Entre Renard et Loups

Suite de "Un chant aux cieux"

[ Hors timeline ]

Aedelrik


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Le visage du Renard s'illumina lorsque Keith accepta sa proposition. Voyager seul pendant plusieurs jours sans ressources avait de quoi l'angoisser mais en réalité, c'était surtout la compagnie de la chasseuse qu'il désirait. Au delà du service qu'elle lui avait rendu, Aedelrik commençait à vraiment l'apprécier, elle et son caractère mordant. De plus, elle avait sans doute beaucoup à lui apprendre, sur ce qu'il était devenu. Et pour cela, impossible de trouver un autre expert à Hyrule, pensa t'il. Ou du moins à sa connaissance. Il garda alors une question dans un coin de son esprit, pour plus tard. Pour l'heure, seule comptait la réponse de la louve, et la joie que le Renard en tirait.

« Haha marché conclu ! Je veux bien finir cornu si tu ne repars pas les mains vides et les poches pleines ! »

Peut être ne lui dirait il pas, mais Aedelrik venait de décider d'aider sa camarade de voyage à sa manière une fois arrivé en ville. Si il n'était pas encore le maître de la pègre, le voleur avait un réseau suffisamment étendu de marchants et de riches bourgeois pour que les articles de Keith  trouvent preneur en un rien de tout. En revanche, il ignorait encore sa réaction si elle devait l'apprendre et, dans le doute, décida de se taire pour le moment. La plupart des solitaires ont une solide fierté forgée par une vie rude et refusent souvent une aide extérieure. Lanre en constituait un bel exemple. Ah, Lanre ! Aedelrik ne pouvait s'empêcher d'imaginer le moment où il lui annoncerait : "Coucou mon rouquin ! Tu vas rire, j'ai croisé une femme-loup que tu as dépouillé et elle a les crocs contre toi donc je l'ai amené !". Non, ça ne pourrait pas se passer ainsi. Déjà parce que le jeu de mot n'était pas digne de lui. Et de plus, un contact machinal avec les traces de son dernier combat rappela au Renard le danger qu'on risquait à énerver son ami. Il lui faudrait préparer le terrain, user de miel, comme avec un ours.

« Bon. Allons y alors ! » invita t'il Keith tout en avançant vers la plaine. La cité pouvait bien se trouver à plusieurs jours de cheval, Aedelrik pouvait presque déjà en sentir les odeurs, en entendre l'incessant vacarme. Il l'avait quitté qu'elle lui manquait déjà, comme la plus violente mais aussi la plus douce des drogues. Rien de commun avec cette forêt qui l'effrayait, où il perdait tout ses repaires et dont les étrangetés avaient failli le tuer. En comparaison, la ville n'était peuplée que de monstres inoffensifs pour lui. Son regard s'attarda sur les branches innombrables qui déployaient les ramures d'arbres millénaires, et il frissonna de malaise, plein d'une impression de se tenir en dessous d'une gigantesque toile d'araignée. A ses yeux, c'était le bois entier qui semblait tourné vers lui, glissant sournoisement ses pattes crochues de bois afin de le retenir. Il lui fallut le regard de Keith dans son dos pour ne pas courir en direction de la lumière et de l'étendue ouverte devant lui. Au lieu de ça, Aedelrik prit sur lui, fixant un point de l'horizon, menant son cheval qui s'agitait. Sans doute la bête avait elle saisit ce qui ne tournait pas rond, elle aussi. Mais aucun des deux, tout tremblant qu'ils étaient, ne paniqua avant que le Renard ne sente finalement la chaleur du soleil sur son front, et en remercie les dieux trois fois. Vu depuis l'extérieur, les bois l'intimidaient déjà moins, mais il aurait donné tout ce qui lui était précieux plutôt que d'y retourner. Même son médaillon ou sa mas...

« Merde ! » Pesta t'il en se cognant la poitrine - une vieille habitude - de colère avec lui même. Et pour cause, Aedelrik avait récupéré ses vêtements mais pas sa vieille masse de fer, son plus vieux compagnon. Le genre toujours fidèle et toujours prêt à écraser le crâne de ses ennemis ou les doigts d'une cible impressionnable. Il se souvint l'avoir jeté dans la rivière juste avant sa tentative de quitter ce monde. Mais pour retrouver l'endroit, encore eut il fallut que le Renard ait des repaires dans cette foutue forêt. Et surtout, si il devait y retourner... son regard vert foudroya la forêt et il cracha dans l'herbe grasse de la plaine. Plutôt crever qu'y retourner. « Tant pis. Ne perdons pas plus de temps. »

Aedelrik s'approcha alors du cheval et remarqua que ce dernier semblait toujours agité, nerveux. Prêtant cette attitude à un tempérament peureux, il l'ignora et sauta en selle avec agilité, et tendit alors une main galante à Keith, « Monte donc. Cette carne saura bien nous porter tous deux. » Il ne sut si il avait rêvé le sourire de sa camarade à ce moment là, mais au moment où elle approchait, la monture fut prit d'une panique aussi soudaine qu'imprévisible. Le Renard s'efforça du mieux possible de rester en selle mais le cheval se cabra violemment et il sauta de lui même avant de faire une mauvaise chute. Par une cabriole pleine de souplesse, le voleur atterrit sur ses deux pieds, mais avant qu'il ait pu tenter quoi que ce soit, l'animal terrifié décampait au triple galop, vers le nord. Aedelrik cracha à nouveau, étouffant un juron, et se retourna vers Keith avec un sourire désabusé, « Il t'aura confondu avec le loup qui a becqueté sa mère. »

Encore heureux qu'ils n'aient rien chargé sur le canasson. Pas sûr que la chasseuse se serait autant amusée si ses fourrures avaient foutu le camp avec lui. Le Renard pris un instant pour recalculer tous ses projets mentalement. Le trajet était largement rallongé par ce coup de poisse, ce qui le mettrait en retard. Mais comme il en avait pris l'habitude, il s'efforça de prendre les choses du bon côté : sauf à croiser un cheval sauvage, il n'y avait pas grand chose à faire, donc s'énerver se servait à rien. La logique de ce calcul était imparable, c'était ce qui lui plaisait autant dans cette manière d'affronter l'imprévu. « Au moins j'aurais le temps d'apprendre ce genre de détails, le temps qu'on soit arrivé. »

Son regard ne laissait aucun doute sur le plaisir qu'il aurait à suivre ces leçons. Aedelrik n'avait jamais été un élève très assidu, mais il apprenait vite, et d'autant plus lorsque le professeur l'intéressait. Or, pour ce qui était de Keith, "intéresser" était un mot bien faible.


Keith Lyne


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Keith s'étonna de la certitude de l'homme qui lui promettait de bonnes ventes. Sans doute était-il plutôt joueur, après tout aucun d'eux ne pouvait deviner ce genre de chose. Elle aurait peut-être été de mauvaise humeur après avoir fait de mauvaises affaires mais elle ne lui en aurait sûrement pas imputé la faute.

En tout cas, le moins qu'on pouvait dire c'était qu'il semblait enthousiaste et pressé. Malgré cela il sembla soudain se souvenir de quelque chose, l'air contrarié, et cracha après avoir jeté un regard vers la forêt. Keith ignorait ce qu'il pouvait lui reprocher mais appréciait assez peu l'attitude. C'était un refuge, un endroit magnifique.

"Tu y reviendras tôt ou tard."

Peut-être n'appréciait-il pas encore l'endroit malgré la courte visite qu'elle lui en avait fait, mais il finirait par comprendre. Un loup ce n'était pas fait pour la ville, même en excluant la tentation de goûter à la chaire humaine, ce qui au fond représentait juste une entrave qu'elle s'était elle-même imposée pour respecter une promesse humaine.

Keith commença à tirer la tête lorsqu'Aedelrik l'invita à monter à cheval. Sans doute que n'importe qui d'autre aurait été ravi à l'idée de ne pas faire tout le trajet à pied, mais de toute évidence ce cheval ne l'aimait pas, elle sentait bien qu'il s'agitait dès qu'elle s'approchait. Et en retour elle ne l'aimait pas non plus. Chaque fois qu'elle empruntait un cheval, il lui fallait un certain temps pour le mettre en confiance. Et pour l'apprécier.

"Je ne crois pas que..."

Comme elle s'y attendait, dès qu'elle s'avança un peu trop près, avant même d'avoir pu tenter de grimper sur son dos, l'animal rua dans tous les sens, obligeant son cavalier à descendre, avant de filer vers l'horizon. Keith ne tenta même pas un geste pour suivre ou retenir le cheval, il aurait seulement fuit de plus belle.

Heureusement, son compagnon semblait ne pas prendre trop mal le départ de sa monture. Mais si elle avait beau s'attendre à la réaction de l'animal, en tant qu'humaine c'était toujours un peu vexant.

"Avoir dévoré sa mère ? C'est peut-être vrai, qui sait. Et alors ? Il pourrait y passer aussi. Même pas besoin d'être une louve pour ça."

Elle ne serait sans doute pas la première à manger du cheval, surtout depuis que la guerre avait commencé et que les ressources manquaient. Keith rajusta les fourrures sur son épaule avant de reprendre le trajet à pied. Ce serait beaucoup plus tranquille comme voyage.

"De toute façon on profitera beaucoup mieux du trajet à pied, ce sera moins monotone."

Quel que soit l'étalon, la jeune femme n'aurait pas supporté de rester assise plusieurs heures à ne rien faire, elle avait besoin d'action. Son compagnon de route semblait plutôt y voir une occasion de parler, et il évoqua même sa volonté d'en apprendre plus sur la chasseuse. Un sourire étira ses lèvres, effaçant l'épisode du cheval.

"Bonne idée, je vais te faire la leçon, tu vas adorer."

Keith avait déjà pu remarquer que rares étaient les hommes qui avec l'âge supportaient encore bien qu'on leur donne des consignes. Sans doute était-ce encore plus vrai pour un voleur qui avait par définition décidé que les lois ne le concernaient pas. L'idée de tester les limites du jeune homme l'amusait.

