Posté le 30/05/2016 22:33
« C'est à se demander ce que tu faisais dans cette forêt si loin de la ville ! »
Aedelrik perdit une partie de son sourire au souvenir de ce qui l'avait poussé à se rendre là bas. Keith se doutait elle de ce que ses mots impliquaient ? Elle avait déclaré cela avec légèreté, d'un ton doucement moqueur, mais le voleur se souvint avoir demandé à la louve d'en finir, lorsqu'il était dos au mur. Avait elle saisit à quel point il le voulait à cet instant ? Rien ne lui permettait de s'en assurer, et il ne souhaitait pas remettre le sujet sur le tapis.
L'heure n'était pas à ce genre de tourments, et le Renard avait surtout envie de satisfaire sa faim et de soulager ses pieds fatigués. Le reste attendrait. Après tout, les problèmes avaient ceci de commun avec les mouches qu'on ne gagne que peu de répit à tenter de les chasser. Mieux valait rire, tant qu'on avait la tête à cela.
Et Keith ne semblait d'ailleurs pas avare de plaisanteries, put constater Aedelrik lorsqu'elle suggéra qu'il pourrait s'essayer à la chasse au lapin. Après qu'elle eut lancé l'idée, il y eut un moment de flottement entre eux deux, où le voleur, figé dans l'embarras, cherchait à savoir si elle était sérieuse, et espérait fortement le contraire.
« Euh... Tu ne vas peut être pas me croire, mais je suis aussi habitué à la chasse en milieu sauvage que toi aux chevaux. Alors si tu veux manger ce soir... »
« Je plaisante ! » A ces mots, les épaules légèrement tendues du Renard retombèrent de soulagement et il s'empressa de rire avec Keith de la situation, ou de lui même, aussi. Au final, il y avait bien de quoi rire. Aedelrik se vantait souvent d'être un as de la survie, et voilà que dés qu'il sortait du monde civilisé, il se trouvait incapable de soulager sa faim. C'était une chose que de chaparder sur un marché, et une autre bien différente que de convaincre un lapin de finir sur une broche... Là dessus, Keith se moquait bien de lui en l'appelant "dominé", mais la réalité c'est qu'il n'était même pas un loup dominé, il était au niveau du louveteau qui a encore tout à apprendre... Et ne peut se nourrir tout seul.
D'autres que lui auraient mal vécu cette situation, mais le Renard savait quand bomber le torse et quand se montrer humble et bon élève. Du moins il essayait. Il est toujours dur de forcer une nature orgueilleuse à baisser le menton. C'est nettement plus aisé quand la dite nature éprouve une faim intense et qu'on a dans son sac de la venaison salée.
« Merci bien, soeur de poil ! » déclama Aedelrik en saisissant le morceau de viande en une parodie de minauderie de nobliau. Dés le premier coup de dent, il se sentit soulagé. C'était comme boire de l'eau de source après avoir avalé bu la tasse dans un égout mal entretenu. Sans doute le loup appréciait-il autant que lui le réconfort, malgré l'absence de sang et le sol qui avait permis de conserver la viande. Sa faim n'en fut pas complètement assouvie, mais c'était déjà un bon début. Le Renard allait questionner la louve sur la suite, quand celle ci se remit à marcher. Sans trop y réfléchir, il lui emboîta le pas. Silencieux, ou du moins bouche close, car il ne parvenait pas à assourdir sa marche, comme elle y parvenait naturellement. Malgré sa volonté d'aider Keith à repérer des proies, son regard déviait souvent vers l'horizon, et s'assombrissait aussitôt.
Après un moment, ils arrivèrent à une source. Keith l'avertit sur l'état de l'eau, mais Aedelrik lui posa une main rassurante sur l'épaule tout en lui apprenant que « Les gens de la ville ne boivent pas tous à de belles fontaines. Quand on vit là où je vis, on apprend à supporter les sources moins claires. » Et comme pour confirmer ses dires, il s'accroupit au bord de l'onde et, portant ses mains en coupes, but à grands traits. Oui, l'eau avait un goût, mais rien de pire que ce qu'il devait supporter lorsqu'il devait rester confiner dans certaines de ses planques souterraines.
Autour de la source se déployaient, aussi majestueux que paresseux - de vrais rois - des arbres qu'il aurait pu dire centenaires. Aussi, lorsque Keith se mit à rassembler du bois, Aedelrik vit bien vite ce qu'elle avait en tête et il s'activa également. Il l'observa avec attention manier son briquet, et également une petite appréhension. La plupart du temps, le Renard se défiait du feu. Ou plutôt, il se méfiait de lui même, en présence d'un feu. De la même manière qu'une bouteille d'alcool ne se révélait dangereuse qu'en présence d'un alcoolique. Sauf pour frapper quelqu'un avec, évidemment.
Sa gorge se serra un instant lorsqu'elle lui confia le foyer et s'éloigna. Si Keith n'avait laissé là son sac et ses fourrures, il aurait pu croire à un abandon. Après tout, Aedelrik lui avait longuement montré le genre de boulet qu'il était en pleine nature. Le genre qu'une personne indépendante et solitaire doit agacer. Cette situation commençait à lui peser lorsque ses yeux se posèrent sur le feu. Il soupira, d'un plaisir peu éprouvé et peu avouable.
