Posté le 05/10/2015 13:32
Les gonds sautèrent dans un bruit sourd. Dorénavant, après des jours et des jours passés derrière les barreaux de fer noir qu'il ne pouvait plus qu'observer, il lui semblait qu'il connaissait ce son mieux qu'aucun autre. Le vent ne soufflait plus dans les arbres, les branchages ne murmuraient plus d'indices aux chasseurs. La corne ne soufflait plus, ni la guerre ni la Traque. Les tambours ne rythmaient plus les danses et le feu ne crépitaient plus pendant les rituels. L'écho des vagues lui même s'était tu, remplacé par un autre concerto, pas moins brutal. Çà et là, des dents claquaient. De temps en temps le fouet retentissait. Parfois, le marmiton trébuchait dans son tablier quand il apportait un fond de pitance puante. Il jurait alors. À chaque allée et venue, les gonds sautaient dans un bruit sourd, secouant les chaînes et effrayant les détenus les plus fragiles — ou les plus brisés. Sans un geste (il lui était de toute façon difficile de bouger), le Ceald accorda son mépris le plus profond au nouvel arrivant. Il ne dormait pas, et ne ferait pas semblant d'être assoupi ; quand bien même le peu de luminosité aurait pu tromper ses geôliers. Les deux jeunes gens leur lancèrent un regard noir. La femme avait laissé place à un balourd, et le premier balourd avait laissé place à un autre homme en armes. Régulièrement, les visages changeaient sans qu'il y prête grande importance, en apparence. En vérité, il mémorisait du mieux qu'il pouvait les faciès qui se succédaient, qui défilaient les uns après les autres. Sur certains, une barbe épaisse mangeait les joues et rongeait les lèvres. Sur d'autres, une cicatrice barrait la joue ou l'oeil. Parfois, la gueule d'un avait perdu une oreille tandis que d'autres situations, le gardien semblait avoir la peau d'un nourrisson. Toutes ces gueules resteraient marquées au fer rouge, espérait-il. Car s'il n'irait pas les traquer, il leur souhaitait de ne pas croiser sa route à nouveau, sitôt qu'il serait dehors.
La voix de Swann s'éleva, interpellant d'abord le geôlier qui s'éloignait, avant de chercher son attention à lui. « Quoi ? » S'enquit-il dans un grognement, vraisemblablement moins tendre qu'il n'avait pu l'être auparavant. La douleur qui l'accablait les jours passé l'aidait un peu à oublier qu'il était enfermé, isolé derrière une cage. Mais aujourd'hui, les fers qui lui dévoraient les poignets, ceux qui lui becquetaient les jambes, nourrissaient sa colère. La lionne toussa, sans lui apporter la moindre réponse. Les échos de la conversation de tout à l'heure s'étaient tus. Le silence ne retombait pas pour autant : la porte grinça à nouveau et des pas résonnèrent dans le couloir. À l'évidence, il ne s'agissait pas d'un garde : la démarche était légère. Celle d'un danseur plutôt que celle d'un soldat. Bientôt une silhouette se détacha dans l'ombre, à contre-jour. Il ne pouvait pas voir le visage de l'inconnu, mais devinait que la cape qui drapait ses épaules camouflait aussi une taille plus gracile, presque plus fluette. Sur sa gauche, les chaînes tintèrent clair : sans qu'elle ne s'en rende vraiment compte, Swann avait bougé. De peu, certes, mais suffisamment pour que toute son animosité se devine dans ce simple poing fermé, symbole de sa résistance et de son combat. Le Vert-de-Gris glissa de la main de Swann jusqu'à la silhouette presque féminine qui les toisait derrière les barreaux et il eut la réponse à sa question. Voilà pourquoi sa compagne d'infortune combattait, à l'évidence. L'inconnu face à eux était l'une des raisons qui alimentait sa haine et ce soir il venait la narguer.
