sentit son cœur se serrer en devinant la tristesse qui se cachait derrière ces paroles malgré leur air détaché. Elle connaissait assez Elene pour savoir qu'elle devait se sentir très seule. Elle avait quitté sa ferme et sa famille uniquement pour épouser cet homme qui l'avait ensuite abandonnée pour l'armée. Keith savait que c'était une question d'argent qui avait motivé son enrôlement, et que la jeune femme était toujours aussi amoureuse qu'au premier jour. C'était ce dernier détail qui l'empêchait d'entreprendre les quelques jours de voyage qui la séparaient de ses anciennes connaissances : que se passerait-il s'il rentrait et qu'elle n'était pas là ? Ça n'empêchait pas la chasseresse d'être en colère.

Elle se tourna face à son amie, abandonnant un instant les fourrures qu'elle s'apprêtait à enfiler, adoptant un ton plus calme qu'elle ne l'était.


"Mais il rentrera. J'en suis sûre, dès que possible. Il fera attention. Pour te revenir."

Elle n'y croyait pas vraiment, ou en tout cas elle n'en savait rien, et la jeune femme qui lui faisait face n'était sans doute pas dupe non plus mais à son sourire elle devina que c'était ce qu'elle avait besoin d'entendre.

"Merci... C'est quoi tout ce raffut dehors ?"

Cette fois la louve termina de s'habiller avant d'aller jeter un coup d’œil à la fenêtre. Pour le peu d'occasions où elle venait en ville, elle avait rarement aperçu autant de soldats dans les rues.

"Aucune idée... mais ils ont l'air sacrément remontés. Je ferais mieux de me dépêcher, ça risque d'être un peu plus compliqué que prévu."
***

Les ruelles étaient plus froides que les bras de sa compagne de la nuit. Et l'ambiance aussi. Plusieurs fois Keith se fit arrêter et interroger avant d'arriver au point de rendez-vous. Heureusement cet endroit était un peu plus calme. Elle commençait déjà à s'impatienter, pensant être arrivée sur place la première, quand quelqu'un tira sur son épaule pour l'attirer dans une ruelle encore plus étroite.

"Eh ! .. Vous êtes un ami d'Aed... ?" "Chuuut"

Keith fit la moue, supportant assez mal qu'on lui coupe la parole. L'homme hocha toutefois la tête avant de l'emmener avec lui. Elle dégagea son bras avant de le suivre.

"Je comprends. C'est secret c'est ça ? Et on doit aller loin comme ça ?"

"Chuuuut. Ils ratissent toute la ville."

L'homme avait parlé à voix très basse. Elle avait dû tendre l'oreille pour bien l'entendre.

"Mais je n'ai rien à cacher, moi."

Le silence fut la seule réponse et elle poussa un gros soupir avant de se résigner à suivre son guide en silence. Après un dédale qui lui parut interminable, l'homme s'arrêta devant ce qui paraissait être une simple tombe. Il saisit un heurtoir accroché à la pierre avant de l'abattre trois fois sur cette dernière. Rien ne se passa. Keith battit du pied à terre.

"C'est vous qui ne savez pas faire ou il n'est pas pressé ?"

Mais une fois de plus elle n'eut pas droit à une réponse. Le tombeau finit toutefois par s'écarter sur un visage qu'elle connaissait. L'air plutôt ravi de la voir.

"Ce n'est pas trop tôt ! Je vais bien, mais tu as choisi le pire jour pour organiser ça, les rues sont remplies de soldats, arrogants avec ça !"

Elle était loin d'imaginer une corrélation entre les deux faits.
Ignorant le mécanisme peu habituel qui aurait pourtant d'habitude éveillé sa curiosité, elle s'avança à sa rencontre, mettant de côté ses appréhensions à descendre sous terre. Elle s'apprêtait à lui demander de ses nouvelles aussi, tout de même, quand elle vit ses bras se refermer dans le vide. Elle eut un petit sourire taquin.


"Peur que je morde ?"

Elle n'était toutefois pas très attachée à cette habitude citadine d'échanger des étreintes en guise de bonjour et ne regretta pas plus que ça d'y couper, n'étant pas tout à fait d'humeur à l'instant.

Son regard s'éclaira à la confirmation de ce que le message lui annonçait. Son voleur était là, et elle allait bientôt pouvoir régler ses comptes avec lui.


"Pas de violence, compris. Mais crois-moi, il va s'en souvenir."

Elle haussa les épaules. Étrangement elle était à la fois impatiente et anxieuse. Mais ce qu'elle voulait avant tout, c'était son arc. Et sa revanche. Et des excuses.

Elle suivit docilement Aedelrik. Plus silencieuse qu'à l'habitude, mais ça n'avait aucun rapport avec ses sentiments mélangés concernant son agresseur. Il y avait quelque chose de changé, de différent, chez le voleur. Chez le louveteau. Pas dans son attitude, ni dans son physique. Quelque chose qu'elle ne parvenait pas à expliquer mais qui lui déplaisait fort. Elle devrait avoir une discussion avec lui aussi.

Elle releva la tête en entendant Aedelrik ajouter une condition. Elle ne dit rien mais n'en pensa pas moins. Ne pas lui rentrer dedans, et puis quoi encore ? Il ne fallait pas trop lui en demander. Enfin ils arrivèrent dans la grande salle où aurait lieu la confrontation. Elle pointa le doigt sur la poitrine d'Aedelrik en répondant à sa question, qu'il sache à quoi s'attendre.


"Prête, mais je suis sûre que tu me caches des choses, on parlera de ton cas après."

Sans attendre de permission ou confirmation, Keith s'avança jusqu'à l'individu assis dans un coin de la pièce. Se campant devant lui, elle l'examina de la tête aux pieds. C'était bien lui. Elle le sentait. Mais elle le voyait aussi. Elle discernait les traits qu'elle avait repérés cette nuit-là, et elle complétait le puzzle avec tous les détails que renvoyaient la lumière. Elle tiqua un instant en instant en voyant l'aiguille piquer la chaire, mais ça ce n'était pas son problème.

"Tu te rappelles de moi ?"

Mais la question n'était que pure rhétorique. Bien sûr qu'il se souvenait, sinon ce serait bientôt le cas.

"Tu te rappelles de ça !? De ce qu'a fait ton putain de poignard ?"

Son doigt pointa la cicatrice, heureusement bien moins visible qu'auparavant, laissée sur sa joue par l'arme qu'elle devinait enchanté, et qui lui avait fait un mal de chien.

"Tu te pointes dans mon campement, l'air de rien, comme un vulgaire vagabond, je m'apprête à t'offrir le couvert et.. Et toi tu voles mes provisions, tu voles mon arc, et tu oses porter la main sur moi en plus, sale chien !"

La jeune femme avait haussé la voix. La colère remontait au souvenir de cette nuit-là.

"D'abord tu vas me rendre mon arc, tout de suite ! Rends-le-moi immédiatement !"

Elle était d'autant plus remontée qu'il était mal en point. Même au delà de sa promesse, elle savait qu'elle ne lèverait pas la main sur un blessé. Il avait l'air trop humain. Rien du démon qu'elle avait construit tout ce temps dans un coin de son esprit. Elle faisait seulement face à un homme, et elle cherchait toutes les raisons de le haïr. Son calme l'énervait. Elle se tourna vers Aedelrik cherchant un témoin à prendre à parti. Elle se souvint d'un détail qui expliquait peut-être le manque de réaction.

"Je m'en fous s'il ne parle pas la langue, c'est ton ami, traduis !"


Lanre


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Il ne prêta pas la moindre attention à l'individu qui pénétrait la pièce et écartait les lourds rideaux ; bien trop concentré sur la courbe de fer luisant qui perçait son bras, encore et encore. L'aiguille perfora une nouvelle fois son épiderme ouvert, non sans lui arracher une grimace et un reniflement désagréables. La tête d'acier paraissait d'un côté du rivage, aussi brillante que provocante. Sans un regard pour le voleur, qui s'approchait et se lançait déjà dans l'un des monologues dont il avait le secret, le balafré commença à enfouir deux des ses doigts dans la plaie. Un nouveau rictus déchira sa gueule, alors que les boyaux de chevaux rassemblaient doucement mais sûrement les deux rivages de son avant bras. Toujours silencieux, il ne put s'empêcher de remarquer la chance qu'il avait eu : l'escarre n'était pas droite et contournait habilement les veines de son poignet, pour mieux finir sa course sur le dos de son bras. Le paria réitéra l'opération, de manière à sceller un anneau de corde de plus, entrelacs douloureux mais nécessaire. Délaissant le poinçon l'espace d'une seconde, il réalisa que face à l'absence de réponse à sa première question, Aedelrik reprenait déjà et au triple galop. Alors que l'homme lui faisait la leçon, dont il ignorait si elle était proprement culturelle ou résultait d'une inquiétude à peu-près aussi fausse que son première question, l'estropié – mais pas infirme – ramena la paume de sa main sur son coude. Il se pencha suffisamment en avant pour apercevoir le visage du vaurien, lequel avisait la bouteille d'alcool à désinfecter, tout en terminant la deuxième partie de son discours. S'il resta silencieux, il ne cacha guère sa surprise, quand Renard porta le goulot à ses lèvres : le casse-poitrine lui avait été fourni par l'un de ses hommes et provenait manifestement des réserves personnelles du soignant. L'alcool pur n'avait été mélangé qu'avec un peu d'eau, tout juste assez pour en faire un antiseptique efficace. Pas de quoi lui procurer la moindre saveur et c'était loin d'être pour ça que lui même en avalait une ration de temps-à-autre. Le breuvage était suffisamment abrutissant pour lui faire oublier qu'il avait mal.

Patient, il attendit néanmoins jusqu'au moment ou le voleur abandonna la bouteille, l'air visiblement dégouté. Le Ceald récupéra bien vite le pichet de verre et la renversa au dessus de son avant-bras. Les nervures de son poignet gonflèrent tandis que ses doigts se crispaient, agrippant un poids invisible. Il grinça des dents, relevant le récipient bien avant d'avoir inondé sa blessure, le bras en feu et les tempes battues par de véritables tambours de guerre. Il retint un grognement, le front poissé d'une sueur qui coulait le long de son nez avant de goutter jusqu'au sol de pierres tantôt brunes, tantôt grisonnantes. Inspirant un grand coup, il réalisa qu'il s'était petit à petit recourbé sur lui même, comme un nouveau-né courant maladroitement après l'air. Sans prendre la peine de déposer l'alcool à brûler, le trappeur ramena brusquement sa tête en arrière, le visage fouetté une seconde fois par les crins roux de son imposante chevelure, pour une fois laissée libre. L'esprit entièrement consacré à son ouvrage, il récupéra la fine pique et fils à base d'intestins tressés. Aedelrik s'enfermant à son tour dans un mutisme inhabituel, seul le ronronnement des braises et ses râles étouffés perturbaient l'harmonie de la pièce. Dans ce presque silence, l'aiguille travaillait patiemment, trouant chacun des bords de la balafre à son tour, dessinant toujours plus d'épissures sur son bras, déjà bien trop durablement marqué par le fer. Entre deux coups d'aiguille, son regard vert-de-gris s'arrêta sur le glyphe gravé dans sa chair. Le symbole avait été appliqué lors de sa capture, il y a bien des cycles de cela, et continuait parfois de le démanger. Sa simple vision suffit à lui donner un semblant de nausée, et l'apatride ne tarda guère à tourner le bras pour suivre la ligne de sa cicatrice.

Foxclaw finit par reprendre la parole ; qu'il avait manifestement abandonnée trop longtemps. Agacé avant même d'entendre sa requête, le maraudeur retint un profond soupir, grinçant des dents au lieu de quoi, et enfilant une nouvelle passe de fils dans le flanc de son bras. Aedelrik s'attarda d'abord sur leur évasion, à Swann et lui, sans qu'il ne prenne le temps de répondre à la question, fut-ce d'un regard. En aucun cas, en aucune circonstance et en aucun lieux ne comptait-il revenir sur le marché que la jeune femme de Villarreal avait conclue avec la Dame du Castel. Sans que la Traitre-Lionne n'ai eu à prononcer le moindre mot, un accord tacite était passé entre eux : des secrets de la sorte, il ne fallait rien divulguer. S'il n'en aurait de toute façon pas parlé, souvent plus taciturne et lapidaire que porté sur la conversation, il y était moins enclin encore dorénavant. Bien qu'en vérité, il ignorait quels étaient précisément les enjeux, cela n'avait que peu d'importance. Après un mois de détention commune, un affrontement violent et une cavale qui les liait à ce point, Lanre était pris de l'envie de croire en Swann ; de lui faire confiance. Probablement plus qu'avec quiconque depuis le temps des arènes. Il n'avait guère de doute sur le fait qu'il s'ouvrait un peu plus à ce monde qui n'était pas le sien, mais les faits parlaient également. D'eux-mêmes. Face au mystère et au silence persistant que lui opposait l'ancien prisonnier, le maître-chanteur finit par changer de sujet. Sans prendre la peine de cacher sa joie, il évoqua les blessures qui marquaient encore le rouquin, invoquant le destin avec une légèreté qu'on lui connaissait peu quand il s'agissait de parler de dieux. Alors que la douleur lui rougissait le bras, la colère ne tarda pas à lui chauffer la gueule ; et le regard noir de l'Ours fit rapidement taire le petit renard, dont la main frottait encore les stigmates de leur dernier affrontement. Le fugitif n'aurait pas mis sa main à couper sur ce qui imposait si facilement le silence au rossignol en devenir, mais s'en souciait peu. Leurs yeux se croisèrent assez de temps pour que le Ceald n'ai pas à parler et que son camarade n'en dise pas plus. Bientôt, l'aiguille reprit son oeuvre inachevée tandis qu'Aedelrik tâchait une dernière fois d'attirer son attention, sur des événements dont il n'avait plus réel souvenir : ils dataient presque d'un millénaire désormais.