"Avant tout, je te rappelle que tout ça doit rester secret. Crois-moi, ça serait mal compris, et les gens prennent peur pour un rien. Encore plus en cette période. Et si tu lâches le morceau, j'en entendrai vite parler moi aussi."

Pour sa part, elle n'avait jamais trahi le secret. Du moins jusqu'à ce jour, mais les circonstances étaient particulières, et il valait mieux que son compagnon sache à quoi s'attendre. Elle était donc prête à répondre à ses questions.

"J'espère que tu retrouveras ton cheval, parce que je crois que s'il ne te connaissait pas aussi bien, il aurait réagi de la même façon avec toi. Ou ça viendra avec le temps. Dans tous les cas, ça devient beaucoup plus compliqué de trouver une monture convenable et de la dresser..."

Keith fit une pause, le temps de réfléchir quelques instants. Tout ce qu'elle pouvait lui dire, c'était ce qu'elle avait expérimenté, mais elle n'avait jamais été mordue.

"Comme je te l'ai dit.. Ma première transformation en louve s'est passée quelque peu différemment de la tienne, il y aura peut-être deux trois différences... Mais je suis prête à répondre à tes questions si tu en as."


Aedelrik


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Drôle de bout de femme que celle ci, pensait Aedelrik. Le voleur ne se laissait pas facilement intimider, plus depuis longtemps. Les années passées dans la rue s'étaient chargées de l'endurcir, de lui faire comprendre qu'une montagne de muscle ne devient un problème qu'avec un crochet du droit agile, ou bien que les grandes gueules font le plus souvent dans l'esbroufe. Il avait plus d'une fois entendu des gueulards lui hurler dessus sans que lui ne bouge d'un pouce. Mais voilà, quand Keith lui parla de leur secret, la simple menace voilée qu'elle lui adressa lui flanqua la chair de poule. La chasseresse n'était pas impressionnante en soi, mais sa voix, son regard, une légère inflexion de voix suffisait à faire ravaler ses répliques au Renard.
Un instant, il se demanda si leur secret était en sécurité avec lui. Bavard comme il pouvait le devenir avec un peu d'alcool et une charmante compagnie, le risque se trouvait bien présent de finir sur un bûcher ou... soumis au quelconque châtiment que Hyrule pouvait réserver aux mons... êtres comme eux. Seulement, Aedelrik se rassura aussitôt. Bien sur, il parlait beaucoup, mais lorsque certaines choses devaient rester enfouies, elles ne jaillissaient jamais à la surface. Son sourire disparu, il opina à Keith, lui signifiant que le message était passé.

Le regard du voleur se perdit alors sur l'horizon, au nord. Non loin d'eux, à l'écart de leur route se trouvait un village. Des chasseurs. Peut être auraient ils pu y trouver des montures, et tracer leur route directement à travers la plaine. L'idée était séduisante, mais sa camarade s'était clairement montré réticente aux chevaux et lui même se sentait refroidit par la perspective de risquer à nouveau une fracture, par la faute d'un canasson froussard. Par ça, ainsi que par le risque que les chasseurs en sachent suffisamment sur eux pour débusquer la bête sous le masque. Il soupira longuement. Les longues marches l'avaient toujours profondément ennuyé. Cela se sentait dans son ton las lorsqu'il déclara,


« Allons y donc. On aura largement le temps d'en parler sur le chemin. »

De fait, il mit un certain temps à reprendre la parole. Plusieurs jours de voyage à cheval pour aller de la ville à la forêt, cela signifiait que le retour allait durer un bon moment. Et à présent que la mort ne constituait plus son horizon proche, le Renard se plongeait dans ses projets interrompus, élaborant des prévisions et des plans pour son retour. Il allait avoir du retard à rattraper. Beaucoup de retard.
Contrairement à ce qu'il avait cru, la marche ne fut pas si barbante que cela. C'était sans doute dû au fait que pour un homme, une plaine n'a que l'intérêt pratique d'être plate. Pour les résidus du loup dans sa conscience, c'était à la fois un terrain de jeu, un espace d'odeurs et de vie à peine moins stimulant que la forêt et un nouveau monde fascinant. A un moment, alors qu'ils arrivaient au sommet d'une petite butte, Aedelrik fut brusquement pris de vertige. Devant lui, il n'y avait rien d'autre que de la plaine verdoyante, jusqu'à perte de vue. Il lui fallut un certain temps pour comprendre que, comme lui, le loup ne vivait pas dans cet habitat et que pour l'animal, comme les maisons et les murs de la ville pour l'humain, les arbre de la forêt faisaient d'ordinaire office d'horizon. Là, ce dernier s'éloignait largement au delà du regard, inaccessible. Sur ce point, homme et bête se comprenaient tant que c'en était... dérangeant.

Plusieurs heures passèrent avant que le Renard n'ose enfin demander à Keith,
« Si tu es d'accord, j'aimerais te poser plusieurs questions. » Et comme elle ne protestait pas, lui de poursuivre, « Qu'est-ce qu'on est, au fond ? Je veux dire, j'ai compris le principe, mais... Est-ce qu'on est des monstres, ou des hôtes pour des esprits de la nature ? » Ces deux possibilités lui faisaient froid dans le dos. Aedelrik, croyant aux dieux sans forcément respecter leurs règles, était souvent persuadé que les dieux lui voulaient du mal et qu'ils pouvaient déployer des trésors d'ingéniosité sadique pour le punir de ses crimes. Le faire devenir une chimère ne serait pas le plus tordu qu'ils puissent imaginer.
Avant que Keith ne réponde, il enchaîna alors, sa longue retenue durant plusieurs heures se déliant en relâchant tout ce à quoi il avait réfléchit depuis leur départ,
« Est-ce qu'on est des humains ou des loups ? J'avais l'impression d'être l'animal quand j'en avais la forme, mais en même temps, il réagissait différemment de moi. Est-ce qu'on peut le dompter ? Contrôler quand il apparaît... Quand on est en danger ? »

Cette dernière question, Aedelrik hésita à la poser, car Keith saurait où il voulait en venir. Elle lui avait interdit de s'en prendre à un humain en tant que loup. Mais le voleur envisageait toutes les possibilités, dont celle de se retrouver acculé à un mur avec un ultime choix à faire ; se faire tuer ou tuer à grands renforts de crocs. Il guetta la réaction de la chasseresse, légèrement craintif. Dieux qu'elle pouvait l'impressionner. Et puis, l'évidence le frappa et il posa une dernière question, « Est-ce qu'on fonctionne instinctivement entre nous comme des loups ? » Si c'était le cas, lui n'était clairement pas encore l'Alpha.


Keith Lyne


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De toute évidence l'homme n'aimait pas plus la perspective de leur longue marche jusqu'à la Citadelle qu'il n'avait apprécié la menace à peine dissimulée de Keith. Mais si elle aurait pu céder de mauvaise grâce sur la question de la marche, c'était hors de question pour le secret. C'était important. Elle avait beau être fière et heureuse de ce qu'elle était, elle savait combien cette différence pouvait être mal acceptée. Elle ne le comprenait pas mais elle le savait, c'était suffisant pour encourager à la prudence. Même ses parents n'en avaient jamais rien su.
Elle profita donc du trajet en silence, pas tellement plus bavarde que son compagnon de route. Le soleil qui s'élevait de plus en plus dans le ciel était mesure qu'ils avançaient était chaud et agréable, et les odeurs, nombreuses, constituaient une distraction prenante.

L'homme reprit finalement la parole pour poser des questions. Elle acquiesça de prime abord, tout à fait disposée à lui servir de mentor, mais il ne s'agissait pas d'interrogations auxquelles elle s'attendait. La première question lui fit l'effet d'une douche froide et elle ne put retenir un regard noir, mais ce fut la deuxième qui la mit véritablement en colère. Ignorant sur l'instant la question suivante sur laquelle il enchaîna, elle répondit d'un ton sec.

"Tu n'as pas besoin de savoir ça, je te l'ai interdit."

Elle fulminait. Sitôt sa forme initiale et ses esprits repris il envisageait déjà de contrevenir à ses rares consignes, comme si la fin justifiait les moyens. S'il voulait défendre sa vie il pouvait se salir les mains tout seul sans pervertir l'animal. Comment s'était-il débrouillé jusque là ? Il avait des armes, des poings. Elle ignorait s'il savait ou non s'en servir mais ça lui était égal en l'instant : elle ne lui avait pas transmis ce don pour remplacer ses compétences en la matière.

Et elle, qu'avait-elle eu en tête pour l'entraîner sur cette voie... ? Justement, il n'avait rien choisi. La scène lui revint en tête et elle se rendit compte qu'elle était mal placée pour faire des reproches. Elle n'avait plus qu'à espérer pouvoir lui faire confiance. Peut-être que plus il serait informé et mieux il comprendrait pourquoi elle le lui interdisait. Remarquant qu'elle s'était murée dans le silence, elle soupira et tâcha de se calmer avant de reprendre la parole.

"Des monstres... c'est vraiment ainsi que tu l'as vécu... ?"

Plus que de la colère, elle se rendit compte que la première question l'avait blessée. Après plusieurs années à avoir été une louve solitaire, elle avait eu le sentiment de partager une partie très spéciale de sa vie avec lui, de lui avoir transmis son enthousiasme. Pour elle, c'était comme un monde merveilleux de sensations fermées au commun des mortels, qui ne percevait qu'une maigre part de ce qui l'entourait, et elle lui en avait fait cadeau. Mais à ses questions, elle comprenait soudain que tout ça l'effrayait.

"Je suis une louve... et je suis humaine... je ne suis pas complète si on me retire un des deux, tu comprends ?"