La surprise s'empara de lui autant qu'elle ne s'empara de sa camarade. Lui qui s'attendait à une séance d'insulte bien senties compris que la liberté leur tendait la main quand le loquet de la serrure grinça et que Swann laissa tomber les masques qu'elle avait maintenu jusqu'à lors. La jeune femme s'effondra dans les bras de l'éphèbe, aussi bien émotionnellement que physiquement. L'étreinte ne dura pas beaucoup plus que le temps nécessaire à stabiliser la prisonnière, mais elle ne manqua pas de trahir l'affection qui jouaient entre les deux. Alors que le jeune homme s'approchait de lui, il se présenta moins méfiant qu'avec le soignant qu'on lui avait envoyer, avant le fouet. La défiance était de mise, c'était indéniable, mais voir la Lionne si enjouée avait tendance à l'apaiser. Bientôt, les carcans qui le maintenaient immobile tombèrent et à son tour il manqua de chuter. L'épaule du bellâtre réceptionna son thorax, juste sous les plaies encore vivace qui lui fendaient les pectoraux. Il grogna doucement, encore en proie à la douleur, acceptant une aide qu'il n'avait pas demandé mais dont il ne pouvait pas se passer. S'appuyant sur la faible carrure qui le relevait tant bien que mal, le Ceald se hissa sur ses deux jambes, douloureusement. Quand il fut debout, ses mains cherchèrent l'appui rassurant des dalles qu'il maudissait depuis des jours et des nuits. Laissant les deux amis discuter ensemble, il frotta ses poignets une seconde, pour relancer la circulation sanguine que les menottes gravées avait coupé. Son regard passa une seconde sur ses deux compagnons, comme attiré par le sabre que donnait leur sauveur à Swann et il entreprit, à son tour, de trouver de quoi s'armer. Avant que l'atout du Cygne ne se retourne vers lui, Lanre s'était déjà éloigné à la recherche de n'importe qui qui aurait pu servir d'arme. Ce fut, une fois de plus, la voix de Swann qui l'arrêta. Se retournant alors qu'il se tenait dans l'embouchure de la porte, il laissa son alliée venir jusqu'à lui, s'approchant même pour mieux la soutenir quand celle-ci s'effondra. « Allez. » Siffla-t-il, tâchant d'encourager la Dragmire qui prenait appui sur son épaule. Il grimaça une seconde, quand sa main ébranla la cicatrice, mais ne dit rien. Il leur fallait s'en aller.
Ses doigts se refermèrent sur la hampe du sabre. Rapidement, il jaugea du poids mais également de l'équilibre de la lame que Swann lui confiait, avant qu'un demi-sourire n'éventre sa gueule sale et malmenée. « Allons-y. » Reprit-il à la suite de la jeune femme, initiant le mouvement. Ses yeux passèrent en revue les tables, cherchant vainement pour un fouet qui pourrait armer son apparentée, au besoin. Il ne s'attarda pas néanmoins : derrière la lourde porte, les ébats d'une querelle retentissaient. Sans saisir tout ce qui se disait, Lanre fit rouler l'acier sur sa paume, ramenant le Cygne Noir légèrement arrière, tandis qu'il présentait le flanc – et le tranchant de l'arme – à quiconque ouvrirait. Rapidement, la situation sembla dégénérer. Grinçant des dents, il finit par s'élancer, après une brève seconde de réflexion. S'il devait mener bataille, il le ferait au plus vite.
Alors qu'il s'approchait, la porte s'ouvrit une fois de plus, dévoilant une nouvelle silhouette enfermée dans une cape. Armant son bras, le paria prépara un assaut, prêt à frapper au niveau de la gorge : de toutes les armures qu'il avait pu voir sur les geôliers jusqu'à présent, aucun haubert ne remontait jusqu'au cou. La surprise retint son bras mieux qu'aucun bouclier. « Aedelrik ?! » S'étonna-t-il, avant même que le Renard n'ai l'occasion d'annoncer quoique ce soit. Rapidement, il ramena le bras contre sa cuisse, baissant l'épée qui menaçait encore son ami. Sans comprendre véritablement ce qu'il faisait-là, pas plus qu'il ne saisissait l'analogie (les chevaliers et les princesses restaient des concepts très régalien pour le Ceald qu'il était) il accueillit le rouquin d'un léger sourire, qui valait pour un merci, sans néanmoins rebondir sur la plaisanterie et de toute évidence loin d'être d'humeur joyeuse. « Content de te voir, mais... » Du menton, il désigna la sortie, invitant son ami à ouvrir la voie, sans réaliser la dague qu'il tirait. Ce n'est qu'en comprenant que son ami n'avancerait pas qu'il jeta un regard en arrière, maudissant la fatigue qui le tenaillait. Mais personne ne se tenait derrière eux. Personne, sinon l'Inconnu qui les avait tirés de là, mais dont Swann avait semblé se méfier de prime abord. « Il est avec nous. » Lâcha-t-il simplement, avant d'avancer sans attendre que Croc-de-Renard ne le fasse. Il finirait bien par suivre le mouvement.