Le coupe-jarret finit par prendre congé. Sitôt les tentures rabattues, le blessé cessa de retenir ses soupirs de satisfaction, dans la mesure où un tel sentiment lui était aujourd'hui autorisé. Bien sûr, il n'était rien satisfait de la situation ; et les murs que lui offraient Aedelrik sonnaient presque aussi mal que ceux des geôles qu'il venait de quitter. Plus que jamais il souhaitait partir, mais certains travaux le maintenaient cloué à ce foutu tabouret. Au moins, n'avait-il plus à supporter les réflexions du faux-monnayeur... Nom d'un chien, il parlait beaucoup trop ! Pour un peu, on aurait pu le confondre avec un barde en manque d'auditoire. Dans un "calme" retrouvé, l'Étranger s'attela à sa douloureuse tâche, loin d'être un punition du destin, comme le plaidait tantôt son hôte. Ce répit, qu'il n'aurait sans doute pas manqué de provoquer, fut cependant de courte durée. Après deux points, à peine, les rideaux s'ouvrirent à nouveau dévoilant d'abord une silhouette féminine, puis celle de son logeur du soir. Après un bref regard – et bien que conscient qu'ils étaient seuls ici –, il décida sciemment de ne pas leur porter plus d'intérêt que celui qu'avait reçu Aedelrik tout à l'heure. Se penchant à nouveau sur son office, il sentit la chaînette peser sur sa nuque, ultime souvenir d'événements récents.

Ses doigts se firent un peu plus gourds, quand commencèrent les cris. Il fronça les sourcils, s'y reprenant une seconde fois pour un point que le hurlement lui avait fait rater. Ca n'était pas le premier, ni de ce soir-là, ni d'avant. Cela ne l'avait pourtant habitué à rien et les flammes qui brûlaient au plus profond de son poignet délièrent ses lèvres scellées, le temps d'un grognement abrupt et bestial. La paume de sa main écrasa son avant-bras mutilé, avant de le compresser. Durement. Un murmure manqua de percer ses lèvres aussi bien que l'aiguille, mais fut étouffé avant de voir le jour. Sans s'en rendre compte, il haletait de nouveau. Son bras monta à l'assaut de sa gueule moite et brillante, essuyant tant bien que mal la fièvre qui malmenait son front. L'air lui manquait, mais il ignora superbement la rouquine qui, visiblement, le connaissait plus que lui ne le faisait. Elle insista, comme un chien accroché à un os à ronger, lui vrillant les tympans presque autant que les tambourins qui lui martelaient les tempes. Son regard croisa celui de la jeune louve, l'affrontant le temps d'un échange brutal : elle était de feu et de braise quand lui brûlait d'une glace impassible, inébranlablement furieuse. Sans quitter la rouquine du regard il arqua son bras, attrapa la dame-jeanne et la ramena devant lui, dans un mouvement simple mais potentiellement menaçant. Un récipient de cette taille, tout puant l'alcool à désinfecter qu'il soit, pouvait aisément causer des blessures (pour certaines mortelles), si bien utilisé. L'aiguille toujours fichée dans l'autre poignet – entre deux entrelacs morbides – et le regard enfoui dans celui de la chasseresse, il porta le goulot jusqu'à sa gorge sèche. La liqueur médicinale lui enflamma bientôt la gorge, avant de gagner son osier et d'y débuter un incendie on ne peut plus clair : un verre de plus et il risquait bien de tout recracher. S'arrachant à sa flasque, il mit également fin au duel de regard qui avait marqué sa confrontation avec l'inconnue. Toujours en silence, alors qu'elle reprenait ses invectives, il se réarma de son canif, tranchant les filins qui dépassaient, pour égaliser son travail et reprendre.

Peu à peu, il finit par s'habituer à la voix acérée et à la langue aigre de l'amie d'Aedelrik, que nul n'avait pris la peine de présenter. Ses dents grincèrent, trop secrète pour qu'aucun d'entre eux ne l'entendent, à mesure qu'il faisait dos rond et acceptait de se faire beugler dessus comme un vulgaire enfant. En vérité, il ne l'acceptait pas tant qu'il ne trouvait ni la force, ni le courage, ni l'envie d'y mettre fin. Pas encore, du moins : les dernières semaines qu'il avait passé comptaient parmi les plus éprouvantes de toute sa vie et, en vérité, il se sentait proprement et simplement vidé. L'odeur de la terre lui manquait. Le vent qui soufflait d'étranges murmures aux feuilles également, sans oublier les branches les cimes dont il savait la subtilité du langage. Il soupira, tâchant tant bien que mal de se rappeler ce qu'on lui reprochait précisément, sans daigner relever la tête de sa suture. La braconnière – ses fourrures, sa démarche et les peintures sur sa gueule la trahissaient sans vergogne – soulignaient les méfaits de la dague de givre ; mais le coutelas avait tant mordu et tant tué que cela ne l'aidait guère à se souvenir de quoique ce soit... sinon l'adversité que lui témoignait son interlocutrice. Les billes vert-de-gris montèrent à l'assaut du regard du voleur, aussi austères que menaçante : doucement mais sûrement il comprenait le pétrin dans lequel son "ami" l'avait fourré. Et s'il ignorait toujours à qui il avait affaire, il ne lui en fallait pas beaucoup plus pour comprendre qu'on l'avait vendu. Le grondement qu'il couvait ne passa pas sa gorge mais son regard demeurait parlant, jonglant du brigand à sa camarade. « Bouclez-là. » Fit-il simplement, s'adressant tant à l'une qu'à l'autre, bien que préventivement dans le deuxième cas. Son regard demeurait méfiant au possible, mais sa voix avait cette assurance froide — celle qui ne nécessitait pas la moindre agressivité. Le calme lui manquait bien trop pour qu'il permette plus de cris ; ou plus de piques. Déjà, la lassitude s'emparait de lui, perverse et vicieuse. Sans plus se préoccuper de la jeune femme, il adressa à son compagnon d'infortune – puisqu'elle montrait manifestement le même genre de rage à son égard – un regard moins violent, mais pas moins acerbe. « Aedelrik, toi qui voulais aider, commença-t-il, faisant référence à l'une de ses remarques sur les doigts de fée d'il-ne-savait-plus-qui, j'ai besoin d'un cataplasme. Idéalement à base de plantain. » Le ton, s'il était froid, n'avait rien de rude. Il n'en restait pas moins sans appel.


Aedelrik


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Dur rôle à tenir, pour un homme comme Aedelrik, que celui de celui du faiseur de paix. Rude à vivre que cette situation où ses deux amis se faisaient face, et où la tension ambiante pouvait tout faire déraper en un instant. Le voleur avait vu les deux autres manier une lame. Cela lui donnait une idée aussi déplaisante que précise sur ce qui pourrait advenir si un mot s'élevait trop haut ou un geste partait trop brusquement. Quand à savoir qui serait le plus à même de lâcher les chiens enragés de la violence et de la colère, il y avait là matière à querelle de philosophes.

Keith avait toutes les raisons d'éprouver du ressentiment, le Renard le compris d'autant mieux lorsqu'elle envoya chaque détail de l'incident à la gueule de Lanre, comme si chaque mot était un coup de fouet destiné à le punir, à le faire regretter. Des deux, c'était sans doute la plus concernée par l'histoire, tout simplement parce que seule elle en avait souffert.
Mais celui à qui elle s'adressait était Lanre. Pas le genre à se laisser toucher par des mots, ni même à les écouter si il n'en avait pas envie. Aedelrik se demandait régulièrement depuis leur rencontre si son ami ne comprenait toujours pas bien l'hylien, si il était à moitié sourd, ou simplement si il était vraiment aussi civilisé qu'un ours brun qu'on aurait réveillé en plein hiver, tel il semblait s'efforcer de paraître donc. Dans tous les cas, Lanre pouvait très bien décider qu'il en avait assez de se faire crier dessus et charger dans le tas sans plus y réfléchir.

En ce cas, dans quel camp le Renard irait il ?


« Je m'en fous s'il ne parle pas la langue, c'est ton ami, traduis ! »

Keith s'était retournée vers lui et l'apostrophait avec autant de violence qu'elle en envoyait à Lanre. Volcanique, la chasseuse. C'était quand même un peu facile, de reporter sa colère sur le seul qui semblait s'en soucier réellement. Aedelrik lui adressa alors un sourire plein d'ironie avant de répondre, masquant mal son amusement, « Tu sais, il a dû comprendre le "sale chien", et je pense que le reste est superflu en comparai... »

« Bouclez-là. »

La voix de Lanre le coupa dans sa phrase, mais elle le soulagea également. D'expérience, c'étaient toujours les premiers mots qui sortaient le plus difficilement de la bouche du rouquin. Ce simple "vos gueules", aussi froid et tranchant qu'il soit, relevait déjà d'un grand pas en avant. Le regard qu'il lui adressa était moins rassurant. Evidemment, le Ceald était tout sauf con. Buté, rustre, sans manières, mais pas stupide. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre le sens de tout le truc. Aedelrik ne perdit pas son sourire pour autant. Il s'en expliquerait plus tard, ou pas du tout. A ce moment là, un brin bravache malgré la puissance de Lanre, il appréciait de rendre un peu à ce dernier la monnaie de sa pièce. Les traces des plaies sur sa joue venaient à peine de disparaître, après tout ! Néanmoins, lorsque l'ours demanda de l'aide, qui plus est sans violence, hors de question pour le renard de passer outre !

« Je vais te préparer ça. Keith, viens avec moi. Lanre, assieds toi pendant ce temps. »

Ce cataplasme, c'était précisément ce dont il avait besoin pour tous les sauver. Pour éviter que tous ne s'égorgent dans quelques minutes. Pour que Keith cesse de l'attaquer frontalement et que Lanre se retrouve à encaisser une colère pareil dans l'état de fatigue physique et mentale qui était le sien. Aussi ne laissait il pas réellement le choix à la louve, la tirant par le bras tout en lui murmurant, « S'il te plait, ne fais pas d'histoire maintenant. Regarde son bras. » Il supposait que la vue de la plaie à vif la convaincrait que Lanre ne pouvait pas être des plus attentifs à cet instant précis.

Il ne fit que quelques pas, le temps d'arriver à l'espace de travail de Doklas. Le vieux avait tout laissé en plan à sa demande juste avant. Pas facile de s'y retrouver mais le plantain était une plante courante pour soigner des maux et Aedelrik la repéra aisément. Alors, il commença son petit numéro.
« Au fait, kothlae... » Le mot, en langue Ceald, ne pouvait qu'attirer l'oreille de Lanre, et peut être, lui faire prêter attention au reste. « Je te présente Keith. C'est une amie à moi. Une bonne amie. » Son regard restait plongé sur sa préparation, afin de ne pas se laisser déconcentrer par l'attitude de la louve, quelle qu'elle soit. Et tandis qu'il broyait le plantain, il poursuivait, « Je pense que c'est important que tu connaisses son nom, pour qu'elle ne soit pas juste une femme inconnue, que tu as volé un soir. Mais tu te doutes que je vais pas te faire la leçon là dessus. Toi la paille, moi la poutre. » Au fur et à mesure de ses gestes lents et répétés, la plante prit la forme d'une pâte verdâtre qui exhalait une bonne odeur de sentier forestier. « Alors voilà, elle est là ce soir parce qu'elle voulait rencontrer son voleur, et sans doute savoir ce qui est advenu du butin. Pas pour t'attaquer, pas pour te rendre la pareil... » Le ton de voix, plus ferme, était sans appel ; ces mots s'adressaient autant à Lanre qu'à Keith. Son oeuvre finie, Aedelrik enveloppa la préparation, et s'approcha à nouveau de son ami. Avant de s'affairer à l'appliquer, il se tint droit devant lui, son regard vert planté dans le sien, et avec un sérieux inhabituel, il dit,

« Ca va te peser, je sais. Mais je pense qu'après les risques et la flèche que j'ai pris au château, tu me dois bien ça, non ? »

Et sans même attendre une réponse, il s'empara du bras de Lanre et s'efforça de le soigner. Certains auraient conditionné ces soins à une attitude conciliante. Ceux là n'étaient pas de vrais amis. Aedelrik savait de toute façon que ça n'était plus à lui de faire des efforts, mais bien à eux deux de tenter un pas en avant, les crocs rentrés cette fois. Et, fait étonnant, il se tut.


Keith Lyne


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Keith avait connu pas mal de bagarres de taverne, et elle se savait douée à les déclencher après quelques verres de trop. Le schéma ne changeait jamais vraiment : quelques mots de travers, des voix qui s'élevaient et quelqu'un finissait toujours par se saisir d'une chaise. Aussi elle fut plus qu'étonnée du seul silence qui répondit à ses invectives. Il ne comprenait pas ? Pire, il ne se souvenait pas ?

Lorsqu'elle se tourna vers son ami pour chercher son aide il confirma ses craintes. L'homme l'avait suffisamment comprise mais... Rien. Pas de cris, pas de haussement de voix, aucune insulte, rien pour alimenter sa colère. Un ton ferme simplement, peut-être las aussi, qui leur intima de se taire alors qu'elle s'apprêtait à rétorquer à Aedelrik que le plus important c'était son arc.

La voix s'éleva à nouveau pour réclamer un cataplasme. Les yeux de Keith avaient eu le temps de s'attarder plus sur le blessé. Sans nul doute elle ne se trompait pas d'homme, elle le reconnaissait, et remplaçait le portait partiel et déformé qu'elle en avait gardé depuis cette nuit-là. Mais plus que ça, elle constatait l'état dans lequel il se trouvait à présent. Et à son odeur se mêlait celle de l'alcool, de ceux qu'elle aurait pas aimé boire.