Elle ne savait pas comment lui répondre plus précisément. Il n'y avait pas d'esprit qui partageait son corps, et elle ne s'estimait pas être un monstre. C'était seulement comme la libération d'une part qui avait toujours fait partie d'elle, et qui percevait les choses autrement. Il lui fallut un instant pour trouver les bons mots.

"C'est un peu comme libérer une part endormie de toi, que tu ne soupçonnais pas. Une part plus... Instinctive ? Moins raisonnable. Elle ne doit pas te faire oublier le reste de ce que tu es, mais tu serais triste de la maintenir enfermée une fois que tu as découvert tout ce qu'elle t'apporte. En tout cas c'est ainsi que je le ressens."

Est-ce que la louve en elle influençait sa vie de tous les jours ? Sans doute. Elle avait été louveteau lorsqu'elle était enfant, et elle avait grandi avec cet aspect faisant partie intégrante de sa vie. Si les événements avaient été différents, et si elle n'était qu'une humaine parmi tant d'autres, à quel point serait-elle différence ? Cette question lui donnait le vertige.

"Je suppose que ça fait de moi ce que je suis... Que ça influe sur mes réactions et ma conception des choses..."

Donner une réponse précise était compliqué. Elle n'avait jamais vraiment cherché à analyser sa façon de fonctionner, ni la part qui était due à la louve, mais elle avait déjà remarqué qu'elle réagissait différemment de plusieurs de ses connaissances. Elle avait toujours eu plus de mal à se projeter dans le futur. Elle vivait l'instant présent, et ses projets étaient souvent improvisés et impulsifs.

"Mais je ne sais pas si ça joue entre nous. J'ai été longtemps seule."

Une question la frappa alors, et Keith s'arrêta soudain en attendant que l'homme en fasse de même. Elle lui avait interdit d'utiliser ce qu'elle lui avait transmis comme une arme, mais il y avait nombre d'autres raisons qui pouvaient le pousser à vouloir changer de forme. Et ne pas contrôler cet état pouvait être encore plus dangereux.

"Ton autre question n'était pas inintéressante... Je veux vérifier quelque chose. Vas-y, change-toi."

La jeune femme aurait été capable de se transformer aussi efficacement qu'elle avait retrouvé sa forme humaine, n'importe où, n'importe quand. Dès sa première expérience, bien qu'accompagnée, elle avait compris que sa forme était liée à sa volonté et elle avait contrôlé cet état qui faisait partie intégrante d'elle-même. Mais si son camarade lui posait cette question, c'est qu'il ne l'avait pas vécu de la même façon, et la réponse n'était peut-être pas la même pour lui, elle voulait vérifier.


Aedelrik


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(vide)

Il crut l'avoir mis en colère, voire vexée, mais Aedelrik se rendit vite compte que ses questions directes avaient touché sa compagne de route. Sans doute y avait-il de quoi, pensa-t-il en se mordant les lèvres. Personne n'aime être ramené à une vision négative de soi-même. Le marchand se voit pourvoyeur et non extorqueur. Le garde se voit défenseur et pas oppresseur. Le fait est que le Renard ignorait comment une louve-garou pouvait bien se considérer. Dans cette situation, la prudence aurait voulu qu'il tienne sa langue, mais il éprouva un besoin impérieux de lui répondre aussitôt lorsqu'elle lui demanda si ils étaient des monstres à ses yeux. Fier, presque bravache, il parlait comme un expert du sujet l'aurait fait, l'expertise en moins,

« Des monstres, nous ? Oui. Certain. Mais j'ai l'habitude, d'être un monstre. C'est un rôle que je connais. Un costume qui me colle à la peau. » Le voleur avait quelque chose de grinçant dans sa voix, non pas qu'il regrettait ce fait. Il semblait au contraire l'avoir si bien accepté que c'en était devenu une partie de son identité. Le nom d'une ville ravagée par les flammes lui revint en mémoire tandis qu'il reprenait, après avoir échangé un regard avec Keith, un regard pas franchement amène, « Ne t'en fais pas, tu n'as pas sauvé du suicide un démon. Quelle différence, me demanderas tu ? Les démons sont maléfiques, les monstres sont incompris. Les uns sont des criminels, les autres, des victimes. Aisément confondus, jamais semblables. Et pourtant, potentiellement, tout aussi dangereux. »

Il avait lâché ce dernier mot, comme pour le laisser flotter dans l'air, afin de susciter une réaction. Bien sûr, Aedelrik avait retenu l'avertissement de son aînée en matière poilue. Mais cela ne changeait rien à ses projets, à ses habitudes de vie. Si défense de verser du sang il y avait, ça ne pouvait concerner que des griffes et des crocs. Le voleur savait user de bien d'autres outils, autant que Keith ne le découvre pas à un moment où elle pourrait mal le prendre... Si tant est que ce genre de découvertes puisse seulement laisser jamais une bonne impression !
Seulement, Keith reprit sur le sujet de leur nature, et sa réponse le troubla. A l'entendre, devenir un loup-garou était une chose merveilleuse, presque souhaitable pour tous. Pas vraiment la version des contes paysans, donc. A cet instant, il comprit à quel point sa question avait été maladroite. Bien sûr que vu comme ça, ça n'avait rien de monstrueux. De la même manière que certains forestiers témoignaient parfois en faveur des loups, essayant de briser leur mauvaise image de tueurs sanguinaires, Keith était la mieux placée pour connaître ce qu'elle était. Les histoires qu'inventaient des pécores craintifs et superstitieux devaient comporter autant de vérité qu'une pièce en nickel comportait du vrai argent. Le Renard se reprit alors, la mine plus sombre,


« Désolé, je ne comprenais pas. J'ai parfois tendance à voir les choses en noir, plus sinistres qu'elle le sont vraiment. Manière d'anticiper. Tu vois, je suis un citadin, j'ai dû m'habituer à la cruauté des gens, alors je préfère m'y attendre. Là bas... » Son regard dériva au loin, à la recherche d'une pointe minuscule qui percerait la ligne désespérément droite de l'horizon, mais ses yeux fatigués ne virent rien. « ...Tu apprends à supporter que les jugements sont vite rendus. Que seul compte ce qui passera dans les yeux posés sur toi. Tu peux leur gueuler à l'oreille que tu ne leur veux rien de mal, si ils te percent à jour, toi ou moi... Enfin voilà, c'est pour ça. Je ne voulais pas te blesser. »

Sans doute un "Pardon" eut il été de circonstance, voire élégant, mais il ne passa pas ses lèvres. Le Renard n'aimait pas en venir à ça. Des excuses lui donnaient trop l'impression de s'écraser, et il se trouvait déjà bien assez dominé par la louve comme cela. Il fut d'ailleurs soulagé qu'elle change un peu de sujet. Il aurait eu du mal à courber un peu plus le front.
En revanche, il tiqua à nouveau lorsque la louve lui précisa avoir été seule depuis longtemps. Cette information alla se graver dans son esprit, et un sourire discret, qu'elle ne pouvait capter, lui vint aussitôt. Une compagnie aussi charmante n'était jamais aussi agréable que lorsqu'elle était dépourvue de rival encombrant. Perdu dans ses pensées d'homme bas, Aedelrik ne vit pas la racine encore plus basse qui lui barrait la route et, alors que Keith s'arrêtait, il trébucha et se rattrapa in extremis l'épaule de la louve, la tirant par réflexe jusqu'à lui. A cet instant, où il avait retrouvé son équilibre et où ce contact lui procurait une grande joie, le Renard ordinaire aurait sorti une belle tirade et aurait commencé à la jouer comme Don Maltialdi, ce personnage de théâtre séducteur. Sauf qu'un regard échangé avec Keith l'en dissuada. Elle n'avait pas la tête à cela, et il s'écarta en masquant au mieux sa gêne. Mais ce trouble n'était rien comparé à celui qu'il éprouva lorsqu'elle lui demanda,


« Je veux vérifier quelque chose. Vas-y, change-toi. »

Aedelrik leva un sourcil, visiblement perplexe, et fit mine de se retourner, comme pour vérifier qu'il n'y avait personne derrière lui, qu'elle s'était bien adressé à lui. D'autant qu'une partie, plus adolescente que le reste, de son esprit y voyait déjà un double-sens tendancieux. « Me changer ? C'est à dire ? Je ne suis pas sûr d'avoir compris. » Il ne pouvait s'empêcher de sourire mais devant le sérieux de Keith, le Renard compris qu'elle parlait bien du Loup et non d'une soudaine envie de le voir dans un simple appareil. « Tu veux dire que tu... contrôle tout ça ? Et je suis sensé pouvoir aussi ? Franchement, je ne crois pas. Toute à l'heure, je me suis transformé quand j'ai vu la lune. Là... » Il leva un bras vers le soleil de midi qui brûlait haut dans le ciel. « ... C'est vraiment pas dit que j'arrive à en voir le moindre bout. Enfin bon, je veux bien essayer. »

Le narrateur sollicite à présent l'indulgence de ses lecteurs devant une naïveté aussi grande que touchante de la part du personnage. Celle ci était sans doute due à la profonde ignorance du Renard à propos de l'exercice auquel il acceptait de s'essayer, et ce malgré toute sa bonne volonté ! Car Aedelrik tenta sincèrement de se rappeler les conditions de sa transformation, ce qu'il avait pu ressentir, quelle position avait il adopté, quels signes avant-coureurs devait il guetter... Malgré tous ses efforts, il ne parvint qu'à se mettre assis dans l'herbe, à fermer les yeux et à essayer de provoquer ce sur quoi il n'avait aucun contrôle. Après un long moment, une grimace déforma son visage et il déclara, las,

« J'ai l'air idiot, n'est-ce pas ? »

Il rouvrit alors les yeux, toisa un instant le soleil avec dédain et se releva en époussetant ses vêtements des résidus de nature sauvage qui y auraient élu domicile. Suite à quoi, il poursuivit, à l'adresse de Keith, « Je suppose que ça vient avec le temps... ou pas d'ailleurs. Comment ça marche pour toi ? Tu y pense et juste comme ça, hop ! Tu te fais pousser un museau ? Ou bien tu as obtenu un mot de permission de la lune ? Je dirais bien que ça n'est pas la seule chose que tu as reçu d'elle. »

Il laissa le compliment inachevé, sans plus en rajouter. C'était une flèche, lancée un peu au hasard, avec l'espoir qu'elle trouverait sa cible, mais rien qui valait que l'on s'attarde longuement dessus. A nouveau, Aedelrik scruta l'horizon. Son estomac commençait à s'agiter à nouveau et sa gorge le priait de trouver de quoi la rafraîchir, aussi il fut bien obligé d'en revenir à une préoccupation bien matérielle mais tout à fait inquiétante pour qui n'a que peu vécu en dehors de murs fortifiés,

« Dis, que va-t-on manger et boire d'ici à notre arrivée ? Tu as de quoi prendre un lapin, ou un oiseau, sur toi ? Moi je ne sais pas faire. » Il se figea alors subitement, pour se retourner vers sa compagne un sourire aux lèvres. « Mais suis je bête ! Ce sont les dominants qui chassent dans la meute, non ? » Ou peut être était ce là pure invention de sa part, qui sait ?