Toisant les cadavres, Lanre n'hésita pas bien longtemps. L'un deux gardait une hallebarde entre ses doigts gourds, le second une masse d'armes. Tous deux portaient un haubert, surmonté d'un casque qui leur redescendait par le naseau. Conscient qu'il ne supporterait probablement pas le poids d'une cote de maille et que son épaule déchirée le ferait hurler au contact du fer, il ne se saisit que du fléau, passant le sabre sous la cordelette qui ceignait vaguement son pantalon de toile. Sans un mot, il fit rebondir le fer dans sa main, comme pour mieux s'adapter à son poids. Celui-ci n'excédait pas les quatre livres, à l'évidence. Suffisamment légère pour pouvoir feinter, mais assez lourde pour exploser une côte au travers d'une chemise de fer. Tandis qu'il repensait à l'utilisation qu'il aurait pu faire de cet engin face à un adversaire comme ce paladin dont il avait oublié le nom, le maraudeur se prit à sourire. « Attends moi une seconde. » Fit-il simplement à l'attention de Swann, en l'aidant à s'asseoir sur l'un des tabourets. « Viens. » Lâcha-t-il ensuite à son ami, en repassant le pas de la porte, masse de guerre en main. Les torches crépitaient et les chaînes sifflaient. Tout cela ne durerait plus bien longtemps. D'un pas assuré, il se dirigea vers la première cellule, d'où venaient régulièrement les gémissements. À l'intérieur, un homme tâchait de trouver un brin de sommeil, recourbé comme un chien dans l'ombre. « Debout. » Cracha le rouquin, en abattant violemment la masse sur la serrure, la défonçant sur le coup. « Pitié, pas le fouet... », gémit-il, craintif, se cachant plus encore dans l'obscurité qui tamisait sa geôle. « J'ai dit debout ! » S'agaça Lanre, ramassant l'homme par le bras et le hissant sur ses deux jambes. Plus que tout, il haïssait les faibles et les découragés. Son regard perça celui de l'albâtre qui, à une certaine époque, avait du présenter une certaine forme physique. Les épaules s'étaient affaissées mais témoignaient d'une gloire passée. La chevelure frisée lui descendait bien bas dans le dos et passait devant son cou. Lanre grogna, réalisant ce que le détenu s'essayait à faire chaque soir, quand il l'entendait suffoquer. Son crâne enfonça le nez du pauvre homme. « Hors de ma vue. » Grimaça-t-il ensuite, lâchant le bras de l'ancien Âme Perdue. La tête lui tournait, mais au moins ce n'était pas lui qui pissait le sang.
"Viens", lança-t-il à Aedelrik, en se retournant doucement, tandis que l'homme s'enfuyait du mieux qu'il pouvait. « Il en reste une poignée. » S'aidant parfois du mur pour avancer sans trébucher, le Ceald oeuvrait à dégonder chacune des portes qui ne résistait pas à la masse qu'il avait récupéré. Aux yeux de certains son entreprise semblerait peut-être une perte de temps, mais il ne supportait pas assez la détention pour ne pas offrir à ses co-détenus là possibilité de mourir libres. En outre, il avait l'occasion de prendre sa revanche sur ceux qui l'avaient enchaîné, ceux qui avaient cherché à le briser. Aedelrik, Swann et l'inconnu, ceux-là ne comprendraient peut-être pas. Tout au plus penseraient-ils à une diversion. Et bien que l'idée lui ait effleurée l'esprit, ça n'était pas ce qui motivait son geste, ce qui animait son bras. « Tu peux t'en charger ? » Questionna-t-il le Renard, quand la première porte blindée se dressa devant lui. Il n'était pas sans connaître les quelques talents d'Aedelrik. Le voleur s'agenouilla et s'attela à la tâche. La serrure chanta sous ses doigts, une fois, deux fois, jusqu'à s'abandonner aux mains du vaurien, et rendre son dernier soupir. Bientôt, la geôle dévoila ses secrets aux deux hommes. La lueur d'une bougie masquait partiellement la gueule du prisonnier, enchaîné d'une façon semblable à la leur. Tout un pan de son visage avait brûlé. Incapable de lutter contre les chaînes sans briser les os, Lanre se tourna vers son ami une fois de plus. Il n'eut pas besoin de poser la question : le rouquin avait déjà commencé et le Ceald se laissa retomber sur le mur, éreinté. Le feu brulait, dans ses entrailles, inébranlable et incontrôlable. « Tu as été bien sot, de croire pouvoir tuer un Wyrm. » Semblait le sermonner Brieg, dont le visage surmontait parfois celui d'Aedelrik. Si son ami lui parlait, il ne l'entendait pas. Passant la main sur sa gueule, il ferma les yeux, cherchant à chasser les illusions. La douleur le passait à tabac, la faim le tenaillait, la soif asséchait sa gorge et sa bouche. La fatigue tâchait de le jeter au sol et l'Ancien lui narrait comment il ne pourrait défier la mort éternellement.