Son compagnon n'eut pas à tirer beaucoup sur son bras pour l'attirer un peu plus loin. Son silence la surprenait elle-même, mais elle avait le vague sentiment qu'il était vain de continuer à s'époumoner toute seule, ni utile, ni apaisant. Bien que toujours emplie de colère et fermement décidée à ne pas repartir sans son arc, ou sans l'assurance de le retrouver, les cris ne le lui ramèneraient pas plus vite et elle devrait sans doute attendre que l'homme ait fini de se recoudre le bras pour le voir bouger. La patience n'était pas son fort mais elle devait tenter de prendre sur elle.

Aedelrik commença, bien que tardivement, à faire les présentations. Encore une fois elle eut le désagréable sentiment qu'elle était la seule ici à se souvenir de cette horrible nuit. Mais plus que cela, c'était le mot en ceald qui avait attiré son attention. Un mot qu'elle n'avait plus entendu depuis très longtemps. Pourquoi s'adresser à lui ainsi ? Elle l'observa une fois encore et ce qui aurait dû l'interpeller lui sauta au visage.

"Il a les mêmes origines que moi... ?"

Elle murmurait presque pour elle-même, ignorant si un des deux hommes avait prêté attention à sa question. Elle n'avait guère que sa famille en guise de comparaison, et elle n'avait pas le moindre souvenir avant Hyrule. Ses parents n'avaient pas encore quitté leur île mais avaient déjà entamé leur voyage quand elle était née, et à partir d'un certain âge ils s'étaient montrés bien moins disposés à aborder avec elle le sujet de sa terre natale. Au final elle prétendait souvent être née à Hyrule. Ce n'était pas si loin de la vérité, et ça lui évitait des questions auxquelles elle ne pouvait pas répondre.

Laissant temporairement de côté ses interrogations pour reprendre la discussion au vol, elle s'apprêtait une nouvelle fois à insister pour son arc...

"Surtout pour savoir ce qui est advenu de..."

... Quand elle entendit la suite des revendications d'Aedelrik. Et soudain, d'autres pièces s'assemblèrent dans son esprit.

"Attends, stop !"

Elle ignorait si elle avait attiré l'attention des deux hommes mais elle les regardait tour à tour d'un air surpris.

"Tout ce bordel dehors, vous avez quelque chose à voir là-dedans !?"

Elle avait entendu les soldats parler d'une évasion. Et si les vêtements d'Aedelrik l'empêchaient de savoir si la flèche dont il parlait était récente, cela aurait pu expliquer l'état dans lequel se trouvait son voleur, le fait qu'elle n'ait pas retrouvé sa trace plus tôt et que son compagnon ait pu lui annoncer quand la rencontre aurait lieu sans pour autant avoir prévenu son ami.

"Une évasion... du château... ? Mais qu'est-ce qu'il a fait à la fin !? Et pour finir dans cet état en plus !"

Là où quelques temps auparavant ses cris avaient été agressifs, ils laissaient à présent seulement transparaître la surprise et l'incompréhension qui étaient les siennes.
Elle n'était peut-être pas la seule à avoir eu des problèmes avec cet homme. Ce dont elle était sûre, c'était que par ces temps troublés il fallait plus que le vol d'un arc et d'un cheval loin des yeux des gardes pour finir dans les prisons royales.


Lanre


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Une seconde, à peine, après son injonction le silence retomba sur les lieux. Au moins le temps de la réflexion, avant que le renard s'empresse de lui répondre, tentant de reprendre les rennes d'une situation qui lui échappait visiblement. Sans prêter davantage d'attention aux deux compagnons qui s'éloignait, le paria s'arma à nouveau de l'aiguille incurvée. Doucement mais sûrement, c'était indéniable, le fil gagnait du terrain ; tant et si bien qu'il lui faudrait bientôt tourner le bras. Il grogna, d'avance agacé : le travail n'en serait que plus long, plus complexe et plus douloureux. Comme le faisaient parfois certains enfants avants les points les plus amer, il laissa ses doigts jouer. Son poing se referma vite autour de la hampe d'une hache irréelle, invisible, mais qui l'aidait néanmoins à tenir. Ses jointures, déjà claires, palissaient plus encore. Sa gueule émaciée par un mois de jeûne s'était figée dès le début de l'exercice dans un masque de douleur ; dont il savait que l'origine brûlait plus sous sa peau que sur l'aiguille à proprement parler. Le petit pic d'acier reposait paisiblement dans son bras, en travers de la plaie, quand ses doigts l'abandonnèrent l'espace d'un instant, pour mieux se saisir de la bouteille de désinfectant. Une nouvelle fois, le goulot vint embrasser ses lèvres à la fois moites et sèches. Il sentait bien que son corps tout entier bouillonnait de l'intérieur et il ne pouvait ignorer la sueur qui coulait à grosse goutte, qui poissait son front, ses tempes, ou même le torse mutilé qu'il avait nu... Et pourtant, il lui semblait qu'en dépit de la fièvre et de la suée, il était plus sec et aride qu'un parchemin. Persistait cette étrange impression que si quoique ce soit en venait à le frôler, il s'effriterait et que le vent porterait ses restes disloqués.

L'alcool coula à flot, envahissant sa bouche plus que de raison. Avant qu'il ne le réalise, le casse-poitrine glissait sur son menton, imbibait le tissu qui bandait la cicatrice infligée par le Dovah. Sans même qu'il ne se rende compte, la flasque avait quitté ses babines, son corps tout entier s'était brisé en deux. Il cracha, sans trop savoir si le carmin qui accompagnait la gnole était du sang. Il n'en avait pas la moindre idée et, en vérité, n'en avait cure. Son estomac le taraudait, comme la faim qui ne l'avait pas abandonnée une seconde, durant toute sa captivité ; qui le rongeait encore. Il ignorait à quel point il avait maigri. Cela n'avait pas d'importance. Ses dents grincèrent, alors que de l'index et du pouce, il récupérait l'aiguille. Le ruisseau qui ouvrait son bras, le fleuve qui déchirait son épaule et son tronc ; tout cela n'avait pas la moindre importance non plus. Le filin de boyau glissa dans la plaie, labourant les chairs déjà estropiées. Cela n'avait pas d'importance. Il huma longuement. Son torse se souleva, teinté d'un rouge orangé et luisant à la lumière des flammes. Un bref moment, il ferma les yeux qu'il avait d'un vert vif, entier, presque immatériel. Quand il les rouvrit, ce fut pour tirer assez sur les entrailles du cheval pour nouer ce nouveau point. Plus que quelques uns et il en aurait enfin fini de cette entaille qui courrait autant sur le ventre de son bras que sur son dos.

Avant d'entamer la suite de son ouvrage, le maraudeur releva le regard sur le voleur qui lui tournait le dos, manifestement occupé à discuter avec son invitée. Trop bas pour qu'il ne puisse véritablement saisir quoique ce soit de leur conversation sans tendre l'oreille ; ce qu'il ne fit pas. Il n'avait ni l'envie, ni la volonté de suivre un échange entre deux êtres dont il ignorait tout, sinon quelques détails. Jamais, il n'avait demandé à Aedelrik de lui parler de son passé. Pas plus qu'il n'avait parlé du sien, à aucune reprise. Mais sans doute les balafres qui marquait son corps en disait plus qu'il n'acceptait de le faire lui-même. Cela non plus n'avait pas d'importance : plus rien n'en avait, dorénavant. Plus rien, sinon les fers dont il s'était défait une fois encore — la dernière. L'aiguille piqua sa peau une nouvelle fois, non sans accrocher un peu de sang comme à chacune des occasions précédente. Ces nouvelles marques ne serait qu'une preuve de plus que nul, pas même les maîtres des cieux, ne pouvaient prétendre à l'enfermer. Il n'existait aucune cage qu'il ne saurait briser, ni même aucune cage qui pourrait l'accueillir. « Avleg De Oath.. » Souffla-t-il, les yeux vissés sur son avant bras fendu, comme il l'avait déjà fait devant Aina, avant qu'elle ne lui remette sa propre lance. L'ours passa ensuite sa main sur le sang qui maculait son abdomen depuis qu'il s'était plié en deux, au premier point raté. Il ramena son pouce rougi tout prêt de son arcade sourcilière, avant de fermer à nouveau les yeux ; et de laisser courir son doigt le long de sa gueule. La traînée de sang barrait son visage comme une peinture de guerre. Elle scella le serment d'une bande écarlate, presque noire, malgré la lueur du brasier.

Foxclaw éleva la voix et l'apatride se souvint qu'il lui avait demandé de les rejoindre, un peu avant d'emmener la jeune femme à l'écart, pour mieux s'asseoir à leurs côtés. Il renifla, passant son bras valide sous son nez, toujours aussi fatigué, assoiffé et affamé. Mais, délesté du poids de ses fers et l'esprit à des lieux des conséquences de son affrontement avec le Dovah, il lui semblait que rien ne lui était impossible. La liberté retrouvée, cette liberté qu'il ne perdrait plus une seule fois, le revigorait mieux qu'aucune étreinte n'avait jamais su le reposer, l'apaiser. Sans un mot et sans réagir au dialecte du truand – qui avait beau lui être familier, mais n'en restait pas moins inconnu, comme de nombreux idiomes de l'île –, il se releva après avoir finalement terminé la tâche qu'il avait entamée. Son bras, corseté comme l'une des chemises moulantes d'Aedelrik, il daigna enfin se lever pour rejoindre la petite pièce dans laquelle son hôte broyait encore le plantain. La tenture avait été maintenue en place, de telle sorte qu'il n'eut pas à la déplacer avant de gagner le banc de pierre, sur la droite du plan de travail ou le maraud avait installé son mortier. Son dos épousa bientôt la pierre grise, rugueuse, et froide, tandis qu'il se laissait tomber, l'esprit légèrement embrumé. Son camarade s'exprima à nouveau, expliquant toute son affection pour sa convive, presque comme il l'aurait fait à un moutard ou un ancien sourd. Il soupira, presque agacé par le ton du rouquin, alors que le pilon continuait de frapper les feuilles et les tiges, sans relâche. Il était en mesure de comprendre que le voleur s'énamoure d'une femme — quand bien même il lui avait semblé qu'il avait jeté son dévolu sur les hommes. Cela ne le concernait guère, pas plus qu'il ne s'y intéressait. Mais cela ne lui donnait pas le droit de le vendre pour autant. Il reprit, insistant sur cette soirée dont rien ne lui revenait en mémoire. Soit les deux amis étaient de très mauvais conteurs, soit il ne parviendrait pas à se remémorer cette nuit ; et malgré la douleur il n'y mettait pourtant pas que de la mauvaise volonté. La simple notion de vol était loin de lui être si familière qu'Aedelrik semblait le penser : n'existaient chez lui que le partage et les butins.

Il siffla entre ses dents, brièvement, s’apprêtant à prendre la parole malgré la lassitude que provoquaient chez lui les insultes du voleur. Mais l'homme n'avait apparemment pas fini et une nouvelle fois, il ne put s'empêcher de penser qu'il parlait trop. Beaucoup trop, en vérité. L'espace d'un instant, il s'interrogea, imaginant le renard parmi les siens, avant de conclure que le pauvre homme n'aurait pas tenu plus de quelques gens avant d'attirer sur lui tout types de suspicions. Trop de traits chez lui différaient du monde d'où il venait, et une fois de plus il réalisa le chemin parcouru. Un long sentier qui ne le menait au final que dans les bras de reproches et de conflits qui n'étaient pas les siens. Qu'il n'avait pas à combattre, pas à accepter. « Très bien. » Siffla-t-il simplement mais visiblement plus exaspéré que calmé, tandis que le coureur achevait son argumentaire, véritable plaidoyer auquel il trouvait au moins un mérite : il avait su faire taire les cris au moins le long de son discours. Si ces quelques mots s'apparentaient à un accord, les deux amis ne tarderaient vraisemblablement pas à déchanter. Aedelrik enveloppa sa préparation dans un linge blanc, avant de se rapprocher de lui. Leurs regards se croisèrent et les pupilles du voleur brillèrent d'un strict sérieux qu'il ne pensait pas lui avoir vu auparavant. Ce n'est que quand celui-ci ouvrit à nouveau les lèvres que le décalage survint réellement. L'étranger n'eut pas le temps de réagir que déjà le brigand se saisissait de son bras et commençait à y appliquer le cataplasme. Les frissons qui électrisèrent la nuque du paria, secouant trop subtilement sa colonne vertébrale pour que quiconque le remarque, n'avaient rien à voir. Malgré une force qu'il ne connaissait pas au voleur, en dépit de leurs deux affrontements, il arracha son bras des mains de son hôte. « Donne ! », cracha-il durement, le regard aussi agressif que froid. Aussitôt récupéré, il appliqua lui-même le cataplasme, enroulant le tissu sur la plaie et se concentrant sur cet objectif uniquement, comme pour mieux se calmer. En vain.