Keith Lyne


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(vide)

De la peur qu'il ne fasse mauvais usage de son cadeau, elle passa à celle qu'il ne sache même pas le contrôler. Dans le premier cas il y avait toujours moyen de le raisonner, ou de l'effrayer. Dans le second, l'issue restait plus imprévisible qu'il soit de bonne volonté ou non. Il faudrait faire preuve de plus de prudence. Est-ce qu'il pouvait encore vivre en ville s'il risquait à tout moment de se transformer ?

La question était sérieuse, et elle garda un visage impassible jusqu'à ce qu'il se prête au jeu. Elle comprit assez vite que c'était peine perdue. S'il avait été capable de contrôler son état, quelques minutes auraient été largement suffisantes, plus que suffisantes même. Elle s'apprêta à lui dire de se lever avant de finalement changer d'avis. Tout compte fait, elle se demandait combien de temps il était prêt à essayer. Elle resta donc là un moment bras croisés, à observer la méditation de son compagnon de route.

Malgré la gravité de la situation elle ne put s'empêcher d'éclater d'un rire franc devant la mine déconfite du voleur assis à terre quand il abandonna finalement ses tentatives.

"C'est bon, relève-toi... Je suppose que tu y as au moins mis toute ta bonne volonté !"

C'était toutefois inquiétant. Elle était moins optimiste que lui, elle doutait fort que ça vienne avec le temps.

"Je n'ai pas vraiment de comparaison... Mais je suis certaine que je n'ai pas besoin de m'asseoir dans l'herbe et d'y réfléchir longuement ! C'est plus... Comme s'endormir, mais instantanément, pour se réveiller autrement ? Je me rappelle... Au début, la sensation était un peu désagréable, mais ça c'est passé avec le temps, c'était il y a de nombreuses années..."

Quand elle n'était pas encore seule à faire l'expérience.

Mais elle n'avait pas manqué de noter qu'Aedelrik n'avait pas cessé d'évoquer la lune, et elle faisait confiance à son ressenti. Si l'astre lui avait tant marqué sa mémoire, il devait effectivement avoir un rapport avec sa transformation, et ils en découvriraient assez vite les conditions exactes.

"Pour toi... Je ne sais pas. On verra si ça se reproduit dans les jours qui viennent... Si c'est bien la lune comme tu dis, tu devras faire particulièrement attention la nuit. Peut-être quitter temporairement la ville, le temps d'être pleinement maître de tes réactions en tant que loup..."

Elle replongea dans ses pensées, essayant de se souvenir de ce qu'elle avait pu entendre sur le sujet. Certes, certaines histoires parlaient d'hommes-loups liés à la pleine lune, mais elle avait toujours vu ça comme des balivernes puisque son cas était différent. Elle ignorait comment distinguer le vrai du faux dans toutes ces légendes.

Elle fut tirée de ses pensées lorsqu'il réclama à manger.

"Parce que je dois t'entretenir en plus ? Il a bon dos le dominé !"

Elle n'avait jamais vraiment eu de meute, elle n'aurait pas su dire s'il ressentait vraiment cette hiérarchie entre eux ou s'il en était tellement persuadé que cela revenait finalement au même.

"C'est à se demander ce que tu faisais dans cette forêt si loin de la ville !"

C'était néanmoins de sa faute à elle s'il n'avait pas pu repartir à cheval, et c'était dommage si l'animal était parti avec des provisions.

"Je crois que ça m'amuserait de voir un citadin courir après un lapin..."

Elle avait laissé sa phrase en suspens, et un sourire étirait ses lèvres, guettant la réaction du jeune homme.

"Je plaisante ! Je ne vais quand même pas te laisser mourir de faim. En revanche ne t'habitues pas trop vite, dès qu'on sera arrivés tu tireras ton plan !"

Keith souleva le sac en bandoulière à son épaule le temps de fouiller dedans. Plus jeune elle se souvenait avoir raffolé de ces petites galettes de riz ou biscuits si pratiques à transporter lors d'un voyage. Avec le temps, elle avait fini par les trouver insipides.
Elle sortit un petit morceau de viande séchée pour le tendre à Aedelrik.


"Mange déjà ça. Ça évitera que ton ventre ne fasse fuir les proies en grognant !"

Ses yeux parcoururent la plaine à la recherche du moindre petit détail. Un arbre isolé, les variétés de plantes, des traces sur le sol, un chemin creusé par les cavaliers passés par là, une zone plus caillouteuse, ... certains de ces points distinctifs avaient pu bouger, d'autres non. Mais elle avait assez souvent parcouru la plaine de long en large et elle avait pris l'habitude de repérer les similitudes. Sans vraiment réfléchir ni prêter attention à son compagnon elle s'était remise à avancer. Elle pensait savoir où elle était, et ses souvenirs autant que ses sens de louve lui indiquaient la direction pour retomber sur un cours d'eau. Sans cesser de prêter attention aux petits détails plus terre à terre qui lui confirmaient qu'elle ne rêvait pas, aussi bien l'inclinaison du terrain que la végétation ou les autres animaux, elle finit enfin par entendre le son de la rivière qu'elle cherchait. Elle ferait d'une pierre deux coups puisque les animaux étaient sans doute plus nombreux dans le coin.

Arrivée au niveau du cours d'eau, elle mit toutefois en garde le jeune homme.

"Je ne pense pas que nous soyons proche de la source, ni qu'elle soit aussi claire que celle qu'on trouve en ville."

Après s'y être essayée un jour par dépit, elle-même savait avoir une bonne tolérance à l'eau qu'elle pouvait trouver dans la nature, même impropre. Sans doute devait-elle ça aussi à sa part animale, mais elle ignorait s'il en serait de même pour le louveteau, dont la transformation était toute récente.

"Libre à toi de la boire tout de suite ou d'attendre qu'on puisse la faire bouillir mais ne compte pas sur mon indulgence si tu es malade les prochains jours !"

De son côté elle entreprit de ramasser du petit bois. Ils auraient de toute façon besoin d'un feu pour cuire la viande. Du moins, encore une fois elle savait que ce n'était pas nécessaire pour elle, mais au delà de savoir si son compagnon supportait bien la viande crue ou non, ça restait un cap psychologique à franchir en tant qu'humain. Elle-même préférait éviter de manger de la viande avant de l'avoir un minimum préparée si ce n'était pas vraiment nécessaire. Une fois les braises du feu rougeoyantes, elle se releva et sortit de son sac la fronde qu'elle avait gardée depuis cette fameuse nuit où elle avait manqué l'étranger avec. Et où il était parti avec son arc.

"Nourris et surveille le feu en mon absence. S'il s'éteint tu auras de mes nouvelles !"

Plusieurs minutes s'écoulèrent avant qu'elle ne revienne, deux lapins attachés à sa ceinture, chantonnant un petit air de musique du bout des lèvres.

"Alors ce feu ?"

Détachant les deux lapins de sa ceinture pour les lever bien haut, elle ajouta, taquine :

"Et la cuisine tu sais faire, petit prince ?"


Aedelrik


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(vide)

« C'est à se demander ce que tu faisais dans cette forêt si loin de la ville ! »

Aedelrik perdit une partie de son sourire au souvenir de ce qui l'avait poussé à se rendre là bas. Keith se doutait elle de ce que ses mots impliquaient ? Elle avait déclaré cela avec légèreté, d'un ton doucement moqueur, mais le voleur se souvint avoir demandé à la louve d'en finir, lorsqu'il était dos au mur. Avait elle saisit à quel point il le voulait à cet instant ? Rien ne lui permettait de s'en assurer, et il ne souhaitait pas remettre le sujet sur le tapis.
L'heure n'était pas à ce genre de tourments, et le Renard avait surtout envie de satisfaire sa faim et de soulager ses pieds fatigués. Le reste attendrait. Après tout, les problèmes avaient ceci de commun avec les mouches qu'on ne gagne que peu de répit à tenter de les chasser. Mieux valait rire, tant qu'on avait la tête à cela.

Et Keith ne semblait d'ailleurs pas avare de plaisanteries, put constater Aedelrik lorsqu'elle suggéra qu'il pourrait s'essayer à la chasse au lapin. Après qu'elle eut lancé l'idée, il y eut un moment de flottement entre eux deux, où le voleur, figé dans l'embarras, cherchait à savoir si elle était sérieuse, et espérait fortement le contraire.


