Posté le 28/09/2015 18:06
-Mais Monseigneur, vous ne pouvez pas nous expulser ainsi ! Ces terres nous appartiennent !
-Silence, gueux, et retiens bien ce que je m’apprête à te dire.
Abel venait de lever une main impérieuse, son beau visage plein d’une arrogance insupportable. Face à lui s’élevaient les bâtisses en bois d’une petite ferme, dont le passage était barré par un paysan seul et de toute évidence de condition modeste. Abel se pavanait ouvertement, vêtu d’une belle chemise en lin dont le blanc éclatait sous le soleil, ainsi que d’un pantalon violet paré de fils d’or brodés sur les côtés externes.
-Je suis riche, et toi t’es pauvre, lança grossièrement le noble. Je fais les lois et tu obéis.
-Mais-…
-Les pauvres, c’est fait pour garder la bouche étroitement fermée ! Si je souhaite réquisitionner ta ferme pendant une durée indéterminée, alors que j’en suis le propriétaire -il ne faudrait tout de même pas oublier que je te l’ai achetée- c’est là tout mon droit.
-Mais où voulez-vous qu’on aille pendant ce temps, ma femme, ma fille et moi-même ? répondit l'homme effaré.
-Prenez des vacances ? Ou allez mendier dans les rues pour voir qu’il y’a pire que vous ? Je vous rendrai votre ferme, un jour !
-Ce… ça ne se passera pas comme ça ! s’exclama le paysan qui rougissait de colère.
-Ah non ? Abel leva un sourcil, et prit sa voix la plus onctueuse. Parles-en à la cour si tu le souhaites, paysan -Abel renifla- mais la justice Hylienne sera de mon côté. J’ai tous les droits ici. Ta ferme n’est plus entièrement tienne depuis que j’en ai fait l’acquisition.
Le paysan ouvrait et refermait la bouche comme s’il souhaitait répliquer, mais aucun son ne parvint au dehors, sinon des bégaiements furieux.
Abel fit volte-face et remonta élégamment sur son cheval.
-Je te veux toi et ta famille hors de la ferme dès demain, au lever du soleil ! Salut !
Abel et son cheval délaissèrent alors un homme en proie au désarroi, immobile devant sa ferme qu’il devrait abandonner jusqu’à nouvel ordre. Le blond éclata de rire en solitaire lorsqu’il se prit à imaginer la tête de ce paysan, s’il savait ce qu’allait devenir sa ferme dès le lendemain. Elle allait devenir une cachette… pour la plus jolie proie qu’il ait jamais attrapée, mais aussi la plus sauvage.
Des jours et des jours s’étaient écoulés depuis la dernière bataille de Cocorico, dont Abel tirait une immense satisfaction malgré la défaite des Dragmire. Il avait non seulement gagné son duel, mais avait en plus mis la main sur l’une des plus importantes personnalités de l’Eglise. La prêtresse de Farore, qu’il appelait « Dame Vipère » parce qu’elle refusait obstinément de lui communiquer son prénom, n’avait plus revu la lumière du jour depuis qu’Abel la trimballait de cachette en cachette une fois la nuit tombée. On ne l’avait plus beaucoup revu au château ces derniers temps, ni même à la Forteresse Gérudo, tant la Dame lui prenait son temps.
Mais il en avait assez, de toutes ces planques précaires ! Une invitée de son rang méritait meilleur accueil. Abel préparait donc un lieu où il pourrait profiter pleinement de sa compagnie. Un lieu où personne n’entendrait ses cris de douleur.
C’était une très belle journée pour se promener avant de rejoindre sa prisonnière. Le soleil brillait dans un ciel aux nuages cotonneux, les hautes herbes se balançaient sous un vent léger, les corbeaux croassaient… Et les monstres se promenaient.
-Hein ?
Abel écarquilla les yeux lorsque son cheval approcha d’une étrange silhouette qui marchait devant eux. Un autre monstre de la plaine ? Sans doute… il portait en tout cas une enfant morte aux membres atrocement tordus sur son dos – ce qui expliquait éventuellement la présence d’autant de corbeaux. Elle était habillée en vert tout comme l’était la prêtresse.
La créature s’exprima d’une horrible voix aigüe:
-J'ai une poupée qui traîne derrière moi, et elle regarde dans son dos. Les bras tordus, et les jambes, comme moi. Une qui ne craque plus. Dommage. Mais c'est drôle ! Très. Qui veut jouer ?
-Moi, peut-être ?
Abel dépassa la créature avec son cheval, et lui barra le passage de toute sa hauteur. Même pour quelqu’un d’aussi ouvert d’esprit que lui, il ne pensait pas avoir croisé plus laide créature que celle-ci depuis des lustres. Sa tête lunaire et ses yeux vides devaient le rendre terrifiant en pleine nuit, et d’ailleurs, Abel était surpris de le voir alors que le soleil inondait sa face grisâtre de lumière. On aurait dit un squelette d’enfant malformé.
-Ta poupée ne craque plus ? Essaye de me faire craquer, moi.
Comme s’il comprenait les intentions de son cavalier, le cheval eut un mouvement de recul. Prévoyant une attaque imminente, le noble étranger remit pied à terre, la main posée sur la garde de son épée, et regarda le monstre au niveau de ses grands yeux. Avant qu’Abel ne frappe soudain dans ses mains pour provoquer la créature, et fasse un mouvement de côté pour commencer le jeu avec elle.
Abel allait la saigner non sans grand plaisir.