Sans adresser un regard de plus à Aedelrik, sa voix s'éleva à nouveau. La colère qui fuyait ses lèvres était d'autant plus violente qu'elle était aussi calme que la mer, après avoir coulé l'ensemble des vaisseaux. « Je ne te dois rien. » Siffla-t-il d'abord, entre ses mâchoires presque fermées. « Ni à toi, ni à personne. » Ajouta-t-il, après un blanc d'une demi-seconde, les yeux encore concentrés sur son ouvrage, dont il approchait de la fin. « Je ne t'ai pas invité, Hetja. Je n'ai pas demandé ton aide. » Cette fois, le regard de Lanre retourna chercher celui d'Aedelrik. S'il appréciait le voleur pour plusieurs raisons, il ne supportait pas qu'on prétende lui faire payer quoique ce fut, de quelque façon que ce soit ; et moins encore quand, comme le renard, une aide désintéressé débouchait finalement sur une dette. Il ne niait pas l'aide qu'avait apporté le malandrin, mais il ne l'avait jamais appelé au secours. L'acier qui avait percé l'épaule de son compagnon lui incombait. A lui seul. Il ne saurait en être autrement. Terminant de nouer le linge autour de son poignet blessé, il se releva. La pièce était exiguë – nettement plus que celle où il avait entrepris de se recoudre – et il chancela. Sa main agrippa la roche grise, le retenant dans une chute qu'il savait d'avance douloureuse, pendant que Keith commençait à assembler les pièces d'un récit à trou, obscur, et qu'il ne comptait à l'évidence pas éclaircir. « J'ai fait ce que tu voulais, Aedelrik. » Souffla-t-il, alors qu'il tournait déjà presque le dos au voleur. Sa main toujours appuyée sur le mur, en soutien, il lançait un regard à Foxclaw, ignorant la jeune femme. « J'ai rencontré ton amie. S'ean cenn. » Sa paume s'arracha tant bien que mal à la paroi, imprimant une marque aussi sombre que distincte. Sur la roche calcinée se dessinait clairement sa main, dont il n'avait pas senti la température monter aussi brusquement que le fiel qui noircissait son humeur.


Aedelrik


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Devoir subir la curiosité bien naturelle de Keith était déjà un poids dont Aedelrik se serait bien passé, mais en comparaison avec le choc qu'il se prit en pleine face, ça n'avait plus aucune importance. D'instinct, la réaction de Lanre l'avait fait reculer, par crainte d'un coup. Oh, bien sûr ! Le Ceald n'était pas en état de jouer correctement de ses poings mais certains souvenirs communs avaient marqué le renard. Suffisamment pour qu'il se rapproche de Keith tandis que son ami appliquait le remède, comme un manche d'ailleurs. Aux questions insistantes de la chasseuse, il se contenta de lui demander son silence d'une main douce posée, un instant, sur son épaule.

« Je ne te dois rien. »

Ca, c'était sans doute le seul scénario auquel il ne s'attendait pas au moment d'arranger cette rencontre. Son esprit tordu avait tenté de tout envisager : d'un accès de rage guerrière de Lanre à une brusque envie sanglante de vengeance d'une louve prête à se transformer, jusqu'à la découverte de sa cachette par la garde, mais ça !... Cette fois ci, Aedelrik ne se sentait plus un rôle de tampon entre des forces contraires qu'il fallait empêcher de s'entre-détruire. Un ami venait de l'insulter. Et à mesure que les mots du Ceald s'accumulait, le renard prenait conscience de l'ampleur de l'ingratitude de l'homme. Il perdit d'abord son sourire, quasiment dans l'instant, et se raidit un peu plus à chaque seconde qui passait. Et lorsque, finalement, Lanre l'envoya cordialement paître dans sa langue de sauvage, le voleur sentit que sa fierté était au point de rupture ; soit elle pliait, soit elle cassait. Alors, se tournant vers Keith, il déclara, rauque, en désignant ironiquement son ami dans un geste théâtrale,

« Pour te répondre, tu as devant toi le célèbre tueur de dragon de Cocorico, jusqu'à ce soir enfermé dans les geôles du château royal et miraculeusement évadé... » Son regard glacial coula vers la tignasse du Ceald. «... Par on ne sait quel miracle. Car bien sûr, l'aide qu'il a pu recevoir n'y est pour rien ! »

Aedelrik aurait sans doute dû se taire, laisser ses paroles couler et, lui, passer à la suite de ce qu'il avait prévu. Mais du fiel s'accumulait depuis trop longtemps dans son esprit à l'encontre de son ami. Plus il y pensait, et plus les bons moments en commun lui semblaient rares, et évanescents. Au contraire, les événements malheureux gardaient un éclat tranchant profondément enfoncé dans sa mémoire à vif. Alors, il poursuivit, sombre. « Tu as raison, je n'ai pas répondu à ton appel, je l'ai précédé ! Je plaide coupable. J'ai été con. Je pensais, connement, que des amis étaient sensés s'entraider. Je pensais aussi que des amis s'obligent à la gratitude, dans les galères comme dans les succès. Une illusion maintenant périmée. Mais j'avais oublié que ser-tueur-de-lézard refuse de se laisser enchaîner par quoi que ce soit ! »

A mesure que les mots sortaient, le Renard cédait de plus en plus à une humeur anormale chez lui. Son ressentiment, sa rancune envers Lanre, qu'il avait enfouit dans son esprit sans pleinement parvenir à lui pardonner, tout cela refaisait lentement surface, accompagné d'autre chose. Sans qu'il ne puisse réellement s'en rendre compte, son fiel était comme enrobé d'une influence nauséabonde, étrangère, bestiale. Et lui, en conséquence, écumait de rage, « Même lorsqu'il s'agit de respecter le départ d'un ami désespéré ! Après tout, au lieu de lui rendre le goût de vivre, quoi de mieux que de le battre comme plâtre. Ou de l'humilier publiquement en lui laissant une gueule bien fracassée. »Sa main passa instinctivement sur sa joue, où se devinait encore les marques de la planche cloutée qui l'avait tabassé. De ses ongles longs, il avait presque envie de rouvrir la chair pour mettre Lanre devant son oeuvre. « Ah, j'ai vraiment été trop con de te sortir de ton trou. Cette flèche aurait pu me tuer que tu serais juste venu cracher sur mon cadavre ! Merde, j'étais prés à tout oublier, tout ce qui m'avait blessé... Mais je me rends compte que j'ai perdu mon temps. Tu. Tu... »

Aedelrik réalisa à cet instant à quel point respirer normalement lui devenait difficile. Sans qu'il ne l'ait vu venir, ses canines vinrent s'entrecroiser, plus longues qu'à l'ordinaire. La peur s'empara de lui et, en tachant de faire passer au mieux son attitude pour du dégoût et de la colère, il s'éloigna en tournant le dos aux deux autres rouquins, ses mains devant lui comme si son simple regard pouvait empêcher ses ongles de s'allonger à vue. Avant de passer la porte de sa chambre, il donna un coup de pied dans un coffre anodin, le long d'un coin de mur et déclara à Keith, « Jette donc un oeil à l'intérieur, tu devrais apprécier. »

Une forme allongée dont l'extrémité en bois dépassait du meuble n'y serait sans doute pas pour rien, mais Aedelrik n'avait plus envie d'y accorder de l'attention. Déjà, il entendait une sombre mélodie résonner dans son crâne et une voix creuse comme une caverne abyssale l'appeler. Il entra alors dans la pièce qui lui servait de chambre et se prit la tête entre les mains, s'efforçant de retenir sa douleur dans ses tripes. Titubant, à l'aveugle, il se dirigea vers son établi alchimique, où l'attendaient ses mélanges de narcotiques et de psychotropes, des mélanges assez puissants pour envoyer un troupeau de boeufs dans les nuages. Mais avant que le renard ait pu les atteindre, il s'effondra sur ses genoux. « Pas maintenant. » Murmura-t-il au moment où la mélodie devenait insupportable.


Keith Lyne


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Les yeux de Keith passaient d'un à l'autre des deux hommes avec le sentiment d'être devenue spectatrice d'une pièce qu'elle avait du mal à suivre. Petit à petit, les réponses plus précises d'Aedelrik lui permirent de recoller les morceaux. De toute évidence l'effervescence des gardes au dehors venait bien d'eux, et elle comprenait mieux comment son ami avait pu la prévenir d'être là tout spécialement cette nuit si une évasion avait été prévue et venait de se jouer.
Elle se garda d'intervenir. Si elle avait ses propres griefs, ceux-ci ne lui appartenaient pas et elle en ignorait tous les détails. Elle avait depuis longtemps appris à se mêler de ses propres affaires, et n'appréciait elle-même que peu les interventions externes non sollicitées. Elle prêta seulement une oreille et un œil attentifs, par curiosité. Et peut-être aussi par méfiance. Elle sentait grandir en elle un mauvais pressentiment, et si sa vue ne la trompait pas, elle allait bientôt savoir si son camarade respectait ou non ses mises en garde.

Il lui sembla que c'était le cas lorsqu'elle le vit faire volte face et se diriger vers une pièce annexe. Alors qu'il envoyait de son pied un coffre vers elle, elle le regarda passer la porte, sans inviter personne à le suivre. De toute façon si ses craintes se confirmaient, elle ne pouvait rien pour lui, elle qui avait toujours soigneusement contrôlé et souhaité ses transformations physiques, pas plus qu'elle ne pourrait passer sa vie à le surveiller. C'était l'occasion de voir s'il pouvait contrôler le don qu'elle lui avait fait, et qu'elle soupçonnait de plus en plus, à sa grande tristesse, d'être une malédiction chez lui. Elle ne pourrait pas se contenter de fermer les yeux si elle avait créé un danger pour la ville.

Désireuse d'éloigner ses pensées de la culpabilité qui y pointait son nez, elle reporta son attention sur le coffre qu'il avait fait glisser vers elle. L'extrémité de bois qui en sortait attira son regard et elle libéra rapidement le reste de l'objet. Ses doigts glissèrent délicatement le long de l'arc, épousant la forme de son ventre. Elle le connaissait par cœur, chaque courbe, chaque imperfection. Elle aurait pu faire l'histoire de chacune des légères entailles dans le bois. Elle joua délicatement avec la corde en se gardant bien de la bander inutilement. Elle avait plein de questions : comment cet arc avait-il atterri là, pourquoi ne pas le lui avoir mis entre les mains plus tôt ? Mais dans l'immédiat elle était surtout soulagée qu'il soit enfin de retour et non perdu elle ne savait où.

Ses doigts caressèrent affectueusement le discret "K." gravé sur le dos de la branche supérieure avant qu'elle ne reprenne conscience de ce qui l'entourait. Laissant là le coffre à présent vide et la porte close, elle se retourna. Elle fronça les sourcils d'incompréhension lorsque ses yeux passèrent sur une trace de main imprimée dans la roche à l'endroit où se trouvait l'homme blessé un instant auparavant. Elle se rendit compte qu'il était retourné s'asseoir là où elle l'avait trouvé en arrivant et décida de parcourir les quelques mètres qui la séparaient de lui. Elle avait beau rester sur ses gardes, l'oreille tendue pour guetter l'ouverture de la porte, elle ignorait combien de temps elle devrait attendre avant de voir ré-apparaître leur hôte, et dans quel état.

Elle préférait se changer les idées, et pour ça le silence n'était pas un bon remède. La difficulté consistant à canaliser les questionnements qui se bousculaient dans sa tête.

"Hallja..! C'est pour vous deux tout ce tintouin en ville ? Les soldats ont l'air plutôt remontés."

S'il avait passé plusieurs jours en prison, et s'il était présent à Cocorico lors de l'attaque qui s'y était déroulée, elle comprenait mieux l'état dans lequel se trouvait l'homme.

"J'ai vu une carcasse là-bas, à Cocorico, et j'ai entendu les récits. C'était vraiment un dragon ?"

Même si elle avait vu l'énorme dépouille, un peu abîmée par le temps, elle avait du mal à y croire. À se dire qu'il ne s'agissait pas d'une mise en scène, de racontars amplifiés. Pourtant les dégâts étaient importants, même si la reconstruction avait déjà commencé lors de son passage.

"Mais je ne comprends pas alors... Pourquoi la prison ? Tu fais partie des Dragmires ? De ceux qui ont attaqué le village ? Tu n'aurais eu aucune raison de t'en prendre à... daër'odjur si c'était le cas..."

Mais ces informations n'étaient pas les seules qu'elle espérait obtenir. Loin de maîtriser correctement la langue de ses ancêtres, elle avait fouillé sa mémoire pour se souvenir de mots entendus dans la bouche de ses parents. Tout en les replaçant dans ses questions, elle scrutait le visage de l'homme pour y détecter une réaction qui confirmerait ses suppositions.


Lanre


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S'il y avait bien une chose qu'il ne parvenait pas à saisir chez le voleur, c'était comment il lui était possible de parler autant. Il avait rencontré, à plus d'une reprises, des avares en mots et des êtres plus volubiles. Aucun, pour autant, ne pouvait rivaliser avec le renard, dont les jérémiades l'agaçaient de plus en plus. Sans se fendre d'un regard de plus, il décida de le laisser s'indigner, grogner et geindre en solitaire. Il n'avait de toute façon ni l'envie ni la patience de répondre. Son bras continuait par trop à le démanger et il savait que l'heure avançait. Son rendez-vous ne l'attendrait probablement pas plus que de raison. Tournant définitivement le dos à un Aedelrik dont il ignorait proprement les colères et le fiel. Les reproches glissaient sur lui sans l'atteindre, lui laissant néanmoins l'occasion de réaliser à quel point l'homme donnait dans la mauvaise foi — ou au moins à quel point ils avaient vécu les événements différemment. Dans un cas comme dans l'autre, un véritable ravin les séparait. Et il n'avait pas le courage, pas plus qu'il ne souhaitait le trouver, de bâtir un pont. Aucun des mots de Foxclaw ne sut le faire se retourner et, pas à pas, l’apatride s'éloigna de l'alcôve où ils se tenaient tous trois, un instant plus tôt. Parfois, sa main vint chercher le mur, pour mieux l'aider à conserver un équilibre qu'il perdait trop souvent depuis l'affrontement avec le Dovah. En silence il pesta contre sa propre faiblesse, tandis que sa paume épousait subitement un tonneau monté sur un cageot de bois. Son autre main monta doucement sur son torse et ses doigts gourds s'agrippaient au tissu, à défaut de pouvoir toucher la marque que lui laissait la Bête.