Il ne réalisa même pas qu'Aedelrik l'aidait à se relever. « Beiddgar'... — », siffla-t-il avec difficulté tandis que ses doigts se refermaient un peu plus sur la hampe de sa masse. Aussi loin qu'il parvienne à se souvenir, ils avaient du libérer un peu plus d'une demi-douzaine de détenus. Trois d'entre eux demeuraient encore enfermés. « Terminons ce qu'on a commencé, l'ami... — » Souffla-t-il à Aedelrik en s'appuyant sur lui. S'aidant du voleur pour se stabiliser, il se dirigea vers les trois dernières cellules, avant de comprendre qu'il ne pourrait pas les ouvrir. Manifestement, ces prisonniers-là demandaient plus d'attention que ceux qu'ils avaient déjà libérés. Le chasseur laissa son camarade progresser, se négociant un instant de repos. Bientôt, ils rejoindraient Swann et son ami et il leur faudrait ensuite naviguer dans les entrailles d'un donjon qu'il jugeait d'ores et déjà trop grand. « Beiddgar'... — » Se répéta-t-il, passant encore une fois la main sur ses yeux.
Aedelrik revint après le départ des trois silhouettes qu'il avait vu passer. Incapable de dire s'il s'agissait d'hommes ou de femmes, il se releva du mieux qu'il pouvait. « Merci. » Siffla-t-il, cherchant le regard de son ami. « Partons. » Conclut-il ensuite, avant de se remettre en route. Secouant un peu la tête, comme pour dire non, il essaya encore de chasser les images qui lui rongeaient l'esprit. Son bras, peut-être plus que son torse, lui semblait s'enflammer. Ignorant tout cela comme faire se peut, Lanre progressait vers le fond du couloir où Swann l'attendait. Sans un mot, il se focalisa sur les prisonniers qu'ils venaient de sauver pour ne pas penser au reste. Onze individus s'étaient échappés. La majorité d'entre eux ne devaient pas représenter grand-chose aux yeux des geôliers, puisqu'ils n'avaient pas pris la peine de les attacher à l'intérieur même des cellules. Parmi ces sept individus, un d'entre eux – le premier – avait été fouetté chaque jour depuis leur arrivée. Le fer rougi l'avait marqué plus d'une fois et les brimades avaient été nombreuses. Enfin, quatre autres détenus étaient maintenus sous protection lourde et manifestement craints. Il doutait qu'un seul s'en sorte vivant. En vérité, il ne comptait même pas dessus à titre personnel. Mais il préférait mourrir l'arme au poing, luttant pour sa liberté que de pourrir sous un tas de chaînes. Il ne comptait pas abandonner.
Sans savoir combien de temps leur petite escapade avait prit, le maraudeur interrompit la conversation qui débutait entre Swann et l'inconnu. Sans un regard pour leur sauveur, ni se soucier d'un quelconque remerciement, il se saisit de la Lionne Noir et l'aida à se relever, suivant le même modèle que précédemment. « On se bouge ! », grimaça-t-il quand le bras de Swann passa (nécessairement) sur le souvenir que le Wyrm lui laissait. Enfin, ils s'engagèrent dans les boyaux du Castel. La garde, trompée par l'inconnu, ne semblait pas ressurgir et ne ralentit pas leur progression, à mesure que défilaient les couloirs. Ils avançaient lentement – le petit groupe comptait tout de même deux blessés – et jusqu'à présent les patrouilles semblaient presque les éviter. Grognant sans un bruit, le trappeur bifurqua sans trop savoir où menait le détour qu'il prenait. Il n'avait de toute façon pas l'intention de s'y attarder : la seule chose qui l'y attirait était l'obscurité qui y régnait. D'un geste de la main il invita ses compagnons à s'y camoufler, tout en leur intimant le silence. Le cliquetis des mailles avait toujours compté parmi ces sons capables de le mettre en alerte.