Posté le 04/08/2025 01:22
La terre tâche la pulpe de ses bois tandis que, à l'horizon, une brume vorace avale doucement les Landes et recouvre peu à peu le Veld Austral. Son regard glisse, lentement, des traces de pas que sa proie a laissé dans la boue jusqu'à la mer blanche qui se dessine sous ses yeux de givre. La pluie battante qui tombe des cieux en nuée, comme une vague de coutelas froide et acérée, n'aide guère à y voir plus clair. Une part de lui, pourtant, s'interroge sur la nature exacte de cette mer de ouate qui habille tout ou partie des terres du Royaume depuis bientôt une septaine. Derrière ses lèvres fines, blanchies par le froid qui accompagne les derniers gels, ses dents grincent en silence alors que ses pensées gagnent le Château, lointain et invisible. Que fait-elle ? Comment va-t-elle ? Voilà des semaines qu'il n'a pas eu la moindre nouvelles — depuis qu'il lui a fallu, comme un voleur, la quitter. Ce monde lui semble aussi distant que les hauts remparts de l'enceinte royale. C'était avant la disparition du Seigneur du Malin, que d'aucuns appelaient alors le Roi Gérudo, Ganondorf Dragmire. L'homme a mené contre la Couronne une guerre sanglante des années durant, et quand bien même l'Hylien n'aimerait guère le reconnaître, était en bonne position pour l'emporter.
C'était avant qu'il ne se volatilise du jour au lendemain. Aussi vite que ne passe la nuit, le Clan Dragmire s'est effondré. Sans chef de guerre, les "Lionnes" – comme le "Roi" se plaisait à les appeler – ont cessé l'offensive et ont commencé à battre en retraite, en rang dispersés. Battus en brèche par l'armée de la Couronne et son inflexible Gant-de-Fer, le Général Rusadir, les fidèles de Ganondorf n'ont eu d'autre choix que de prendre la fuite ; laissant derrière eux un royaume ravagé, des terres gorgées du sang d'innocents comme de gens-de-guerre, des landes striées par le conflit. La fin d'une interminable bataille, pas la paix.
Un soupir froid perce les lèvres du jeune homme qui, sans un mot, se relève. Il réajuste délicatement la cape de bure qui masque son visage et les sourcils lourds qui reposent sur ses yeux, tandis que son regard arpente les plaines méridionales que masque l'abattée, comme pour mieux accepter que la piste ne saurait être suivie. "Hmpf...", grogne-t-il seulement, laissant sa main gauche retrouver et flatter l'auge de son amie avant d'en épouser la rêne. Le barde et la vagabonde l'attendent, au camp. "Viens", souffle-t-il à l'attention de la jument, d'un ton qui trahit toute sa déception : voilà des semaines qu'il traque la Championne d'Aegis — la plus dangereuse, sans doute, des fidèles du Suzerain des Voleurs. Jusqu'à présent, elle a toujours su lui échapper au dernier moment, presque comme si elle avait été prévenue de son arrivée à chaque fois. "Notre invitée doit avoir froid, de toute façon", poursuit-il en vérifiant machinalement le harnachement d'Epona, non sans s'assurer que la Gérudo jetée en travers de la selle ne saurait se libérer. La jeune femme est ligotée solidement, maintenue en place par une chanvre aussi dense que serrée, le visage caché par une sacoche de burelle, aussi grossière que rêche et robuste, qui a au moins le mérite de la protéger de la pluie. Un gémissement colérique émane de l'étoffe, alors que l'ancienne fine-lame fait état de tout sa rancœur. "Je sais, je sais", répond-il seulement, comme s'il avait compris ce qu'elle avait tenté de dire, un chouïa railleur. Et lui de préciser, en se remettant en route : "Je te retirerais ça en arrivant."
Dans son dos, les beffrois de Nalm sonnent la première heure du jour, alors qu'un rayon de soleil faiblard perce à travers l'averse. L'éclaircie baigne le Veld d'une lumière froide, balayant la brume d'une lueur aussi glaciale que sinistre. Un frisson secouant son échine, le Fils-de-Personne se prend, une nouvelle fois, à réajuster son lourd manteau de bure – le même que celui qu'il portait au Désert, combattant alors pour sauver le Traître-Prince – fatigué par les âges et les éléments. Quelque chose de funeste se cache derrière la disparition de l'Elu de Din.
Il le sait.