Petit à petit, il finit par gagner la pièce dans laquelle il avait laissé le peu d'effets qui lui restaient. Écartant les tentures qui lui semblaient plus lourdes que la dernière fois, il s'arracha tant bien que mal à la paroi de pierre pour rejoindre le petit brasero, au centre de la salle. Avant qu'il ne sente ses genoux flancher, il finit par s'asseoir en tailleur devant le feu. Fermant les yeux, soudainement rattrapé par la fatigue, le Ceald laissa la pression retomber, doucement. Les derniers jours avaient été particulièrement intenses, même après tout ce par quoi il était passé. L'adrénaline retombée, la réalité le rattrapait enfin. Les derniers jours ? Non ! Le poids des dernières semaines venait lui broyer les épaules, lui martelait les tempes comme le marteau battait l'enclume. Il poussa un profond soupir, avant de contempler le langues orangées qui léchaient doucement le cercle de roches, avides de s'étendre davantage. Jouant inconsciemment avec la surface chaude des pierres, il laissa son regard se perdre un instant devant le spectacle ; l'esprit harassé, la tête lourde. Les temps morts et les arrêts se faisaient de plus en plus rares. Les quelques moments où il pouvait se permettre de ne penser à rien fuyaient sa mémoire comme le chevreuil devant le loup.

Ramenant ses cheveux en arrière, le vagabond entreprit de nouer la crinière qui lui tombait sur les épaules et rongeait sa nuque, fermant une nouvelle fois les yeux. Emporté par le fleuve de son propre silence, il ne réalisa pas que le malandrin avait fini par se taire. Fermant les yeux à nouveau, il fut pris de l'envie de s'allonger, un instant, et d'attendre. Attendre jusqu'à ce qu'à plus soif, jusqu'à ce que lui vienne, enfin, le désir de se relever. Jusqu'à ce que la flamme inonde à nouveau ses bras, que ses jambes cessent de ployer sous son propre poids. Pourtant, il restait droit comme les falaises, sur qui venaient s'écraser les vagues et l'écume. Et comme elles, le sel et le temps finiraient sans doute par l'éroder et avoir raison de lui. Il inspira profondément, visualisant le récifs auprès des quels il avait grandi, appris, aimé, tué. Les forêts et les marais dans lesquels il s'était perdu, caché, senti pris en chasse, dans lesquels il avait traqué et abattu. Il sentait les embruns, la gifle du vent, et le calme serein qui annonce, précède et suit la tempête. Comme les abers et comme les fjords, son jour n'était pas venu — ne viendrait pas. Pas avant qu'il ne le décide, qu'il ne l'accepte. Et il aurait tout le temps de se préparer le moment venu. Lentement mais sûrement, sa respiration se stabilisa, à la manière de Brieg quand il cherchait à s'oublier et entrer en communion.

Focalisé mais absent, présent mais étranger, loin mais à quelques pieds, Lanre n'entendit pas le cliquetis des cerceaux qui retenaient le rideau. La voix de l'inconnue l'arracha à son recueillement, autrement moins acerbe qu'auparavant. Le ton était animé d'une curiosité qu'il n'avait pas pu discerner auparavant, d'une touche d'espoir, presque. Mais ce n'est pas ce qui le poussa à relever le suaire qui lui masquait le monde. Toujours immobile, l'Ours chercha les yeux de la Louve, toujours sans parvenir à se souvenir de la nuit de leur rencontre. Le scénario qu'ils lui avaient décrit, Aedelrik et elle, ressemblait à s'y méprendre à plus d'un épisode de sa vie... mais, à l'évidence, c'était d'autre chose qu'elle souhaitait converser. La jeune femme vint s'installer près du feu, à genoux devant les flammes. Après ses premiers mots, évoquant les hommes en armes qu'ils avaient fuit avec Swann, un bref silence marqua le début de leur échange, mais il lui semblait qu'elle avait encore beaucoup à dire. Sans l'interrompre, il la laissa reprendre, aborder la bataille aux pieds des Dents-de-Pierre, puis poursuivre et s'enquérir de problématiques à laquelle il n'avait jamais prêté l'importance qu'elle avait l'air de leur accorder.

"Eȁven o Cealt ?" S'enquit-il, pour toute réponse. Le vert-de-gris de ses yeux glissa vers ceux marin de la chasseresse. Les quelques mots de son dialecte qu'elle plaçaient lui rappelait Os'ɇr et le Cerf. Le regard toujours dans le sien, il se pencha vers elle, se rapprochant doucement du feu. Il ne tarda guère à reprendre, dans une langue qu'elle connaissait sans doute mieux. « Tu en sais sur moi bien plus que je n'en sais sur toi », déclara-t-il simplement, laissant à nouveau ses doigts monter à l'assaut des flammes et tirer une brindille des braises. « Qui es-tu ? » Demanda-t-il seulement, avant de briser la petite branche entre son pouce et son index. Sans doute répondrait-il à quelques unes des questions qu'elle posait depuis déjà un moment, mais il avait fini par ne plus se défaire du masque de défiance – et de méfiance – qu'il avait pris l'habitude de porter. C'était sans doute ce qui lui avait sauvé la vie si souvent. En outre, il n'était pas particulièrement d'humeur à éclairer une situation qui, du moins le jugeait-il, ne le concernait que lui. Il n'avait pas voulu se confier à Aedelrik sur les événements du Palais des Rois, pas plus que sur son affrontement avec le Dovah, pendant la bataille du mois passé. Son regard quitta un moment la jeune femme pour gagner la porte de tissu et la salle dans laquelle ils s'étaient séparés. Le truand-prince-des-voleurs en devenir n'était manifestement pas sorti et s'emmurait dans sa colère. « Il n'est pas sorti ? » La questionna-t-il, désignant du menton l'endroit où se tenait Foxclaw, avant qu'il ne se laisse aller aux reproches, au pleurs et à l'amertume.


Keith Lyne


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La chasseresse poussa un soupir lorsqu'au lieu de réponses, elle obtint une nouvelle question en retour aux siennes.

"Tu n'es pas vraiment un bavard, hein ?"

Il avait toutefois confirmé ses doutes. Sans avoir totalement compris ce qu'il avait demandé avant de reprendre en hylien, les mots prononcés avaient sonné familièrement à ses oreilles. Tout principalement celui dont ses parents avaient toujours parlé comme de leur patrie.

"Tu peux m'appeler Keith. Je n'ai peut-être pas tué de dragon, ni la garde à mes trousses, mais je me débrouille plutôt bien pour la chasse. Tu sais, les lapins que tu m'as "empruntés"..."

Son ton n'avait toutefois plus rien d'agressif. Des lapins elle en verrait défiler d'autres, son arc était enfin revenu auprès d'elle et elle avait l'esprit plus léger. La colère avait fait place à la curiosité, elle était prête à donner une seconde chance à celui qui s'avérait être l'ami d'un ami, sans doute non sans raisons, et qui pouvait peut-être lui en apprendre beaucoup sur elle-même.

Ses yeux suivirent l'endroit indiqué par l'homme lorsqu'il reprit la parole.

"Non... il vaut mieux qu'il prenne le temps qu'il lui faudra."

Elle resta évasive. Le calme était plutôt rassurant et elle espérait qu'il durerait après le retour de leur hôte. Elle préférait éviter de détailler les problèmes auxquels il était sans doute confronté, il était encore possible que tout ça reste secret. Elle ne pouvait pas faire grand chose d'autre qu'attendre de voir si elle avait fait les bons choix, si ses conseils avaient été suffisants.

"En attendant, pour te répondre plus précisément..."

La jeune femme chercha ses mots, loin d'être habituée à parler d'elle et de ses origines. Elle pouvait difficilement s'expliquer en prétendant une fois de plus être née à Hyrule. Ce demi-mensonge niait une partie pourtant très importante de sa vie.

"Je suis arrivée ici très jeune alors mes souvenirs sont vagues, mais je pense que mes parents venaient du même endroit que toi. La langue que tu utilises... Je crois que j'en connais des rudiments."

De très légers rudiments. De vieux souvenirs, mais auxquelles elle s'accrochait tant qu'elle le pouvait. Il était bizarre de vouloir à la fois oublier ses parents, et toute son enfance, sans arriver à contenir cette soif de connaissances sur ses origines.

"Ils la parlaient parfois, d'abord avec moi, et puis de plus en plus souvent entre eux... Et là, ça fait des années que je ne l'avais plus entendue, mais je peux dire que ça sonne familièrement à mes oreilles."

Elle n'avait jamais croisé l'étranger avant le fameux soir où il avait dérobé son arc. Maintenant qu'elle y repensait, et en le voyant discuter calmement, il lui semblait mieux comprendre pourquoi il avait frappé avant de parler cette fois-là. Il n'avait sans doute pas compris.

"Tu n'es pas à Hyrule depuis très longtemps, j'imagine ?"


Aedelrik


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« Un. Deux. Trois. Quatre. Un. Deux. Trois. Quatre... »

Dans un souffle rauque qui ne ressemblait déjà plus réellement à une voix, assis négligemment sur le sol et son dos reposant sur un mur, Aedelrik comptait. Une main sur le coeur et l'autre faisant claquer ses doigts à intervalle régulier, il luttait à sa manière contre le mal. Il n'avait que trop reconnu les premiers symptômes d'une transformation imprévue et il s'efforçait de conjurer le processus avant que l'irréparable ne soit commis. Pour cela, le voleur répétait à la lettre les conseils qu'il avait reçu d'un savant un peu dérangé mais passionné par la question des hommes-loups ; maintenir l'esprit humain en marche, le concentrer sur une tâche hors de portée d'un animal, et rester attentif aux mutations internes, dont les battements du coeur.

« Un. Deux... Trois ! »

Il serra les dents, de rage. L'espace d'un instant, le compte lui avait échappé. La crise était peut être plus grave qu'il ne le pensait en quittant la pièce centrale, du moins commençait il à le craindre sans oser y croire pleinement. Rien de très surprenant au fond ; Depuis peu, chaque incident s'avérait plus grave et difficile à contrer que le précédent. Mais la plupart du temps, Aedelrik parvenait à encaisser le temps nécessaire pour éviter les dégâts. Sauf que ce jour là, le voleur ne pouvait pas compter sur l'aide de Doklas, et ce pour une raison très simple.
Si la porte de cette chambre s'ouvrait, un drame se produirait de manière certaine. Le Renard n'accordait pas un pet de confiance à Lanre si il devait se montrer en pleine transformation. Le sauvage se contenterait sans doute de lui envoyer une hache en pleine tronche, sans demander plus d'explications...
Un sort presque enviable comparé à ce que pourrait dire Keith en le voyant. Aedelrik frissonna en repensant à ses mots. Si il touchait à une vie humaine, elle le tuerait, sans état d'âme. Le voleur savait au fond de lui qu'elle irait jusqu'au bout ; la chasseresse se sentait responsable de son état, et pour cela, elle ne pourrait pas ignorer le danger qu'il représentait à présent. Il soupira en repensant à cette première fois, dans la forêt. Il gardait de l'expérience un souvenir intense, foisonnant de saveurs et de sensations enivrantes. L'insouciance de ce temps là était à présent recouverte par une ombre malsaine, au rire glaçant.


« Deux. Trois... »

Aedelrik releva le nez avant de finir le compte. Il sentait une odeur particulière. Ou plutôt, une de trop. Cela faisait un petit moment que l'odorat du loup lui était venu, mais jusque là, rien d'anormal ; L'odeur complexe de Keith, celle brut de Lanre, une autre imprégnée de vif-argent de Doklas, la dernière camouflée par du parfum de Kaalis. Là, il venait d'en capter une autre... Ou plutôt un amas. Une meute, non attendue.
Gardant son comptage en tête, le voleur se releva. Il savait déjà qui était entré. En fait, il se demandait souvent pourquoi ce jour n'arrivait toujours pas. Le terrier du Renard était découvert. Par qui, il s'en moquait bien. L'essentiel c'était d'obtenir le temps de creuser un autre trou, et pour cela, il allait falloir se débarrasser des intrus.

C'était une gigantesque connerie, bien sûr.
Combattre la transformation était déjà un tour de force, le faire en se battant à mort, c'était impossible, quasiment du suicide. Mais au fond, Aedelrik était fatigué, las de prendre des précautions et de toujours porter des gants. Si il fallait que ses "amis" voient enfin ses griffes, alors il en serait ainsi. Il pris néanmoins le temps de s'agenouiller devant un petit autel dans le fond de sa chambre où brûlait un bâton d'encens et où pourrissait un lièvre égorgé en l'honneur d'un dieu presque oublié de tous ; le seul qui pouvait l'aider à traverser l'épreuve. Il s'empara ensuite d'un long marteau de guerre et sortit de son sanctuaire.


« Vous deux ! Vous devriez partir, nous ne sommes plus seuls. »

Ses mots étaient secs, comme sa voix, parce qu'il croyait savoir ce qu'allait faire cet imbécile de Lanre. Le barbare avait une logique bien à lui, et autant Keith possédait assez de sens commun pour suivre le conseil pour épargner sa peau, autant l'autre rouquin était du genre à ne pas vouloir tourner les talons, qu'importe qu'ils se soient insultés cinq minutes auparavant. D'ailleurs, ça ne tenait sans doute pas tant à leur amitié qu'à un sens de l'honneur tout aussi imprévisible que primitif qu'on ne rencontrait plus guère que chez certains chevaliers éduqués à coups de bâton et de romans courtois. Il enchaîna donc au plus vite, tentant de couper court toute tentative.

