Posté le 31/08/2017 17:06
Les flammes ne crépitaient plus à présent. Les braises rougeoyaient timidement, clignotant comme autant de lampions dansants lors des fêtes annonçant la nouvelle saison, rouges. Les criquets chantaient incessamment, masqués parmi les innombrables brins d'herbe ployant, souples, sous la faible et douce brise matinale. Les chouettes allaient cesser leur chasse nocturne pour retourner nourrir leur portée aux creux des arbres grinçants. La nuit laissait tranquillement l'aube se dessiner derrière les lointaines chaînes de montagnes présidant le pays d'une ombre hautaine, souveraine, impérieuse. Les premiers oiseaux de la journée entonnèrent leurs chants cristallins comme pour inciter la nuit à se faire plus brève. Les petites étoiles perchées sur leur piédestal céleste se fondaient dans le camaïeu sombre azur, pâle rose, vif orangé que peignaient les Déesses pour annoncer la matinée. Comme à l'accoutumée un coq, au loin, s'autoproclama héraut et fit résonner à la suite de celui des oiseaux, son propre chant, annonçant les premiers rayons blafards de l'astre-roi.
Il était temps.
Accroupi jusqu'alors, il se leva non sans mal dans un craquement de genoux douloureux qui le fit grimacer. L'homme n'avait guère dormi de la nuit. La chasse au lièvre l'avait occupé tout du long, sans compter le désespérant surplus de bois et brindilles accumulés près du feu de camp, inutile, qu'il avait passé au moins deux heures à ramasser. Son repos fut bref, pour ne pas dire inexistant, et la marche de la veille, éreintante. Il s'était levé, somme toute, car un effroyable grincement métallique venait de retentir, et c'est ce qui le fit sortir de sa méditation absente sur les braises du feu sans flammes. Le cliquetis des chaînes, tout près, laissait supposer la levée de la herse de la Citadelle. Enfin.
Il plaça sa dextre verticalement près de son visage pour masquer la lueur solaire, plissa les yeux et admira placidement le pont-levis s'abaisser et grincer à son tour dans un nouveau cliquetis de mailles abîmées, sûrement en proie à une rouille future.
Plusieurs coups de pieds au sol renvoyèrent quelques pelletées de terre sur les braises mourantes. Son paquetage déjà prêt, l'homme n'avait plus qu'à hisser l'énorme et lourde besace contenant toutes ses affaires sur son dos. Puis en quelques pas, il rejoignit le pont-levis qu'il franchit doucement, jetant un regard hésitant au fond des douves crasseuses.
L'obscurité fit rapidement place à l'éclaircissement matinal et un garde, tout d'armure vêtu, éteignit les torches dégoulinantes de suif encadrant l'arche de pierre de l'entrée de la Citadelle d'Hylia. Ce même garde s'empressa de barrer brusquement le chemin du voyageur d'un signe menaçant à l'aide d'une de ses torches qu'il n'eut le temps de reposer à son emplacement mural. Son autre main, la dextre, tenant fermement une hallebarde de facture douteuse, au tranchant moyennement entretenu.
"Holà, vous ! Qu'est-ce qui vous amène à la Citadelle d'Hylia ? Veuillez décliner votre identité et ouvrir votre fourbi, nous devons contrôler les entrées et sorties dans la ville." Le chevalier détailla son interlocuteur de la tête aux pieds et constata la présence d'une épée et d'un couteau de chasse au flanc gauche, d'une dague ouvragée et d'un titanesque marteau de forge au flanc droit, suspendu à la ceinture par sa table. Dans le dos, l'arc et le carquois, ainsi que l'énorme paquetage d'où dépassaient quelques outils dont les poignées d'une large et longue pince noircie et ce qui s'apparentait à un tison. "Vous semblez bien trop chargé à mon goût, êtes-vous colporteur d'armes ? Mercenaire ? Ou quelque chose de moins engageant encore ?" Le ton du soldat se faisait à la fois assuré, fort et inquiet à la fois. Son emprise sur l'arme d'hast se raffermit au son métallique que provoqua son gantelet. Derrière lui, un autre garde plus jeune qui semblait discuter avec une femme peu recommandable releva subitement la tête et se précipita vers son collègue.