« Euh... Tu ne vas peut être pas me croire, mais je suis aussi habitué à la chasse en milieu sauvage que toi aux chevaux. Alors si tu veux manger ce soir... »

« Je plaisante ! » A ces mots, les épaules légèrement tendues du Renard retombèrent de soulagement et il s'empressa de rire avec Keith de la situation, ou de lui même, aussi. Au final, il y avait bien de quoi rire. Aedelrik se vantait souvent d'être un as de la survie, et voilà que dés qu'il sortait du monde civilisé, il se trouvait incapable de soulager sa faim. C'était une chose que de chaparder sur un marché, et une autre bien différente que de convaincre un lapin de finir sur une broche... Là dessus, Keith se moquait bien de lui en l'appelant "dominé", mais la réalité c'est qu'il n'était même pas un loup dominé, il était au niveau du louveteau qui a encore tout à apprendre... Et ne peut se nourrir tout seul.
D'autres que lui auraient mal vécu cette situation, mais le Renard savait quand bomber le torse et quand se montrer humble et bon élève. Du moins il essayait. Il est toujours dur de forcer une nature orgueilleuse à baisser le menton. C'est nettement plus aisé quand la dite nature éprouve une faim intense et qu'on a dans son sac de la venaison salée.


« Merci bien, soeur de poil ! » déclama Aedelrik en saisissant le morceau de viande en une parodie de minauderie de nobliau. Dés le premier coup de dent, il se sentit soulagé. C'était comme boire de l'eau de source après avoir avalé bu la tasse dans un égout mal entretenu. Sans doute le loup appréciait-il autant que lui le réconfort, malgré l'absence de sang et le sol qui avait permis de conserver la viande. Sa faim n'en fut pas complètement assouvie, mais c'était déjà un bon début. Le Renard allait questionner la louve sur la suite, quand celle ci se remit à marcher. Sans trop y réfléchir, il lui emboîta le pas. Silencieux, ou du moins bouche close, car il ne parvenait pas à assourdir sa marche, comme elle y parvenait naturellement. Malgré sa volonté d'aider Keith à repérer des proies, son regard déviait souvent vers l'horizon, et s'assombrissait aussitôt.

Après un moment, ils arrivèrent à une source. Keith l'avertit sur l'état de l'eau, mais Aedelrik lui posa une main rassurante sur l'épaule tout en lui apprenant que
« Les gens de la ville ne boivent pas tous à de belles fontaines. Quand on vit là où je vis, on apprend à supporter les sources moins claires. » Et comme pour confirmer ses dires, il s'accroupit au bord de l'onde et, portant ses mains en coupes, but à grands traits. Oui, l'eau avait un goût, mais rien de pire que ce qu'il devait supporter lorsqu'il devait rester confiner dans certaines de ses planques souterraines.

Autour de la source se déployaient, aussi majestueux que paresseux - de vrais rois - des arbres qu'il aurait pu dire centenaires. Aussi, lorsque Keith se mit à rassembler du bois, Aedelrik vit bien vite ce qu'elle avait en tête et il s'activa également. Il l'observa avec attention manier son briquet, et également une petite appréhension. La plupart du temps, le Renard se défiait du feu. Ou plutôt, il se méfiait de lui même, en présence d'un feu. De la même manière qu'une bouteille d'alcool ne se révélait dangereuse qu'en présence d'un alcoolique. Sauf pour frapper quelqu'un avec, évidemment.

Sa gorge se serra un instant lorsqu'elle lui confia le foyer et s'éloigna. Si Keith n'avait laissé là son sac et ses fourrures, il aurait pu croire à un abandon. Après tout, Aedelrik lui avait longuement montré le genre de boulet qu'il était en pleine nature. Le genre qu'une personne indépendante et solitaire doit agacer. Cette situation commençait à lui peser lorsque ses yeux se posèrent sur le feu. Il soupira, d'un plaisir peu éprouvé et peu avouable.

Sans pouvoir s'en douter, la louve avait laissé le feu au meilleur gardien possible. Le Renard était trop fasciné par ces flammes, trop amoureux de leur dance endiablé et emprise d'une sensualité surnaturelle, pour seulement tolérer qu'elles ne s'éteignent. Entre ses mains expertes, le foyer était nourri lorsqu'il le fallait, protégé des rafales qui soufflaient sur la plaine, mais toujours contrôlé. Le contrôle, c'était le plus important. Le détail essentiel qui ne devait pas faire défaut... Aedelrik approcha un instant sa main, cherchant à épouser la forme de l'un des voiles de feu, et la retira brusquement lorsque celle ci le mordit. Une grimace déforma son visage et tandis qu'il allait soulager sa paume dans la source, il eut envie de se baffer. Comme si cela suffisait à le faire retourner sur terre !


« Alors ce feu ? »

Le Renard releva brusquement le museau, véritablement surprit par l'arrivée de Keith, qu'il n'avait ni vu ni entendu arriver, plongé qu'il se trouvait dans son mal. Mais son trouble ne resta pas longtemps sur son visage et il afficha bien vite un air satisfait, en désignant le feu qui brûlait encore, avec un bel éclat. « Je me suis débrouillé. Comme toi, apparemment. »
Il venait en effet de voir les deux lapins à la ceinture de la chasseuse. Sans trop le dire, il était impressionné devant la rapidité de celle ci. Un regard vers le ciel lui confirma qu'il ne s'était pas perdu dans ses flammes pendant longtemps. Le soleil avait à peine bougé. Keith s'affichait moins que lui, mais elle connaissait visiblement son sujet.
Lorsqu'elle leva ses prises devant lui, non sans un sourire taquin, il la trouva belle, encore. Et ce fut fort heureux qu'elle aborde aussitôt le sujet de la cuisine, car à la contempler ainsi, Aedelrik avait peu conscience que ses lèvres entrouvertes et son regard fixe dissimulaient mal son émotion. Heureux donc, car sur ce sujet, il ne finissait pas la course en dernier. En se relevant, il rendit son sourire à Keith et déclara,


« En cuisine, je ne suis pas un prince. Je suis un roi. Un empereur, selon certains ! Ou disons plutôt que je me débrouille, notamment pour la viande. Si tu peux trouver de quoi les maintenir au dessus du feu, je m'occupe du reste. » Il alla vers le cours d'eau, plongea ses mains et en sortit une grande pierre plate qu'il installa prés du feu. A la suite de quoi, il sortit sa dague et s'empara d'un des lapins et commença sa besogne, sur la pierre.
Les gestes lui revinrent en quelques instants. Depuis que son âge lui permettait de tenir un outil, Aedelrik avait toujours eu une bonne mémoire des gestes. Derrière une forge, une table de boucher ou sur le manche d'un instrument... Il apprenait vite, et n'oubliait pas. Cela valait aussi pour le maniement d'un surin ou d'une tige de crochetage, mais il évitait d'y penser. En l'occurrence, ces lapins sauvages, tout en muscles, ne lui posèrent pas trop de problème. Il coupait au ras de la fourrure, ne laissait que peu de viande, dégageait correctement ce qui devait l'être... Le second lapin suivit le premier et après la moitié d'une heure, ce fut fait. Enfin, pas complètement, et la cuisine succéda au dépeçage. Au pieds des arbres, Aedelrik repéra quelques herbes odorantes et les broya avec un galet sur sa pierre plate, avant de les appliquer sur la viande. Ensuite, il hydrata celle ci avec un peu d'eau de la source et la sépara en deux groupes. Les gros morceaux, il les enfila sur la broche, et il mit les petits à cuire sur la pierre.

Une heure s'était déroulée, sans qu'il ne dise un mot. Comme à chaque fois qu'il faisait quelque chose de ses mains, le Renard s'était montré trop absorbé pour parler. Keith n'avait pas disparu de son horizon, mais il avait cessé de sentir son regard, ou tout autre regard, peser sur lui. Seulement, à présent que son oeuvre était achevée, le véritable Aedelrik refit surface.


« Tu ne t'attendais pas à ça, hein ? » Il avait demandé cela d'un ton bravache, mais sans malveillance. C'était un peu sa revanche, après s'être constamment montré en dessous de Keith depuis qu'ils s'étaient rencontrés. L'humour pouvait parer au ridicule un temps, mais il venait toujours un moment où le Renard avait besoin de reprendre un peu du poil de la bête. « Tu verras. On va se régaler. » A présent que le feu était redevenu un outil, il ne possédait plus le même pouvoir sur le voleur, et ce dernier n'était plus fasciné que par son repas en devenir. Alors, pour tromper l'attente, et par goût de la chose, il parlait, voire plus, « Ca serait plus joyeux avec un chant. Tu connais des chants hyliens ? Ah ! Il me faudrait une mandoline, ou un violon. Je suis sûr que je pourrais improviser sur un air que tu connais. Oh. »

Une fumée chargée d'odeurs commençait à monter de la pierre. Les petits morceaux cuisaient toujours plus vite. Aedelrik la sortit alors du feu et dit à Keith, d'une voix où perçait une certaine appréhension, comme le trac d'un acteur avant la scène, « Vas y, goûte. Dis moi ce que tu en penses. »

Ca n'était rien, que de la viande. Mais il est des hommes pour qui rater la plus petite tâche relève de l'échec personnel. Surtout quand cela concerne certaines autres personnes.


Keith Lyne


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(vide)

Lorsque Keith rejoignit leur campement temporaire elle trouva le louveteau occupé à jouer avec la source d'eau mais le feu brûlait toujours aussi bien qu'à son départ, si pas mieux encore. Il était bon de savoir qu'elle pouvait lui confier le campement, ils auraient sans doute d'autres arrêts avant d'atteindre la ville.

Elle fut toutefois plus surprise par le regard qu'il lui lança quand elle lui présenta ses prises. Soit il était bien plus affamé qu'elle ne le pensait, soit il était moins innocent qu'un petit louveteau finalement. Peut-être était-ce une des raisons pour lesquelles la citadelle et la compagnie qu'on pouvait y trouver lui manquait autant.

