Posté le 22/08/2013 03:11
Rien ne semblait pouvoir l'ébranler. La bête de métal avait bien laissé échapper un cri de douleur de son épaisse carapace lorsque la lame du Rusadir avait pénétré entre ses plaques d'acier maudit, mais rien de plus. Le plastron, lui, n'avait pas bougé et Llanistar se sentait perdre du terrain au fur et à mesure que le combat avançait. Son adversaire démoniaque l'avait trop souvent atteint, et trop violemment. A cela s'ajoutait la fatigue due à son précédent duel et à celle, plus globale, de la bataille rangée. Le général ressentait une profonde douleur à chaque inspiration et son armure se faisait plus lourde.
Même la bête qui s'était emparé auparavant de lui commençait à faiblir, devant la résistance implacable, inébranlable même, du Hache Viande. Et Tali ne semblait pas à même de s'éveiller, de reprendre le contrôle. Le nordique ignorait d'ailleurs si c'était son esprit possédé qu'il affrontait ou bien un démon inconnu. Il ressentait seulement entre eux, malgré leur lien, une puissante barrière qu'il ne pouvait espérer briser. La magie n'était pas son affaire et son don lui paraissait dérisoire contre un ennemi que seule la mort semblait guider.
Tandis que Llanistar essayait de prévoir un plan pour désosser un peu plus cette carcasse métallique, celle ci fonça sur lui. Réagissant aussitôt, il improvisa une garde et prépara même un coup en direction de la jointure entre le heaume et le torse. Mais tandis que la lame percutait l'armure, la force du coup fut anéantie car le Hache viande venait de saisir les mains du général, qu'il pressa dans les siennes. Saisit par une douleur aussi intense qu'inattendue, le nordique fut même incapable de crier. Réduit à l'impuissance, il encaissa comme un pantin la pluie de coups que fit pleuvoir sur lui son ennemi.
Les ténèbres l'envahirent. Au bord du précipice, il tentait de garder sa conscience éveillée, malgré les appels de son coeur à se laisser tomber dans le sommeil. Chaque nouveau coup était un éclair de souffrance, une nouvel vague dans un maelstrom de tourments. Et lui ne pouvait rien y faire. Lui qui n'était rien de plus qu'un guerrier, il se trouvait désarmé par une montagne de force et de violence. L'espace d'un instant, il n'y eut plus de général. Llanistar était redevenu l'enfant qui subissait avec désespoir la colère de son père. L'enfant qui n'avait pas les armes pour se défendre.
Soudain, l'océan infernal s'apaisa et il sentit le vent sur sa peau. L'enfant flottait, comme lorsqu'il allait laver ses plaies dans une rivière des bois non loin du château. Son armure ne lui pesait plus, la douleur s'était envolée... C'était bon.
Et tout aussi subitement, Llanistar retomba lourdement sur le sol, dos contre terre. Le souffle coupé. Le général était revenu, ramené par le choc. Sa main droite se serra sur la poignée de son épée mais il sentit que c'en était fini. Il n'aurait pas la force de continuer. Il ne parviendrait peut être pas à se relever. Un son violent derrière lui indique au nordique que le Hache Viande avait retrouvé son arme.
Ainsi, il avait échoué. Pour la première fois de sa vie, l'héritier d'Ardavin, le Fléau de Markand avait perdu son combat et allait retrouver ses ancêtres. Un sourire attristé lui vint. Il repensa à Saad, à Valen, à Orpheos, à Zelda, à Link et enfin... A Tali. Tout bien considéré, se dit il, une mort de sa main était préférable à bien d'autres. La peur du dernier instant au ventre, il ferma les yeux et attendit que le destin ne lui accorde son dernier coup.
Mais la hache ne vint point. A sa place, Llanistar entendit le sifflement de plusieurs flèches tout prés de lui. Intrigué et le coeur soulevé d'un nouveau souffle, il ouvrit les yeux pour voir un groupe entier de ses soldats viser le Hache Viande et le harceler de leurs projectiles. Ca n'était pas des archers mais des arbalétriers. Et tout chevalier savait que même une excellente armure ne résistait pas face à la puissance d'un carreau de ces armes redoutables... Le Hache Viande ne ferait pas exception.
Se redressant difficilement, déchiré par ses blessures, le général parvint à refaire face à son ennemi. Sachant que reprendre le combat serait signer son arrêt de mort à coup sur, il glissa sa main vers sa botte droite et en sortit une arme dont il ne s'était jamais servie en Hyrule. La dague de son grand père semblait faite pour lui mais son artisan, le vieux Najid, lui avait fait promettre de toujours en user pour la plus noble des causes : Défendre et servir.
Llanistar se figea. Il saisit la lame de la dague et, visant une des lanières qui tenaient encore l'armure entière, la lança avec toute la rage dont il était encore capable. L'arme vint se planter dans sa cible, tranchant presque sur le coup le lien. Le nordique ne put retenir un sourire. C'était sans doute son dernier mouvement dans ce duel, mais c'était un embryon de victoire qu'il venait d'arracher. Sans réparations, le Hache Viande ne tiendrait pas longtemps en un seul morceau.
Récupérant prestement son épée, le général la brandit vers son ennemi et déclara, d'une voix éreintée mais où brûlait une haine intacte,
"Tu as gagné cette bataille, mais pas la guerre. Toi et ton maître ne vaincront pas aussi aisément. Passe lui donc le message : Hyrule est prêt à la guerre. Et garde donc cette dague pour moi. Je reviendrais la chercher, comme je reviendrais te sauver... Tali."
Couvert par la pluie de carreaux de ses hommes, Llanistar, la mort dans l'âme à l'idée de devoir abandonner son amie, recula sur la pente puis fit volte face et sonna deux coups dans son cor. La retraite était ordonnée. Devant la résistance des revenants de Ganondorf et son propre échec, le général se refusait à prendre plus de risques. Car si il brûlait de sauver Tali, il ne pouvait sacrifier ses hommes à ce but. Stratégiquement, vingt soldats valaient plus qu'un âme sauve. Le pas lourd et boiteux, il rejoignit les rangs de ses hommes, se réfugiant derrière ce rempart de bravoure. Il ne constata qu'à ce moment là que sa main d'acier avait perdu deux doigts, lorsque le monstre l'avait broyé. Dire qu'il s'en était tiré en vie ! Cependant les prières attendraient. Plus que le soulagement, la colère l'habitait. La même colère qu'il avait tiré de la violence de son père. Un père qu'il avait tué.