« Dans le mur au fond, derrière les tonneaux, il y a une poterne. Elle donne près d'une porte de la ville. Allez, barrez vous d'ici ! »

Déjà, des pas se faisaient entendre et dés ses premiers mots, Doklas avait sorti une large hache d'un double fond de son établi, tandis que Kaalis, en bonne Sheikah, quittait doucement les ombres d'où elle se reposait. Aedelrik tiqua. Il aurait aimer pouvoir compter sur l'intrépidité de Yoren dans la mêlée mais il allait devoir faire sans lui. En cet instant, sa seule crainte, c'était Lanre.

« Fais pas le con, tires toi. » Murmura-t-il tout bas tout en fixant l'entrée par laquelle ses assaillants semblaient arriver.

Les bruits de bottes se firent de plus en plus audibles jusqu'à ce que finalement le premier intrus ne mette un pied sous l'arche de l'accès menant à la surface. Aedelrik reconnu une petite frappe aux ordres du Teinteur, un gros bonnet parmi les malfrats du royaume. Il baissa le bras, et le carreau jaillit de l'arbalète de Kaalis pour embrocher le malheureux. Le Renard se jeta alors dans la mêlée, l'esprit pourtant ailleurs.


« Un. Trois. Deux. Quatre. »


Lanre


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La paume de sa main droite embrassa doucement son épaule meurtrie, la massant délicatement par dessus le tissu de lin sali et usé. La bataille de Cocorico comptait parmi celles qui laisseraient des marques indélébiles, comme autant de runes tracé au fer au sang pour narrer son histoire. La douleur le secoua comme l'aurait fait un fouet et il grimaça sans chercher à s'en cacher. « Hmpff...— », soupira-t-il, non sans un effort. L'espace d'une seconde, la peine l’arracha à ce monde, voilant son regard d'un suaire sombre, couvrant sa langue d'une saveur amère, étouffant ses tympans derrière le roulement des tambourins de guerre. La jeune femme fit l'effort de lui répondre, mais marqua une légère pause, lui laissant l'occasion de revenir à lui peu à peu. Sans esquisser le moindre son, le Ceald lança sa main en recherche du même alcool à brûler que celui qu'il avalait depuis le début de l'opération... avec l'espoir de ne pas le recracher à nouveau, cette fois-ci. Ses doigts gourds effleurèrent le verre sombre tandis qu'elle se présentait sans plus aucune animosité. Le paria chercha tant bien que mal à attraper le petit récipient, mais ne parvint qu'à en précipiter la chute sur le sol pavé. « D'rall ! »  Siffla-t-il seulement, l'esprit toujours embrumé, le corps rudoyé par la fatigue, la faim et la douleur. Son emprisonnement l'avait laissé littéralement vidé et si l'évasion l'avait gonflé d'adrénaline, d'espoir autant que de rage, la réalité de la situation lui revenait à la gueule, le frappant plus méchamment qu'un ours. L'odeur vive du tord-boyaux lui remonta aux narines et empesta ses naseaux. Soudain, il lui prit l'envie de dégueuler, comme précédemment, mais son claquoir lui semblait plus sec et plus aride que le feu du Dovah qu'il avait affronté ce soir-là. Ses doigts s'agrippèrent au petit tabouret de bois – qui officiait comme une table jusqu'à présent – jusqu'à en blanchir. Son visage tout aussi livide lui conférait un air de revenant et pourtant, il parvint à lutter contre le mal qui enflammait ses entrailles. « Leit'ǣscal... », lança-t-il, haletant, avant de ramener son avant-bras contre son front poisseux et encore taché de sang. Il entoura sa trogne de son épaisse main, se décrassant tant bien que mal le visage.

Le silence retomba doucement alors qu'elle ne scrutait le fond de la pièce, dans la direction qu'avait emprunté le voleur, visiblement anxieuse. Lui renifla bruyamment, tachant de se reprendre autant que faire se pouvait. Son regard, injecté de sang çà et là, suivit celui de la jeune femme, avant de revenir vers elle. Il ignorait quelle relation elle entretenait avec Aedelrik, mais à l'évidence elle le connaissait sans doute mieux que lui ne le faisait. Il inspira longuement sans poser les quelques questions qui lui vinrent alors, la laissant reprendre. Il avait pour habitude d'écouter plutôt que de questionner ou de se dévoiler. Cherchant ses mots, la chasseresse évoqua un passé qu'il devinait difficile au ton. Il la laissa s'exprimer, lui dire comment – et surtout pourquoi – elle pensait venir de chez lui. L’apatride se replia sur lui même, les yeux posés, comme ses bras, sur ses genoux ; le dos rond et la nuque courbée. Ce « chez lui » dont elle prétendait venir à demi-mot, il savait qu'il n'en restait plus grand chose, sinon rien. Les clans libres s'étaient toujours fait la guerre, mais de mémoire d'homme, de doyen ou même de Lęyr, jamais le conflit n'avait connu pareil arrêt. Pas si subitement, pas au détriment d'un monde qui semblait immuable, souvent pour le pire. A genoux devant lui, Keith poursuivit, posant à son tour une question. Il lui fallut un long moment avant de se décider à répondre. Relevant la tête et cherchant les yeux verts marin de la jeune traqueuse, il finit par articuler une phrase intelligible. « Aye. » Glissa-t-il d'abord, confirmant l'intuition de l'amie du Renard. « Quelques mois, tout au plus », reprit-il alors, précisant davantage sa pensée. Son arrivée à Hyrule lui semblait désormais étrangement floue et plusieurs épisodes si vagues... Des faits qu'elle lui reprochait en arrivant, il n'avait pas le moindre souvenir mais il savait aussi qu'il s'était nourri, un temps, en prenant çà et là ce dont il avait besoin. Il ne lui avait pas fallu très longtemps pour réaliser que les Hyliens et lui n'avaient absolument pas le même sens du bien, la même notion de la propriété. Parfois, on l'avait appelé voleur, tantôt on l'avait traité de pillard. A quelques occasions, même, de brigand. Il avait vécu de rapines aux yeux des gens d'ici, quand lui appelait ça un tribut. Au final, la mémoire de cette nuit se mélangeait dans celle de tant d'autres pour ne former qu'une étrange et difforme impression.

Il se souvenait avoir tué quelqu'un aussitôt après avoir gagné les terres d'Hyrule, dans un des cols des Dents-de-Pierre. A l'époque, il ignorait qu'il avait passé la frontière — c'était Aedelrik qui le lui avait appris par la suite. Peu lui importait, de toute façon : face à ce qu'il avait perçu comme une menace, il n'avait pas hésité une seconde à fracasser le crâne de l'inconnue contre une roche plus saillante et plus affûtée que les autres. Ce genre de dilemme n'avaient jamais été les siens. « Et toi », s'enquit-il, le vert-de-gris de son regard glissant jusqu'à une tunique laissée à son effet dans la pièce depuis son arrivée, « de quoi te souviens-tu, en dehors de quelques mots ? » Lui se souvenait de chacune des odeurs que renfermait Helv'ē. De celle du sang à celle, salée, des froides mers du nord. Il se souvenait la gifle du noroît sur sa joue, la morsure du givre. Il se souvenait aussi la chaleur des fourrures de la Maison longue, de la caresse des feu protecteurs. Tout, du chaos des embuscades et des rixes au calme et aux festivités tribales ; tout lui semblait toujours si vivace. Il savait ce monde mort, pourtant, ou au moins parvenait-il à s'en convaincre. Et il le déplorait. L'entendre décrit par un autre l'attirait plus qu'il ne voulait bien s'y résoudre, comme si cela suffisant à l’apaiser, à le ramener en quelque sorte. Grognant en silence, il entreprit à nouveau de masser la plaie que lui avait laissée ce qu'ils appelaient dragon, sans qu'il ne comprenne bien pourquoi. Nyttę̄́ aurait sans doute su atténuer sa peine, mais il devrait se contenter de quelques herbes désormais. Elle aussi appartenait à son passé, dorénavant. Sans un mot de plus, laissant tout loisir à Keith de regrouper ses pensées et ses souvenirs, il s'étira jusqu'à ce que son épaule ne chauffe un peu, comme il avait l'habitude de le faire après une blessure. Sans se lever, économisant au maximum ses mouvements, Lanre récupéra la chemise en toile de coton sans manche. De coloris safran, le tissu était assez léger et les ouvertures aux épaules laissaient largement la peau respirer. Se souciant peu de la présence de son interlocutrice, il passa le vêtement, recouvrant son torse barbouillé de sang séché, quand il n'était pas barré par les cataplasmes, les pansements ou les cicatrices.

Laissant à l'archère l'occasion de commencer son récit, l'étranger tenta de se relever, avant d'être tourmenté par de violentes pertes d'équilibres. Instinctivement, il projeta son bras vers le mur le plus proche... qui se trouvait être à presque neuf pieds de là. Manquant de chuter, le Ceald chercha brièvement à se rasseoir avant que sa pommette ne s'écrase brusquement contre les reliefs grisâtres au sol de l'antre du Goupil. La roche froide empestait l'alcool qu'il avait réussi à presque oublier. Sa mâchoire le lançait et sa tête tournait encore quand il se hissa difficilement sur ses genoux et la paume de ses mains. Ses dents grincèrent durement, la sueur poissant ses tempes qui s'évertuaient à battre la marche comme autant de timbales. Il ne réalisa pas immédiatement que la compagne d'Aedelrik venait à son aide : ce n'est que quand elle posa la main sur son bras qu'il en prit conscience. « Esā », siffla-t-il presque sèchement, rejetant tout secours d'un seul mot. Il était loin, le temps où il avait encore besoin des autres pour se sortir de ses propres problèmes. Ses maux, il les guérissait et il le fait seul. Comme souvent, son dialecte lui était venu naturellement sans même qu'il ne s'en rende compte. Mais à l'évidence, l'intonation avait été plus claire que le mot : Keith s'éloigna sans plus insister. Refusant de rester à terre, malgré la fatigue, le maraudeur se releva une seconde fois, parvenant enfin à se hisser sur ses jambes. Une fois de plus, il s'épongea la gueule, avant de la rejeter en arrière l'espace d'un instant.

Il ne fallut pas plus de temps à Aedelrik pour pousser la teinture qui les coupaient du reste du repaire.

D'une voix plus rauque que celle qu'il lui connaissait, le resquilleur vint les avertir d'une menace particulière. En vérité, à ce moment là, la tête de Lanre vrombissait encore trop pour qu'il ne saisisse chacun des mots du Renard, lequel parlait toujours aussi vite. Ce qui lui mit le plus la puce à l'oreille, c'était le marteau d'arme – assez similaire à certains des becs-de-corbin proposés par l'armurerie du Tournois d'Aegis – qu'Aedelrik tenait fermement. Déportant le regard derrière son camarade d'évasion, l'estropié discerna clairement l'homme qui s'était proposé pour le recoudre, une hache de guerre en main. De l'ombre émergeait lentement une femme qu'il n'avait encore jamais vu jusqu'à présent quand le voleur reprit la parole. « Entendu. » Grimaça-t-il seulement, en hochant la tête, sans chercher un instant à argumenter. Il avait toujours été gouverné par ce pragmatisme froid et le refus de se faire dicter son avenir, son présent et même son passé. Plus qu'aucun autre sans doute, il était en mesure de comprendre la portée d'un choix personnel, d'une décision. En outre, il savait ses propres limites : il ne serait absolument pas en mesure de venir en aide d'une façon ou d'une autre et choisir de se battre ce soir, c'était choisir de mourir. Un chemin qu'il ne comptait pas prendre de lui même. « Distrę̄́, Hetja. » Souffla alors le Ceald, non sans un regard entendu à l'attention de son hôte. Les premiers signes du combat avaient déjà commencé. Après le médecin jouant nerveusement de sa hache, la silhouette de femme avait armé son arbalète. Et maintenant, la lumière des torches projetait sur les murs l'ombre des premiers intrus. Aedelrik s'était déjà éloigné quand Lanre lança un dernier regard à Keith, avant de récupérer le cimeterre que lui avait confié Swann pendant l'évasion, qu'il avait laissé contre un mur. De la pulpe de ses doigts, il sonda le mur pour mieux le longer sans chuter, s'éloignant doucement du champ de bataille en devenir. Pas après pas, il progressa vers la poterne qu'avait indiqué le malandrin, pour enfin arriver à la petite porte après ce qui lui semblait être une éternité. Enjambant avec difficulté les tonneaux, il réalisa alors que l'accès était condamné par l'humidité, l'usure et rongé par les âges. « Faènn.. ! » Lança-t-il d'abord avant de siffler entre ses dents longuement, profondément agacé. D'un geste du poignet, il fit sauter le loquet avec le pommeau de son arme avant de jeter son épaule valide sur le bois vermoulu. La première fois le fit grimacer mais il pouvait sentir la porte bouger, trembler. La seconde fois leur arracha un râle à tous deux, l'un de fer noir et d'acier, l'autre de douleur autant que d'espoir. Haletant, l'Ours décida de ne pas reproduire l'expérience mais plutôt d'envoyer son pied. Avec fracas, les planches de bois mort éclatèrent tandis que l'alliage et l'armature pivotaient dans un grognement métallique. Au loin, le soleil baignait la Citadelle d'une chaude lueur rouge-orangée. Il lui fallait rejoindre Swann au plus vite.


Keith Lyne


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À la satisfaction d'obtenir enfin une réponse fit suite la déception qu'il ne parle pas plus de ce fameux lieu d'où ils venaient tout deux, se contentant à nouveau de lui retourner une question. Même s'il ne niait pas le fait que leurs origines puissent être similaires, il ne s'étalait pas non plus sur la question. Quant à elle, ce dont elle se souvenait...