"Je sais que ce sont de beaux lapins mais évite de baver ~"

Elle ignorait si c'était la faim ou la volonté de prouver ses si-vantés dons aux fourneaux mais la proposition de cuisiner qu'elle lui fit ensuite sembla l'enthousiasmer. Plus qu'emballé, il lui promettait même la lune. Curieuse de savoir à quoi elle devait s'attendre, Keith s'exécuta et lui installa quelques branches au dessus du feu avant de le laisser plonger dans son monde. N'ayant pas grand chose à faire pendant qu'il dépeçait les lapins Keith suivit ses gestes d'un œil distrait. Elle avait peu l'habitude de cuisiner. Elle connaissait les bases et elle pouvait faire un repas décent, mais elle prenait rarement le temps d'aller plus loin. Elle se forçait à cuire sa viande pour ne pas en perdre l'habitude mais elle manquait de patience. Il n'y avait guère que dans les auberges qu'elle goûtait à des mets plus raffinés.

Lorsqu'il eut terminé de dégager la peau de l'animal, elle alla la récupérer, ravie de pouvoir s'occuper. Qu'il s'active à la cuisine lui laissait le temps de prendre soin des fourrures. Ça ferait toujours ça de plus à vendre en ville, mais surtout elle n'aimait pas gaspiller.

Keith devina que la préparation arrivait à son terme lorsque le jeune homme, incroyablement silencieux et concentré jusque là recommença à parler. Elle eut un sourire taquin en l'entendant se vanter à nouveau.

"Je ne m'attendais pas à ça non, affamé comme tu l'étais je ne pensais pas que tu patienterais une heure complète à manipuler de la viande."

Il était trop tôt pour qu'elle puisse juger si ça en valait la peine. L'avantage c'était que l'attente lui avait ouvert l'appétit à elle aussi. Elle avait pour sa part fini de nettoyer les peaux, suite au travail précis de son compagnon il ne restait pas beaucoup de viande à gratter. Elle tressait à présent un cercle de bois souple où elle pourrait attacher et tendre les peaux. Il faudrait plusieurs jours pour qu'elles sèchent, ils devraient donc les transporter avec eux.

Elle releva un instant la tête de son ouvrage quand il parla de chants hyliens. Elle fouilla sa mémoire. Tout ce qui lui vint à l'esprit c'était de vieilles chansons paillardes entendues dans des auberges, et chantées après quelques verres de trop pour certaines.

On n'interprétait pas de chansons hyliennes chez elle. Et la plupart des chants qu'elle avait entendus plus jeune chantés par sa famille, elle n'aurait pas voulu les chanter de peur de déformer une langue qu'elle respectait beaucoup sans avoir jamais eu l'occasion de la maîtriser convenablement. L'air qu'elle chantonnait un peu plus tôt lui revint en tête, cette chanson c'était son frère qui le lui avait traduite en hylien. Elle avait oublié la version originale. Mais elle la fredonnait souvent.

"Il n'y en a guère qu'une que..."

Mais la question semblait finalement rhétorique. Sitôt une douce odeur arrivée à ses narines l'homme reporta directement son attention sur la nourriture. Un odorat plus développé n'allait sans doute pas l'aider à rester très attentif. Keith s'apprêtait à reprendre son travail quand la voix tendue de son compagnon se fit entendre pour l'inviter à goûter son œuvre.

"Tu es sûr que tu n'en fais pas trop ?"

Acceptant de jouer le jeu elle laissa tout de même son tressage de côté pour se saisir d'un des petits morceaux de viande et l'avaler. Elle sentait le regard du cuisinier anxieux posé sur elle, aussi garda-t-elle un air aussi neutre que possible.

"Hm... J'ai connu mieux, mais ça va, c'est passable..."

Guettant une réaction du jeune homme qu'elle aimait décidément tourmenter, elle ne fit toutefois pas durer le calvaire.

"Je plaisante, c'est très bon, allez mange aussi avant de tomber mal !"

Après tout c'était avant tout lui qui avait eu faim le premier. Et si bonne que soit la nourriture, elle savait qu'ils ne feraient pas à chaque fois de si longs arrêts. Un peu de luxe ne pouvait pas faire de mal, mais elle avait trop l'habitude de se contenter de peu pour y attacher plus d'importance.

Se remettant à la tâche en attendant que le reste de la viande soit cuite, ce fut à son tour de reprendre la parole.

"Dis-moi... Je peux poser une question indiscrète ?"

Elle n'eut pas l'impression que son compagnon y était opposé, aussi se lança-t-elle.

"Tu m'as avoué plus tôt être un voleur, en avoir fait ton métier... Pourquoi... ? Je veux dire, si tu sais cuisiner, jouer d'un instrument, ou que sais-je encore, pourquoi ne pas gagner ta vie autrement ?"

Jusque là elle n'avait pas le sentiment que l'homme se soit montré malhonnête avec elle. Peut-être était-ce simplement dû à l'expérience partagée en commun dans la forêt ou une certaine reconnaissance. Peut-être que lors d'une rencontre due au hasard les choses se seraient déroulées différemment. Mais dans l'absolu c'était un choix de vie qu'elle avait du mal à comprendre, quand il n'était pas fait par dépit. Elle ne connaissait pas grand chose de sa vie, ni des méthodes qu'il employait habituellement, mais elle ne pouvait pas imaginer qu'il ne soit pas possible de gagner honnêtement sa vie en étant doué de ses mains.


Aedelrik


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Elle jouait avec ses nerfs comme personne, mais ce qui l'aurait d'ordinaire fait bondir de colère le faisait cette fois ci rire de bon coeur. Aedelrik n'avait jamais apprécié constituer l'objet de la farce, et préférait largement que la moquerie se fasse aux dépends d'un autre. Alors, quand il s'entendit rire de soulagement après qu'elle lui ait réellement fait manquer quelques battements de coeur, sa bonne humeur ne manqua pas de le troubler lui même. Puis, à la réflexion, il remarqua que quelque chose avait changé, depuis la forêt. Une différence difficilement perceptible car l'évacuation de ses pensées noires l'avait jusque là complètement occultée.

C'était dur à décrire. Le renard ne la ressentait pas comme présente mais plutôt comme une absence. Une légèreté, après avoir porté un poids pesant durant si longtemps que ce poids s'était fondu avec le reste. Spontanément, il repensa à cette légende du géant des glaces qui portait la montagne, là d'où il venait. La différence lui faisait cet effet là : d'avoir déposé une montagne de ses épaules, une montagne d'angoisses, de préoccupations et de projets en construction permanente. Pour la première fois depuis longtemps, il arrivait à vivre l'instant présent sans penser au reste.
Un instant, il se demanda si ça n'était pas Keith qui lui faisait perdre la boule... Mais Aedelrik étouffa bien vite l'hypothèse. Même du temps où il était avec... avec elle, jamais il n'avait autant perdu le nord. Même enivré par des sentiments qui lui semblaient infinis et éternels, son esprit restait ancré à la réalité et au monde. Alors, il pensa à ce qui avait changé, d'autre. Et tout fut clair. Le Loup. Pourquoi donc le loup craindrait il ce qui était encore lointain ? Pourquoi chercherait il à tout prévoir avec trois coups d'avance. Un loup agit à l'instinct, sans se projeter. Et sur ce point, le renard devait bien s'avouer que c'était une sensation plaisante. Il mordit à pleine dents dans la viande, sentant la faim refluer à mesure que son ventre se satisfaisait de ce festin. Il tendait la main vers la viande sur la broche quand Keith lui demanda si elle pouvait poser une question indiscrète. Aedelrik lui décrocha un sourire taquin, avant de rétorquer,


« Essaye toujours, tu ne risques rien. »

Il préférait toujours ça à de l'indifférence. Et puis, bien que précautionneux quand à ce qu'on pouvait savoir sur lui, le rouquin appréciait que l'on parle de lui, tout autant que sa curiosité le poussait à vouloir en apprendre le plus possible sur les autres.
La question en elle même ne le troubla pas, ni le surprit. A vrai dire, il s'attendait bien à provoquer cet effet en révélant ainsi de but en blanc son métier à une presque inconnue. Le grand avantage de cette question, c'était que Aedelrik y avait longuement réfléchi. Comme tous les choix que sa vie l'avait poussé à faire, celui de s'engager dans le crime avait été soigneusement pesé. C'est donc avec un aplomb certain qu'il répondit, d'un ton léger,


« Aye. Je suis plutôt doué de mes mains, je sais lire et presque écrire. Je sais y faire avec des clients, marchander. J'ai de la force dans les bras et dans les jambes. Pas comme les estropiés qui mendient leur repas et en profitent pour découper le fond d'une bourse, ou comme les gosses abandonnés qui n'ont que le chapardage à l'étal pour survivre. Non, moi, je n'ai aucune excuse. »

Il laissa ses mots s'envoler et le silence peser. Ca n'était que la première partie de la réponse, mais c'était déjà lourd de sens. Keith ne devait pas chercher à le justifier. Non seulement c'était inutile, mais cela le vexerait. Car derrière leur atours peu relisant, les voleurs nécessiteux cachaient en fait des victimes, des accidentés de la vie et du monde, dépouillés de leur dignité, et qui dépouillaient en retour, sans jamais récupérer ce qu'ils avaient perdu. Après un instant silencieux, il poursuivit donc,

« Je vole parce que j'aime ça. » Déclara-t-il franchement. « Je ne me vois pas suer longuement et au quotidien pour simplement m'assurer un jour, une semaine ou une année de labeur en plus. J'aime le vol parce qu'il me permet de consacrer ma vie à autre chose, parce qu'il me rend libre. Et pour comprendre la valeur que ça a, il suffit d'ouvrir les yeux ! » Il ouvrit les bras en une posture un peu théâtrale mais qu'il espérait non pas trop forcée. Se faisant, il désignait la plaine autour d'eux, et notamment sa constellation de champs, de villages et quelques châteaux dont les silhouettes intimidantes se devinaient à plusieurs points de la ligne d'horizon. « Je suis né dans un monde déjà taillé en coupe réglée, où certains viennent au monde esclaves, au service d'autres venus au monde nobles et puissants. Un monde où les frontières sont déjà posées et où des gens morts depuis longtemps ont établies toutes les règles et les lois pour l'éternité. Ca, je ne l'accepte pas. Je refuse de ployer le genoux devant les nobles ou que mendier un salaire à un maître. Alors je prends ! Et comme la loi est avec eux, je suis contre la loi. » Le renard s'empara brusquement de la broche où était plantée le reste de la viande et fit mine de la tenir hors de portée de Keith, avant de lui tendre comme pour la rassurer. « Je fais comme toi, qui prends la vie d'animaux pour leurs fourrures, ou comme les paysans qui prennent ce que la terre daigne faire pousser pour eux. Je prends. Et j'adore ça ! Le vol, c'est un métier incroyable, quand tu as du talent pour ça. Escroquer par la parole, imaginer un plan, trouver la faille dans une demeure ou un coffre fort, crocheter une serrure complexe, soutirer une bourse en toute discrétion... Et puis surtout, il y a le risque. Le risque rend la réussite grisante. Tout ce qui importe c'est de toujours avoir la providence avec soi. C'est pour ça que les seuls êtres que je crains sont là haut... » D'un geste de la main, il désigna le ciel puis la terre « Et là bas. »

Et encore ! Aedelrik n'était pas le plus dévot de tous les hommes, mais il croyait en sa chance, au destin et à des forces dépassant le monde même, dépassant les hommes et leurs lois stupides. De ses forces là, il s'efforçait avant tout de ne pas s'en attirer la colère. Sans doute était ce là une des rares marques d'humilité auxquelles il contraignait son caractère rebelle. Mais on ne plaisante pas avec les dieux.