"Ma foi, vous pouvez bien me fouiller, mon brave, mais j'ai ici la seule chose sensible de vous intéresser." L'homme fit glisser sa main derrière ses reins, au niveau de la ceinture, et le soldat pointa immédiatement sa hallebarde sous son menton barbu. L'autre chevalier arriva, pointant également sa lance sur l'individu étranger, puis le premier des deux fit signe au second de se saisir de l'objet dans le dos du voyageur. Ce dernier leva insolemment le yeux au ciel tout en immobilisant sa main droite avec l'objet en question en main, tandis que sa senestre vide se leva doucement en l'air en signe de reddition. L'autre soldat, le jeune, était passé dans son dos et s'était saisi de l'objet qui s'avéra non une arme comme les deux gardes le craignaient, mais un simple rouleau de parchemin.
"C'est qu'une missive, Ser Rodrik, ça va.
-Fais-moi voir ça." Le Rodrik en question s'empara du rouleau dont l'autre garde venait de briser le scellé. Il jeta un œil au cachet de cire. Son visage blêmit soudainement et ses yeux s'écarquillèrent au point de sortir de leurs orbites. Rodrik ne bougea guère pendant au moins cinq secondes et frappa brusquement son collègue d'un revers de gantelet sur le heaume, ce qui paru sonner le jeune garde.
"QUOI ? Mordiable ! Mais qui m'a collé un coquebert pareil ? «C'est qu'une missive Ser Rodrik, ça va» ? Mais bon dieu de merde, t'étais déjà en train de courir la ribaude au lieu de suivre les leçons d'héraldique ? Tu ne reconnais dont point le blason du Seigneur Darunia ? Quel est ton nom, recrue ?
-D... Dillion, Ser.
-Bien. Recrue Dillion. Sache que je ferais mention de cette erreur au général lors de mon rapport quotidien, ce soir. T'es mal, mon gars. Maintenant renvoie-moi de suite cette puterelle qui traîne derrière toi dans son bordel, à moins que tu ne préfères l'accompagner également ? Mh ?
-N... Non, Ser. Je me remets au travail.
-Barres-toi. Bon." Dillion s'éclipsa. Rodrik soupira longuement et réajusta son gorgerin. Il avait rougit et avait chaud. Une infime goutte de sueur perlait de son front vers sa tempe. Il semblait visiblement extrêmement gêné de l'affront qu'avait causé Dillion.
Tout du long, le voyageur était pris d'un fou rire incontrôlable. Rodrik rendit le parchemin dont il avait maladroitement essayé de remettre le sceau en place, sans succès, à son propriétaire, toujours amusé par la scène. Le chevalier reprit son calme difficilement et s'écarta du chemin de l'étranger. "Je vous accompagne au Castel Royal.
-Ha ha... hem. Laissez. Je m'y rendrais moi-même. Guère envie de m'encombrer de gardes. Mon paquetage est assez lourd comme ça. Je dois visiter un peu la Citadelle de toutes façons. Salut à vous, Rodrik."
Le voyageur reprit la missive des mains du soldat et n'eut guère le temps de réaliser si oui ou non Rodrik avait réagi à la pique qu'il lui avait envoyée. Il s'en foutait royalement et reprenait son chemin en direction de la ville.
Une fois la longue allée séparant de la Place du Marché passée, l'étranger put enfin admirer pour la toute première fois toute l'étendue de la Citadelle d'Hylia. La journée avait beau n'en être qu'à ses balbutiements, une foule incroyable déambulait déjà dans toute la place. Par centaines, maçons, charpentiers, artisans, portefaix, colporteurs, éleveurs, agriculteurs, et autres commerçants se répandaient dans les artères de la place entourant une glorieuse fontaine. Ils affluaient, s'agitaient, s'échinaient, tout un peuple d'insectes laborieux. L'étranger s'émerveilla devant tant d'agitation mais quelque chose pressait plus que de partir en quête des curiosités et mystères de la Citadelle. La chasse de la nuit dernière ayant été un échec honteux, il lui fallait à présent prendre un copieux repas. Et pour cela, il devrait trouver une taverne, qui plus est ouverte à cette heure-ci.
Eckard réajusta la sangle de la besace sur son épaule et partit donc en quête d'un établissement, s'enfonçant profondément dans les méandres bruyants de la Citadelle.