"Pas grand chose, malheureusement..."

C'était les souvenirs de ses parents plus que des siens. Elle n'avait jamais pris la route pour découvrir la patrie qui la rendait si curieuse, et elle aurait été incapable de dire pourquoi, alors que rien ne l'en empêchait.

"Quand je suis née, mes parents étaient déjà en route pour Hyrule. Le peu que je sais, je le tiens d'eux. Je crois que ce dont ils parlaient le plus, c'était la mer. Ça leur manquait. Du climat aussi, ils se plaignaient souvent."

Fut une période où ils ne lui adressaient plus que peu la parole en dehors des reproches qu'ils avaient à lui faire, mais malgré tout, certaines discussions revenaient souvent.

"Je n'ai jamais su pourquoi ils étaient partis, mais ils évoquaient la fin de quelque chose, je crois que ce sont des changements qui les ont poussés à partir, à imaginer le pire..."

Elle s'interrompit toutefois en remarquant que l'homme chutait. Elle en avait presque oublié ses blessures. Instinctivement elle s'avança pour l'aider à se relever mais le ton qu'il employa fut sans appel. Comprenant que son assistance n'était pas la bienvenue, elle enleva sa main du bras de l'ours mal léché. S'il voulait se débrouiller, qu'il le fasse mais il ne faudrait pas compter sur elle pour le plaindre.

C'est alors que leur hôte fit son retour en criant après eux. Pendant qu'il insistait, surtout auprès de son ami, sur la nécessité qu'ils quittent tout deux le repaire, les yeux de Keith parcoururent la pièce. Elle ne cherchait pas la sortie dérobée, mais une autre arme que l'arc et la hache qu'elle portait avec elle. S'il s'était s'agit d'une rixe à la taverne, même une simple chaise aurait fait l'affaire, mais ici le danger avait l'air plus sérieux. C'est donc finalement sur un des vieux râteliers repérés un peu plus tôt dans la pièce et une vielle massue en bois accrochée dessus que son regard s'arrêta.

Elle ne discuta pas les injonctions d'Aedelrik, ce genre de moment était mal choisi pour débattre, mais elle n'avait pas pour autant l'intention de fuir. Pour une fois ce n'était pas son orgueil qui était en cause puisqu'elle n'avait pas engagé le combat et que celui-ci ne la concernait que peu. Deux raisons la poussaient à rester. D'abord parce qu'elle n'avait toujours pas renoncé à garder un œil sur le louveteau, d'autant plus dans ce genre de cas. Ensuite parce qu'elle n'avait tout simplement pas l'habitude de laisser un ami en difficulté derrière elle sans se préoccuper de l'évolution de la situation.

Elle regarda distraitement partir le Ceald et les réponses à ses nombreuses questions s'évanouir avec lui. Elle s'empressa d'aller se saisir de l'arme qu'elle avait repérée et son attention se reporta sur les intrus qui faisaient irruption dans la pièce. Il n'était plus temps d'hésiter, et faisant suite à Aedelrik et ses compagnons elle se jeta dans la mêlée.

Nul n'avait véritablement le temps de prêter attention aux autres dans la cohue, mais si spectateur il y avait eu, il aurait pu être étonné par le choix des coups qu'elle portait. Certains auraient même pu penser qu'elle improvisait ou ratait sa cible, mais ceux-là étaient de ceux qui n'auraient pas remarqué la hache restée à sa ceinture, à dessein. Le gourdin frappait, assommait, mais aucun des coups qu'elle portait ne laisserait plus de dégâts que de gros bleus ou de douloureux maux de tête une fois leurs victimes revenues à elles. Elle ne tuerait pas pour une querelle dont elle ne connaissait rien.

Keith croisa le regard du voleur et un sourire espiègle étira ses lèvres. Elle ignorait s'il venait juste de la remarquer ou s'il s'était déjà aperçu plus tôt qu'elle n'avait pas vraiment écouté ses recommandations. Apercevant une ombre fondre derrière lui, elle se glissa dans son dos pour s'interposer. Qu'il ait été capable ou non de se débrouiller seul, ça lui éviterait à elle aussi d'avoir à surveiller ses arrières.

"Il faudra que tu m'expliques comment tu arrives à te faire autant d'ennemis."

Elle bloqua le coup de l'assaillant avant d'envoyer valdinguer sa massue contre la tempe de l'effronté.

"Quand la situation sera calmée, je crois que j'ai bien gagné le droit à une petite explication autour d'une pinte non ?"


Aedelrik


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« Six. Sept. Huit. »

A mesure que les intrus franchissaient le seuil, le voleur s'efforçait de tenir le compte, sans faire attention à ceux qui tombaient ensuite sous ses coups ou ceux de ses associés. A dix, il commença à perdre le fil. A douze, il cessa de compter. Aedelrik n'en était de toute manière plus vraiment capable. Son marteau dansant autour de lui en de grandes envolées, ses yeux attentifs à la première opportunité de décoller une tête ou d'enfoncer des côtes, il devait aussi s'efforcer de ne pas en offrir à ses adversaires. C'était le gros défaut de cette arme, dont sa faible expérience à la manier lui donnait l'impression de n'être qu'un débutant au milieu d'une assemblée connaissant bien mieux leur affaire que lui. Kaalis ne ratait que peu de tirs, même si la plupart ne réduisait pas aussitôt leur cible au silence éternel. Dohklas maniait sa hache avec une précision toute chirurgicale, tranchant membres et jarrets dés qu'il en avait l'occasion, en économisant ses forces déclinantes. Même Keith, à sa grande surprise, dévoilait un talent insoupçonné dans cet exercice, bien qu'il sente néanmoins chez elle une certaine pudeur, comme une réticence à réellement porter les coups.

Il réalisa soudain, en ayant observé du coin de l'oeil tous ses compagnons d'affrontement, que Lanre avait finalement pris la poterne et il remercia sincèrement les dieux. La situation était bien assez merdique sans que le rouquin ne le gratifie d'un nouveau coup de sang... Surtout si son état venait à empirer. Même Keith... sa présence compliquait les choses. Aedelrik avait prévu de se laisser possiblement aller, d'expurger la crise avec un peu de sang frais, sitôt que ses deux invités l'auraient laissé avec les intrus. Il croisa son regard, capta son sourire et sa gorge se serra en même temps que ses tripes. De toutes les choses désirables qui pouvaient lui arriver, une conversation franche avec la chasseresse était en bas de sa liste.

Un mouvement imprécis, sur sa gauche.
Il imposa une violente torsion à son tronc et ramena le marteau avec tout l'élan possible sur le malheureux, qui avait légèrement glissé en tentant de s'approcher. Déséquilibré par les pierres humides, il ne put reprendre appuis pour éviter la montagne d'acier et sa vulgaire broigne explosa sous le choc, le projetant à plusieurs pas, complètement sonné. Mais tandis que Aedelrik reprenait sa position, son regard capta l'éclat d'une lame sur ses arrières. Il projeta le long manche de son arme vers la trogne de l'ennemi mais manqua ce dernier d'un cheveux. L'enfoiré avait vu son coup stoppé net par Keith, décidément diablement efficace. Juste avant que l'assaillant parte face contre terre, les tempes écrasées par sa massue, elle lui envoya une boutade qui le fit sourire en retour.


« Malgré ce que tu insinue, je ne les connais pas ! » Le marteau rencontra un genoux et le pauvre à qui il appartenait s'effondra sur le sol en hurlant. Aedelrik donna alors de la voix pour se faire entendre. « Quelqu'un a dû voler leur goûter, et ils se vengent sur moi ! »

Le Renard savait très bien qu'un trait d'humour ne lui éviterait pas longtemps la possible confrontation entre l'idée que Keith pouvait se faire de lui et la sordide réalité de ce qu'il était, mais au moins cela lui évitait il de trop y penser. Réfléchir était un luxe que les sbires de ses ennemis ne semblaient pas vouloir lui laisser. Malgré leurs pertes, ils restaient en surnombre et les forçaient à reculer, toujours un peu plus. Aussi l'amusa-t-elle à nouveau en lui parlant de ce qu'ils feraient, ensuite. Encore fallait il qu'il y ait un ensuite.
Il lui jeta un regard, alors qu'elle repoussait un pouilleux armé d'un surin et fut frappé par son courage. La chasseresse aurait pu fuir dix fois, en empruntant le même chemin que Lanre, et en le laissant à ses affaires. Et pourtant elle se tenait là, à couvrir ses arrières, à risquer sa vie pour lui. Après ça... Elle mériterait sans doute ce qu'elle lui demandait. Et peut être plus.
« Keith... »

Une lance jaillit soudain dans son champ de vision. Le Renard avait trop réfléchi. Il ne l'avait pas vu venir. La lame percuta son flanc, s'y enfonçant profondément en déchirant les couches de vêtements dessus. Aedelrik entendit le hurlement de Kaalis tandis que son esprit perdait pied. L'odeur de son sang lui arrivait aux narines, sa vue s'embrouillait. Il n'eut que le temps de murmurer « Cachez vous. Cachez... » Puis il sentit son corps se transformer, et s'endormit.

Le loup ouvrit ses yeux. Il avait encore rêvé trop longtemps. Dans son rêve, il était faible, petit, dénué de griffes et de crocs. Rien n'avait de vraies odeurs, ni de vrai goût. Le monde et ses couleurs étaient plus vives, mais ne vivaient pas plus pour autant. Quand tout autour de lui était fade, sans saveur, alors il se savait en train de dormir. Mais là...
La bête renifla, sentit l'odeur du sang, son sang. L'odeur de La louve, à côté de lui, à qui il adressa un regard empli comme toujours de respect et d'affection. L'odeur des humains avec qui il rêvait souvent, une bonne odeur, qu'il aimait bien. Et puis, l'odeur de la peur, de l'inconnu, de l'étranger.

Des hommes se tenaient devant lui. Ils étaient beaucoup, mais petits, faibles et terrifiés. Il grogna, et entendit leurs gémissements. Il se déploya, sur deux pattes arrières, sa forte musculature gonflée vers l'avant, dévoilant ses griffes imposantes. Les hommes se recroquevillaient sur eux mêmes, certains laissant tomber leurs armes. Il sentait le sang, il avait faim, et soif. Il fit un pas, et provoqua aussitôt la fuite de ses proies. Se léchant les babines, le loup prit appui pour s'élancer à leur poursuite, banda ses muscles et,


« Un... »

Il releva la truffe, rendu soudainement inquiet par cette voix qui n'avait pas d'odeur, qui ne venait de nul part. Il cherchait, autour de lui, mais impossible de trouver son origine. « Un. Deux. Calme toi. » Il grogna, sous l'effet de la peur, de la sienne cette fois. En proie à un malaise grandissant, ne comprenant pas ce qui était en train de se passer. « Ne me crains pas. Crains la, elle. » Le loup se retourna, vers elle, la cheffe de leur meute, et sentit quelque chose qui ne lui plaisait pas. Elle ne montrait pas les crocs, n'hérissait pas le poil, mais quelque chose n'allait pas. Quelque chose qu'il comprenait sans comprendre. Son visage, humain... Son visage était en colère.

Aedelrik le loup sentit une terreur poindre en lui. La bête ruait avec la violence de l'instinct contre ce qui lui arrivait à l'intérieur, et l'homme ne parvenait pas à reprendre le dessus. Il hurla, se griffa la poitrine comme pour en extraire la voix qui le tourmentait, projeta sa tête contre un mur pour l'en chasser, et il hurla de plus belle, en un son lourd, lugubre, une prière à des dieux oubliés, une complainte adressée à des sourds, un chant de solitude. Il hurla, de colère, de peur, de tristesse, et s'effondra finalement, comme sous le poids d'un fardeau trop lourd pour lui. Ses yeux le brûlaient. Des yeux où se mêlaient le vert et l'or.


Keith Lyne


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Le combat s'était terminé de façon abrupte et depuis le départ de leur dernier opposant un silence de plomb s'était installé dans la pièce.

La voix de Keith, énervée, fut la première à rompre le silence.

"Tout le monde dehors. Dehors !"

Elle n'avait pas crié mais le ton était dur et sans appel. Un doigt accusateur pointa en direction du loup qui avait fini par se calmer.

"Sauf toi."

L'homme qui s'était battu à la hache fut le premier à se diriger vers la sortie, mais leur compagne de bataille semblait hésiter. Keith avait bien conscience que cet endroit leur appartenait plus qu'à elle, mais la rage la brûlait et elle voulait en finir au plus vite.
Et contrairement à ce qu'on aurait pu penser, c'était contre elle-même qu'elle était le plus en colère. S'ils en étaient là c'était qu'elle n'avait pas su gérer la situation. Par chance aucune canine n'avait mordu la chair cette fois, mais si elle n'avait pas été là ? Qu'est-ce qui lui garantissait que ça ne s'était pas encore produit ? Et même sans dégâts humains le mal était fait. Combien de temps avant que toute la Citadelle ne parle de l'homme loup ? Tous ne les croiraient pas, mais certains oui, et petit à petit l'information progresserait.
Ses paroles se changèrent en cris alors qu'elle répéta son ordre.


"J'ai dit dehors, maintenant !"

La rouquine ne sut si c'était dû à son insistance ou un discret acquiescement de son camarade qui l'avait précédée mais la jeune femme finit par rejoindre aussi la sortie. La chasseuse se retrouva seule avec l'objet de sa colère.

"Toi. À nous deux maintenant. Et je ne te laisserai pas l'excuse de ne pas me comprendre."