« Et puis, il y a vol et vol. Si ce soir, dans ton sommeil, je m'emparais de tes fourrures avant de fuir... Et bien je serais sacrément stupide, déjà, étant donné mes chances de t'échapper. Mais surtout, je te laisserais sans rien. Certains n'y verraient aucun problème, mais j'ai une autre... philosophie. » Il laissa un blanc derrière ce dernier mot, assez fier de connaître de pareils termes savants dans une langue qu'il avait apprise encore récemment. « Je laisse toujours à ceux que je vole de quoi se refaire. Un peu comme pour une partie de dés entre amis ; si l'un perd toute sa mise, les autres s'arrangent pour lui laisser de quoi jouer. Autrement, le perdant serait éjecté du jeu, et la soirée perdrait de son intérêt. Avec moi, ceux qui ont trop peuvent trembler. Les miséreux n'ont rien à craindre. »

Aedelrik repensa soudain aux rumeurs qui courraient parfois au sud de Cuidarrea, quand il était jeune, sur une bande de brigands qui redistribuaient aux petites gens leurs butins. Lui avait toujours trouvé ça con, et il n'était sûrement pas de cette trempe de héros. Son principe était moins moral que pragmatique : un voleur détesté de tous ne fait pas long feu. Au contraire, montrez de la souplesse, de la magnanimité, et prenez vous en à ceux que tous le monde jalouse, et trouverez toujours une main tendue en cas de besoin. En revanche, Keith n'avait pas besoin de savoir tout ça. Peut être serait elle plus rassurée de se figurer que Aedelrik suivait en fait un code moral stricte digne de ces connards de chevaliers.

« J'espère que je ne t'ai pas assommé avec tout ça. Mais si tu le veux bien, j'aurais moi aussi une question à te poser. » Et devant son absence de protestation, de poursuivre, « Pourquoi cette vie ? La vie sauvage ? Je veux dire... Ca n'est pas tout confort. C'est dangereux, c'est rude, ça ne fait pas de cadeaux, c'est solitaire... Par contre, la ville pourrait offrir quelques opportunités pour une jeune femme charmante et débrouillarde. Et même, un simple village peut s'avérer agréable à vivre si on apprécie la campagne. Alors pourquoi la forêt, les ronces et les moustiques ? Tu y as toujours vécu ? C'est à cause du loup ? Ou bien on t'y a forcé ? »

Le renard avait lâché ces derniers mots avec moins de bonne humeur. Au fond, c'était un peu la crainte qu'il éprouvait avant de poser sa question : remuer des souvenirs peu joyeux. Il se doutait bien que les paysans Hyliens devaient ressembler à tous les autres, lorsque confrontés à une créature aussi étrange qu'une femme-louve. Pour ce qu'il en savait, la tolérance des hommes à ce qu'ils ne comprenaient pas n'était pas une qualité de l'humanité. En fait, c'était là une leçon gravée dans sa mémoire, et dans sa chair.


Keith Lyne


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Tout au long de son discours, Keith resta silencieuse. Laissant un instant de côté le repas elle avait repris son ouvrage. Elle voulait tendre les peaux avant de continuer de manger. Mais ses oreilles restaient attentives. Habituée aux gestes qu'elle effectuait, elle relevait régulièrement les yeux vers lui, comme pour vérifier qu'il était bien sérieux.

Elle se demanda pourquoi elle avait cru pouvoir comprendre. Vivre du vol, pour lui c'était volontaire. C'était pour ne pas abîmer ses petites mains au travail. Par paresse. C'est le mot qu'auraient mis ses parents là-dessus. Qui plus est, un homme qui ne sait pas se débrouiller sans avoir besoin, même indirectement, des autres ne fera pas long feu. Dépendre des autres, et survivre au prix de leur malheur, éprouver du plaisir à leur soutirer leurs biens dans leur dos, c'était quelque chose qu'elle ne comprendrait décidément pas, peu importe l'enrobage des mots.

Toutefois, même s'il pouvait peut-être lire la désapprobation sur son visage, elle ne l'interrompit pas pour commenter. Elle aurait pu faire la morale à un jeune garçon pris la main dans le sac, mais l'homme en face d'elle était en âge d'avoir fait ses choix en toute connaissance de cause, il lui importait sans doute peu qu'elle ne les approuve pas. Et lorsqu'il eut fini de parler de lui, il lui retourna la question. Elle haussa les sourcils, perplexe. Mais ce qui était évident pour elle ne l'était pas forcément pour lui. Elle tâcha de mettre des mots sur son quotidien.

"Plus ou moins. J'ai toujours vécu ainsi, ma famille n'avait pas souhaité s'établir en ville. J'ai quand même eu un toit pendant mon enfance, mais je suis mieux ainsi."

Clairement, elle ne voulait pas revenir sur cette période. Elle embraya donc sur la suite.

"Ferme un instant les yeux, et la bouche. Et écoute autour de toi."

Autour d'eux : le silence. Ou presque. De légers bruits de vent, le ruisseau à quelques pas, le crépitement du feu, les pépiement des oiseaux... Tous ces sons qui s'accordaient si bien ensemble, qui la relaxaient. Bien loin du brouhaha qui régnait dans les villes, et des bruits sourds qui pouvaient tout de même résonner dans les villages.

"J'en ai besoin parfois. J'aime bien la ville, son effervescence, j'y ai plusieurs amis mais... Une fois de temps en temps, c'est suffisant."

Se retrouver seule n'avait rien d'une punition. Elle aimait la compagnie, se montrait généralement sociable, mais elle était incapable d'imaginer ne jamais pouvoir se ressourcer à l'écart de l'agitation. Elle avait besoin du calme, et de cet environnement qu'elle connaissait si bien.

"Quand on est habitué, ça n'a rien d'inconfortable. Les moustiques il y a des moyens de les repousser, et ils ne sont pas partout. Les ronces je ne dors pas dedans. J'ai des abris, mes petits coins à moi, ou j'en confectionne. Quant à la forêt... La forêt est riche et merveilleuse."

Une fois de plus elle remarquait qu'elle n'avait pas réussi à lui transmettre le même attachement qu'elle pour la vie en forêt. Mais qu'importe, ça resterait son jardin secret à elle.

"Je n'ai besoin de rien, ni personne. C'est pour ça que je suis libre."

S'il partait avec ses possessions, même dans leur entièreté ? Bien sûr qu'elle serait en colère. Évidemment qu'elle aurait envie de lui faire passer un sale quart d'heure en retour. Personne à sa connaissance n'appréciait de se voir dérober le fruit de son labeur, sans même compter sa fierté. Mais elle survivrait, même privée de tout. Elle pouvait construire des pièges, improviser une fronde. Et elle avait beau préférer la viande, et de loin, elle savait ce qu'elle pouvait ou non manger en attendant d'en avoir sous la dent. Tant qu'elle serait en vie, et elle comptait le rester, elle aurait toujours de quoi se relever.

"Tu n'es pas libre à mes yeux. Tu dépends de la société que tu prétends fuir. Tu n'as pas suivi le chemin classique, tu n'as fait qu'ajouter un embranchement. Moi je l'ai quitté, et je le rejoins seulement si l'envie m'en prend."

Tout pouvait s'écrouler demain, elle saurait encore s'occuper d'elle. Bien entendu elle regretterait ses amis si elle devait les perdre ou les laisser derrière elle, elle ne prétendait pas être totalement détachée. Elle éprouverait sûrement de la peine. De même, le monde telle qu'elle le connaissait lui manquerait sans doute aussi, c'était ce qui la retenait dans les parages, et ce qui l'avait fait plusieurs fois penser à intervenir dans la guerre qui le rongeait. Mais elle survivrait, parce que c'était ce qu'on lui avait appris. Les leçons avaient été éprouvantes, mais elles avaient fait d'elle ce qu'elle était.

"Je ne suis pas un bon forgeron.. je ne suis pas forgeron tout court à vrai dire. Mais je peux bricoler une arme avec ce que je trouve. Je ne suis pas une excellente cuisinière, mais je trouverai toujours de quoi subsister. Je ne suis pas charpentier, mais je peux m'emménager un campement confortable..."

La vente de ses fourrures, d'excédents de chasse ou de ce qu'elle pouvait confectionner, c'était du confort, une facilité dont elle aurait pu se passer pour survenir uniquement à ses besoins propres. Elle n'avait pas de raisons de se priver d'outils de qualité puisqu'elle avait l'occasion d'en obtenir, mais cela ne voulait pas dire qu'elle était incapable de s'en passer. Et il lui était souvent arrivé ces temps-ci de se séparer d'une part de ses marchandises sans rien demander en échange.