Sans pouvoir s'en douter, la louve avait laissé le feu au meilleur gardien possible. Le Renard était trop fasciné par ces flammes, trop amoureux de leur dance endiablé et emprise d'une sensualité surnaturelle, pour seulement tolérer qu'elles ne s'éteignent. Entre ses mains expertes, le foyer était nourri lorsqu'il le fallait, protégé des rafales qui soufflaient sur la plaine, mais toujours contrôlé. Le contrôle, c'était le plus important. Le détail essentiel qui ne devait pas faire défaut... Aedelrik approcha un instant sa main, cherchant à épouser la forme de l'un des voiles de feu, et la retira brusquement lorsque celle ci le mordit. Une grimace déforma son visage et tandis qu'il allait soulager sa paume dans la source, il eut envie de se baffer. Comme si cela suffisait à le faire retourner sur terre !
« Alors ce feu ? »
Le Renard releva brusquement le museau, véritablement surprit par l'arrivée de Keith, qu'il n'avait ni vu ni entendu arriver, plongé qu'il se trouvait dans son mal. Mais son trouble ne resta pas longtemps sur son visage et il afficha bien vite un air satisfait, en désignant le feu qui brûlait encore, avec un bel éclat. « Je me suis débrouillé. Comme toi, apparemment. »
Il venait en effet de voir les deux lapins à la ceinture de la chasseuse. Sans trop le dire, il était impressionné devant la rapidité de celle ci. Un regard vers le ciel lui confirma qu'il ne s'était pas perdu dans ses flammes pendant longtemps. Le soleil avait à peine bougé. Keith s'affichait moins que lui, mais elle connaissait visiblement son sujet.
Lorsqu'elle leva ses prises devant lui, non sans un sourire taquin, il la trouva belle, encore. Et ce fut fort heureux qu'elle aborde aussitôt le sujet de la cuisine, car à la contempler ainsi, Aedelrik avait peu conscience que ses lèvres entrouvertes et son regard fixe dissimulaient mal son émotion. Heureux donc, car sur ce sujet, il ne finissait pas la course en dernier. En se relevant, il rendit son sourire à Keith et déclara,
« En cuisine, je ne suis pas un prince. Je suis un roi. Un empereur, selon certains ! Ou disons plutôt que je me débrouille, notamment pour la viande. Si tu peux trouver de quoi les maintenir au dessus du feu, je m'occupe du reste. » Il alla vers le cours d'eau, plongea ses mains et en sortit une grande pierre plate qu'il installa prés du feu. A la suite de quoi, il sortit sa dague et s'empara d'un des lapins et commença sa besogne, sur la pierre.
Les gestes lui revinrent en quelques instants. Depuis que son âge lui permettait de tenir un outil, Aedelrik avait toujours eu une bonne mémoire des gestes. Derrière une forge, une table de boucher ou sur le manche d'un instrument... Il apprenait vite, et n'oubliait pas. Cela valait aussi pour le maniement d'un surin ou d'une tige de crochetage, mais il évitait d'y penser. En l'occurrence, ces lapins sauvages, tout en muscles, ne lui posèrent pas trop de problème. Il coupait au ras de la fourrure, ne laissait que peu de viande, dégageait correctement ce qui devait l'être... Le second lapin suivit le premier et après la moitié d'une heure, ce fut fait. Enfin, pas complètement, et la cuisine succéda au dépeçage. Au pieds des arbres, Aedelrik repéra quelques herbes odorantes et les broya avec un galet sur sa pierre plate, avant de les appliquer sur la viande. Ensuite, il hydrata celle ci avec un peu d'eau de la source et la sépara en deux groupes. Les gros morceaux, il les enfila sur la broche, et il mit les petits à cuire sur la pierre.
Une heure s'était déroulée, sans qu'il ne dise un mot. Comme à chaque fois qu'il faisait quelque chose de ses mains, le Renard s'était montré trop absorbé pour parler. Keith n'avait pas disparu de son horizon, mais il avait cessé de sentir son regard, ou tout autre regard, peser sur lui. Seulement, à présent que son oeuvre était achevée, le véritable Aedelrik refit surface.
« Tu ne t'attendais pas à ça, hein ? » Il avait demandé cela d'un ton bravache, mais sans malveillance. C'était un peu sa revanche, après s'être constamment montré en dessous de Keith depuis qu'ils s'étaient rencontrés. L'humour pouvait parer au ridicule un temps, mais il venait toujours un moment où le Renard avait besoin de reprendre un peu du poil de la bête. « Tu verras. On va se régaler. » A présent que le feu était redevenu un outil, il ne possédait plus le même pouvoir sur le voleur, et ce dernier n'était plus fasciné que par son repas en devenir. Alors, pour tromper l'attente, et par goût de la chose, il parlait, voire plus, « Ca serait plus joyeux avec un chant. Tu connais des chants hyliens ? Ah ! Il me faudrait une mandoline, ou un violon. Je suis sûr que je pourrais improviser sur un air que tu connais. Oh. »
Une fumée chargée d'odeurs commençait à monter de la pierre. Les petits morceaux cuisaient toujours plus vite. Aedelrik la sortit alors du feu et dit à Keith, d'une voix où perçait une certaine appréhension, comme le trac d'un acteur avant la scène, « Vas y, goûte. Dis moi ce que tu en penses. »
Ca n'était rien, que de la viande. Mais il est des hommes pour qui rater la plus petite tâche relève de l'échec personnel. Surtout quand cela concerne certaines autres personnes.