Elle retira rageusement les diverses couches de fourrure qui la couvraient et qu'elle ne souhaitait pas abimer.

"Sérieusement, qu'est-ce qui ne va pas avec toi !? D'abord soumis à la lune comme dans les vieilles légendes, mais maintenant ça ?"

Lorsque le dernier de ses vêtements fut à terre, elle fit le vide dans son esprit. Comment enseigner un geste qui lui paraissait si instinctif ? Peu à peu la fourrure émergeait de sous sa peau, son corps changeait, et elle se trouva vite à quatres pattes à côté de la pile de pelisses.

La louve n'en avait pas pour autant retrouvé son calme. Ses babines se retroussèrent et un grognement sourd se fit entendre.

"Tu nous mets en danger. Tous. Tu devrais savoir mieux qu'aucun autre loup comment l'homme réagit quand il a peur."

C'était au moins l'un des avantages de partager deux identités.

"Si la rumeur progresse, ils se mettront vite en chasse de la bête qui les effraie. Ils ne se contenteront pas d'un trophée et ils n'auront que faire de savoir s'ils ont vraiment trouvé leur cible."

Elle osait espérer que ça n'arriverait pas cette fois, mais il ne faudrait sans doute pas longtemps si les témoignages venaient à se multiplier. Elle craignait pour la vie de loups innocents.

"Et je n'ai pas oublié mes menaces. Je ne t'ai pas offert ce don pour faire couler du sang humain, tu t'en tires suffisamment bien avec tes mains pour ne pas avoir besoin de crocs."

Il ne s'agissait pas vraiment d'un compliment. La louve n'avait pas oublié les corps autour d'eux. Elle ne souhaitait d'ailleurs pas s'attarder. Les compagnons d'Aedelrik se chargeraient sans doute de faire le ménage. De toute façon il ne pourrait pas les aider sous cette forme.

"On va essayer de régler ton cas mais ailleurs. Ton ami doit être déjà loin, on peut emprunter le même passage. Où est-ce qu'il débouche ?"

La louve s'empressa de fouiller dans le petit tas que formaient ses vêtements pour récupérer son arc et le saisir si délicatement que possible entre ses crocs. Le reste elle le récupérerait plus tard. Elle disposait de caches avec des vêtements de rechange, mais cet arc elle ne le laisserait pas à nouveau derrière elle.


Aedelrik


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(vide)

A moitié sonné par son geste de panique, le loup sentit pourtant son poil se dresser à la voix de la chef de meute. Elle le terrifiait, plus qu'aucun des siens ne l'aurait pu, plus qu'aucun prédateur qu'il connaissait. Pour apaiser un des siens, la bête savait s'y prendre ; se coucher, se retourner, montrer sa soumission... Pour échapper ou combattre un prédateur, il savait, instinctivement, sans même y penser. Mais là, cette humaine qui était des siens, elle criait, comme les humains, et ses cris le terrifiait. Comme lors d'une nuit noire, quand il croyait voir des dangers dans chaque recoin sombre autour de lui, le loup sentait son moi harcelé par des sons insaisissables mais pourtant là, à la frontière de sa compréhension. Des sons dont il pourrait être capable lui aussi, si il essayait de... siffler, d'une manière étrang...

« Euargh. »

Le grognement qui jaillit de la gorge de la bête fut le goutte d'eau de trop. Celle ci se recroquevilla dans un coin de la pièce, trop tétanisée pour réagir. En refluant, le loup permit à l'humain de s'imposer et Aedelrik refit soudain surface, hoquetant à travers cette gorge étrangère, comme un presque noyé perçant la surface de l'eau. L'instant de réveil s'avéra un enfer sur terre ; Son corps, ses sensations, sa perception de la réalité, tout lui semblait étranger, anormal, difforme. Tout son esprit se rebella d'un coup, et il en eut une nausée atroce. Ce fut la voix de Keith qui le tira de cet état.

« Sauf toi. »

Aedelrik releva la tête, croisa son regard et entra aussitôt en empathie totale avec le loup en lui. L'espace d'un instant, leurs peurs se confondirent et le malaise disparut mais seul lui pouvait comprendre le sens de ses mots, ce qu'ils impliquaient comme scénarios tragiques, et les deux êtres se scindèrent à nouveau. Le voleur retomba ainsi dans son état maladif et il fut incapable d'intimer à ses associés de rester. L'un après l'autre, il les observa, terrifié, quitter la pièce et le laisser seul, avec elle. Seule Kaalis sembla hésiter mais la détermination de Keith et le silence d'Aedelrik la décida. Ce dernier voulut hurler, la supplier de ne pas l'abandonner, mais il ne parvint qu'à grogner et à baver bien piteusement. Lorsque la porte se referma, l'homme-loup ferma les yeux et tâcha de se rassembler, pour affronter au mieux ce qui allait arriver.

Sa première surprise fut que Keith ne l'achève pas sur le champ. Lorsqu'elle l'avait fait promettre de ne jamais attaquer un homme en tant que loup, elle ne semblait pas prête aux compromis et à accepter des excuses. Son message avait été aussi direct que brutal ; Tue et je te tuerais. Le voleur s'attendait à un jugement tout aussi expéditif, mais c'est en entendant les vêtements de son amie tomber sur le sol qu'il prit conscience de, peut être, bénéficier d'un léger sursis. Aedelrik observa avec admiration les courbes de la femme-loup changer du tout au tout, se couvrir d'une belle robe grise. C'était si facile pour elle, si naturel. A côté, lui se faisait l'effet d'un monstre. Et en repensant à ce qui l'avait mis dans cette situation, il fallait en réalité bien l'admettre.
Comparé à Keith, il avait tout de l'abomination.

Elle grogna, montra ses dents, le força à soutenir son regard glaçant. Et elle lui parla, comme ils le faisaient lorsqu'ils étaient tous deux des bêtes. Mais cette fois, en face de la louve, il y avait plus qu'un simple loup. Et en comprenant les mots de celle ci, Aedelrik replongea dans les tourments. L'humain et le loup se déchiraient, chacun réagissant à ce qu'il entendait, chacun se bousculant pour occuper leur unique esprit. Le monstre hurla, à la fois comme un homme et comme une bête, son visage se tordit en une grimace malsaine, et il rua à nouveau contre le mur en espérant se calmer.

Il ne parvint qu'à s'assommer à moitié, mais ce fut assez pour apaiser la tempête sous son crâne. Son regard se posa à nouveau sur la louve. Impossible de dire si elle avait compris ce qui venait de se passer, ses grognements ne trahissaient rien. Elle lui passait encore un savon, lui parlait des risques, lui rappelait sa promesse...


« ...Pas c'que 'u crois. »

C'était tout ce qu'il était en état de penser et de prononcer. Aedelrik se sentait en proie à un mal étrange, comme si chaque mot râpait sur sa langue avant d'être prononcé d'esprit à esprit. Ses pensées n'étaient pas aussi fluides qu'elles le devraient, ses sens paraissaient complètement détraqués ; Une torche située à l'autre bout de la pièce l'éblouissait alors que celle en face de lui semblait se consumer sans projeter de lumière. Trop concentré sur ces bizarreries pour écouter attentivement, il comprit néanmoins sur quoi Keith le questionnait quand elle désigna le tunnel d'un coup de museau. Rassemblant péniblement ses idées et ses mots, il répondit, lentement,

« Tunnel de contrebande. Passe en dessous des murs, et sors dehors, dans bosquet proche d'a ville. »

Comme Keith s'y engageait avec autorité, Aedelrik se redressa, détendit son dos et constata à quel point il dominait la louve par la taille, et ce pour une raison évidente ; il se tenait naturellement sur ses deux pattes arrière. Rejetant cet instinct qui lui semblait anormal et malsain, il retomba à quatre appuis et avança vers le tunnel. Au dernier moment, il se retourna, considéra les lieux avec la désagréable impression qu'il ne reviendrait plus avant longtemps. Ses sens persistaient dans leur bizarrerie et il crut même apercevoir une silhouette dans la flamme sans lumière d'une torche. Comme un tronc décharné, doté de bois de cerfs. Le poil dressé sur son échine, le loup quitta sa tanière.

* * *

Aedelrik crut qu'il allait virer chèvre dans ce foutu tunnel. Pourtant, il l'avait arpenté plus souvent qu'à son tour, étant donné qu'il avait fait une bonne partie du travail consistant à relier la crypte abandonnée à l'une des voies dérobées des contrebandiers de la ville. Ce chemin, en réalité deux, il le connaissait pour ainsi dire par coeur. Mais cette nuit là, le voleur n'était plus lui même et ses yeux semblaient obstinés à le tromper tout autant que ses chevilles à le trahir.

Plus d'une fois, il se demanda si chacun de ses transformation le rendait aussi balourd et maladroit mais il était persuadé que fouiller sa mémoire en quête d'une réponse serait inutile. Aedelrik ne gardait jamais aucun souvenir de ces nuits de rage incontrôlée, et chaque réveil vibrait de l'angoisse d'une découverte macabre. Au moins, depuis qu'il avait pris ses précautions dans la crypte, il s'éveillait plus souvent couvert de chaînes que de sang. En un sens, c'était un progrès, mais en réaction, ce qui l'habitait au fond de lui semblait de plus en plus frustré et... explosif. Un peu comme un drogué d'opium à qui l'on couperait trop sa dose ; Aedelrik ressentait grandir un besoin de... De quoi, il l'ignorait, mais c'était cette soif même qui l'inquiétait. Il savait après quel genre de nuit celle ci s'apaisait ; il s'agissait très précisément des nuits dont Keith ne devait pas entendre parler. En y repensant, il constata avec perplexité que contrairement à d'ordinaire, des souvenirs lui revenaient, assez naturellement. Une odeur, une forme en mouvement...

Perdu dans ses pensées, il oublia une nouvelle fois de se baisser et se cogna violemment la tête contre une poutre soutenant le plafond.


« Ugh... 'vais devenir fou. »

Si seulement il avait pris une torche...
La réalité le heurta comme cette poutre ; douloureusement. Il réalisa soudainement que ni lui ni Keith n'avaient amené de quoi éclairer le tunnel. Pourtant, malgré l'obscurité, il discernait assez clairement la surface rêche des murs, la silhouette de la louve, les flaques d'eau devant lui tombées du plafond. Il voyait. Comme aucun humain n'était sensé le pouvoir dans pareille situation. Aedelrik déglutit bruyamment, le coeur serré. Son regard croisa celui de la louve, et il tâcha de masquer son trouble derrière la douleur de son crâne, puis reprit sa marche bancale, l'esprit en émoi.

Lorsqu'ils atteignirent le bout du tunnel, marqué par une longue échelle de corde, le voleur réalisa à quel point l'escalade allait s'avérer une épreuve, dans son état. Un instant, il pensa à faire demi-tour et à laisser Keith monter seule mais cette dernière lui désigna l'objet avec une expression qui ne laissait aucun doute sur sa détermination à ne pas le laisser filer. Une main suivie d'un pied, un membre après l'autre, Aedelrik chercha le meilleur appui et commença à monter. Il se sentit rapidement mal assuré et déstabilisé, au point où, à mi distance, un défaut de l'échelle lui fit rater un appui. Se raccrochant par réflexe en griffant le mur, il pris conscience de la taille de ses griffes et de la facilité qu'il avait à se tenir à cette roche meuble plutôt qu'à cette corde traître. Il acheva donc l'ascension à la manière d'un écureuil, et souleva finalement la trappe qui le libérerait de cet enfer sous-terrain.
A peine était il sorti que les odeurs l'assaillirent, comme jamais. L'aube pointait, et la rosée tombait doucement sur le bosquet, levant toutes les effluves tombées pendant la nuit. C'était meilleur qu'un vin vieillit en fut, et suffisant pour l'enivrer l'espace d'un instant. Mais celui d'après, son regard se posa sur une trace d'homme, fraîche. Lanre avait réussit à sortir, malgré l'échelle. Un vrai condensé de force et de volonté. Le loup tenta de percer les feuillages dans la direction de la trace mais il ne vit pas la silhouette du Ceald. Les dieux savaient où celui ci était parti. En revanche, les premiers rayons du soleil lui parvenaient à travers les feuilles et il en sentait déjà les effets. Sans doute le loup ne resterait il pas longtemps, et déjà ses pensées se faisaient plus claires.
Aedelrik entendit alors Keith s'approcher et il se prépara à la tempête. Ou plutôt, en marin désireux de revoir la terre ferme, il la devança,


« Bon. Je sais que tu es furieuse. J'ignore quelle part tu sais de tout ce qu'il y a à savoir, mais ça n'est pas vraiment ma faute ! J'essaye de faire au mieux mais je ne contrôle pas ça, comme toi. Alors ça a parfois pu me prendre par surprise, mais le plus souvent... » En fin de compte, soutenir le regard de son amie s'avérait plus dur qu'il ne l'avait cru et sa phrase mourut sur sa langue. « ... Désolé. Je n'aide pas mes semblables, mais je ne t'ai pas menti sur une chose ; J'essaye de faire de mon mieux. Ca ne m'amuse pas de me réveiller près d'un pauvre gars dont je me souviens même pas, avec son sang dans ma bouche. Mais quand elle appelle... Je peux pas résister. »

Il chercha la lune du regard mais le soleil l'avait chassé pour de bon. Aedelrik se sentait soudainement fatigué, une part de lui aurait presque été soulagé que Keith tienne sa promesse et ne mette fin à tout ce bordel. Mais une autre, plus brut, le refusait obstinément, lui intimait de répondre à la moindre menace. Perdu au milieu, Aedelrik ne savait plus quoi faire.

« J'ai besoin qu'on me montre ma place, dans tout ça. »

Rarement mots aussi sincères avaient passés ses lèvres.