"Si je me levais, maintenant. Si je partais en laissant ce feu de camp, en t'abandonnant tout ce que j'ai, ce ne serait pas un problème pour moi."

Il n'y avait qu'une chose matérielle irremplaçable à laquelle elle s'était vraiment attachée, qu'elle avait gardée de son passé, en dehors des souvenirs. Et cet arc, elle ne l'avait malheureusement plus avec elle pour l'instant.

"Pour le... Le loup comme tu dis... Ça n'a rien à voir. Personne ne voit ça d'un mauvais œil parce que personne n'est au courant, personne ne le sera. Et ça restera ainsi."

Son regard en disant long sur la menace que sous-entendait cette remarque.

"Je contrôle ça, il n'y aurait pas de danger si je m'établissais en ville. Je ne le souhaite simplement pas."

Tout en continuant de réfléchir, elle entreprit d'attacher les peaux de lapin sur les surfaces qu'elle avait finalement achevé de tresser.

"En fait..."

La jeune femme releva les yeux vers le voleur, d'un visage qui se voulait aussi imperméable que possible.

"C'est la vision que tu as de moi ? Une miséreuse, une paria, une sauvageonne ?"


Aedelrik


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Il est des moments où même le plus bavard des hommes ne parvient plus à ouvrir la bouche. Des instants parcourus de douleurs, où la voix ne veut plus vibrer, où le souffle reste coincé au fond de la gorge. Pour certains, cela leur arrive devant le corps froid d'un proche, ou bien face à l'effroi d'un spectacle insupportable. Autant de possibilités qu'il existe d'êtres humains, en somme. Jusque là, Aedelrik n'avait presque jamais été l'un d'eux. Sa grande gueule, comme il l'appelait, il l'avait forgé jusque dans l'horreur la plus indicible. Devant le corps froid et couvert de bubons pesteux de son maître, le jeune adolescent avait tenu à chanter. Face à la tête tranchée de sa première femme, il avait hurlé. Et à chaque fois que le destin s'en prenait à lui, il déclamait sa souffrance avec la conviction et le panache d'un personnage de tragédie théâtrale. Il en aurait fallu, des malheurs, pour lui clouer le bec. En fait, le Renard prenait même un malin plaisir à ne jamais la fermer, sa grande gueule. Ainsi, bruyant, il se sentait vivant.

Et pourtant, la réponse de Keith le plongea dans un profond silence.
Dés lors qu'elle lui intima de laisser la place aux sons de la nature environnante, Aedelrik n'esquissa pas même un soupire. Le lui aurait on demandé, il ne l'aurait pu. Bien plus profondément que le ton déjà rude de la louve, quelque chose se nouait en lui en l'écoutant. En entendant des mots, en particulier.


« ...La forêt est riche et merveilleuse. »

Hasard ou Destin, cette phrase venait de happer le voleur dans les premiers méandres de sa mémoire, dans le grenier de ses souvenirs, dans un placard cadenassé à double tours et dont il pensait avoir jeté la clé. Sa voix s'était perdu à l'intérieur, et ne parvenait pas à ressortir. Au lieu de cela, ses yeux toujours clos semblaient apercevoir sur la toile noire de ses paupières baissées une silhouette longtemps oubliée, appelant un enfant d'un timbre chaud et affectueux à travers de grands sapins croulant sous la neige.
A mesure que Keith évoquait sa vie forestière, Aedelrik se sentait approcher de l'homme, c'en était bien un, et reconnaître une main ridée, une démarche fatiguée, une chevelure d'argent mal coiffée. Mais à un instant, il ne put aller plus loin. La silhouette se tourna alors vers lui, mais il ouvrit les yeux, terrifié à l'idée de croiser son regard. A cet instant, le Renard vit celui de Keith planté sur lui. Il sentit sa colère, malgré le contrôle qu'elle affichait, dans ses derniers mots.


« C'est la vision que tu as de moi ? Une miséreuse, une paria, une sauvageonne ? »

Le voleur compris ce que signifiait cette question ; Comment ose-tu juger, toi qui es misérable ? Il ne trouva pas aisément les mots, trop retourné et noué qu'il était encore de l'apparition brusque de son passé enfoui. Il préféra regarder fixement le feu devant lui plutôt que d'endurer le jugement, dur, qu'il lisait dans les yeux de Keith.

« Désolé. Je ne voulais pas dire ça. J'ai vécu si longtemps comme je le fais que je suppose que... Je me suis forgé une manière d'être, et j'ai du mal à imaginer que l'on puisse préférer autre chose. La forêt, la nature... J'ai préféré les oublier. Mais je suppose que le loup me forcera à les retrouver. »

Et à se confronter à des fantômes du passé, pensa-t-il, non sans en éprouver un violente angoisse qui le fit frissonner, signe que le placard n'était pas encore complètement refermé. D'ailleurs, même la danse du feu ne lui évoquait plus la beauté intrinsèque des flammes. A la place, il voyait une petite charpente se consumer rapidement dans l'air sec du matin. Il détourna à nouveau le regard et se leva, en s'étirant sans assez de conviction pour paraître naturel, son attention dérivant sur la plaine alentours. Finalement, il retrouva assez de souffle pour terminer ce qui ressemblait à des excuses,

« On n'est miséreux que lorsqu'on subit la misère, pas lorsqu'on choisit de vivre loin du confort. Je suppose que ça fait de moi un meilleur miséreux que toi. » Il s'essaya à sourire mais l'envie n'était plus là. « En fait, je pense que c'est toi qui a raison. Je ne suis pas libre, mais la liberté ne te sauve pas. Survivre te sauve. » Ces mots sortaient chargés de fiel, bien trop à son goût mais il n'y pouvait rien. Paraître joyeux était alors au dessus de ses forces. « Allons, reprenons notre route, tu dois être impatiente d'en finir avec moi. Et ne t'en fais pas pour notre secret, il restera bien gardé. »

Le chemin était encore long, et Aedelrik se considérait bien alors comme un poids mort pour Keith. Mais plus profondément, il serait heureux de retrouver la ville. Là, il pourrait oublier, se perdre dans ses dédales et dans les affaires qui y courraient toujours. La ville ne se reposait jamais vraiment, elle fonçait et permettaient à ceux qui le désiraient de foncer avec elle, en avant, sans regarder en arrière, toujours plus loin. Loin de ce qui restait enfoui, mais ne voulait pas disparaître.


Keith Lyne


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(vide)

Keith fut surprise par la réaction de son compagnon de route. Elle ne comprit pas ce qui le perturbait autant, mais elle se radoucit en constatant que l'image qu'il se faisait d'elle n'était pas celle qu'elle avait crue, ou du moins pas de façon figée. Tout en l'écoutant, elle l'observa pendant qu'il se levait. Il lui semblait qu'à présent, le ventre plein, il avait à nouveau cet air pressé d'arriver à destination.

"Survivre ne me suffit pas à moi. J'imagine que c'est ce qui rend nos perceptions si différentes."

Elle se leva, prête elle aussi à se remettre en route. Alors qu'elle lui prêtait une oreille distraite tout en ramassant ses affaires, elle tiqua aux dernières phrases du voleur.

"En finir avec toi ?"

Elle posa un regard curieux sur lui, le temps de réfléchir à ce qu'il pouvait vouloir dire par là.

"Tu crois que je suis là par contrainte ? Encore une différence entre nous. Si j'en avais eu assez ça fait un moment que je serais loin d'ici."

La chasseresse se saisit de la fourrure qu'elle avait tendue un peu plus tôt et reprit la marche. Ils avaient encore plusieurs jours devant eux mais elle ne partageait pas l'impatience du jeune homme. Le bout du voyage n'était pas une fin en soi.

***


Ils avaient eu de la chance jusque là, mais la pluie semblait ne pas vouloir les épargner pour leur dernier jour de route. Depuis le matin un torrent se déversait sur eux et une bonne place au chaud, dans une petit auberge face à un feu de bois, leur ferait du bien. Au delà du confort, Keith craignait surtout pour ses marchandises. Les peaux et fourrures ne se conservaient pas particulièrement bien avec l'humidité et au plus tôt elle pourrait les sécher et les vendre, au mieux ce serait.

Elle avait accéléré le pas, le soleil déclinant petit à petit à l'horizon leur indiquant qu'il restait de moins en moins de temps avant de devoir se résoudre à une nuit humide à la belle étoile.

Elle fut rassurée en atteignant le pont de bois encore suspendu au dessus des douves. La plupart des marchands avaient sans doute fermé boutique pour rentrer profiter de la soirée avec leurs familles, mais à présent elle pouvait attendre le lendemain. Il lui restait de quoi se payer une chambre et l'accès à un bon feu de cheminée éviterait à son gagne-pain de pourrir bêtement.

Ralentissant et reprenant son souffle, elle en profita pour s'assurer que le louveteau l'avait suivie.

"Alors, soulagé de rentrer au bercail ?"

La forêt était loin à présent, et elle espérait qu'elle n'avait pas fait une erreur en le ramenant en ville aussi vite. Elle ne pouvait toutefois pas faire grand chose de plus. Elle lui avait donné toutes les informations dont elle disposait pour qu'il arrive à concilier ses deux vies. Petite fille, elle avait suivi aveuglément son frère, et elle ignorait elle-même beaucoup de choses sur sa propre nature.

"J'imagine que nos chemins se séparent ici ?"

Elle ré-ajusta machinalement le fardeau sur ses épaules.

"Moi il faut que je fasse sécher tout ça si je veux en tirer un bon prix demain."

Elle connaissait quelques auberges à la Capitale. Sans doute pas les plus luxueuses, mais leur ambiance correspondait plus à ses goûts.

"Je crois que le Chaudron Hurlant fera l'affaire. On y boit bien, et jusqu'à plus soif."


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