Regard torve, bouche en grimace, face grimée à la haine. Drap blanc sur le corps, spectre de perle ! Et ce masque blafard qui laisse transpirer la colère bouillonnante. Iris rouge suppurant le sang des innocents. Les yeux sont deux plaies, plaisent à qui les regarde. « Gare à vous, garde à vous, je viens à vous. Je suis voué à la chasse, à la hante, je viens vous faire glisser sur la pente dégueulasse qui mène à l’univers de fer, au territoire des vers, à l’enfer ! » Tête qui tourbillonne, cou qui se contorsionne, torticolis agacé, la bave s’écoule de la rangée d’ivoire qui barre sa bouche aux amantes. « La rage m’anime pour éliminer les lignées d’ignares vantards, les incapables opulents, les exploiteurs répugnants, ceux qui dilapident Hyrule, qui l’enfoncent dans le vice en agitant le drapeau de la tolérance, de la paix… de la Liberté ! La LIBERTE ! Vous ne la méritez pas, pourceaux…» Les murmures insupportables écorchent l’ouïe animale. Agenouillé comme un vulgaire rongeur qui grignoterait son mets vilement accaparé, la silhouette blanche dérange le microcosme de la nuit.
Il redressa alors la nuque, les yeux allumés par une conscience soudaine. La colonne vertébrale prit de l’ampleur ; de vagabond fêlé il devint chevalier. Se passant une langue pointue sur les dents, la faim lui tenaillait l’estomac. Cette faim malsaine, ce besoin d’adrénaline divinisante, cette nécessité d’être agressif, elle lui bouffait le ventre, elle le rendait vivant. Éperdument amoureux de la terre sacrée, de ce mythe ancien qui la rendait belle, pure, joyeuse et fébrile, pas encore corrompue par les appétits grossiers des rentiers, par les vices puants des Grands décadents, il se sentit de grandes ambitions… finie la sodomie dans les appartements royaux, finis les déboires et les jeux de conquête pour ces petits seigneurs en soif de gloriole pour ajouter à leur manteau de velours une autre médaille imbécile… La rancœur alimentait une haine déraisonnable et confuse ; tout dans le même plat, que des ennemis, un peu de manichéisme pour mieux voir le monde. Ca c’est bien, ça ça ne l’est pas. Simplifions les choses, tous les paysans ne sont pas des élites intellectuelles. Si le but est de les embrouiller pour mieux les enculer, alors il est évident que les grands ont réussi.
Le chevalier blanc se prit la tête entre les mains, violente migraine. Sa vieille cervelle rouillée bouillait comme un morceau de bœuf rance. Tout était trop compliqué, il ne savait pas ce qu’il voulait. Aider les pauvres ?! Non, pas vraiment… Gagner de la gloire ?! C’était plus complexe que cela… Il voulait l’honneur, il voulait regagner l’honneur, et si cela voulait dire emporter des milliers de crétins avec lui, qu’à cela ne tienne, il rendrait grâce à ce principe guerrier… et en même temps il se mentait, il avait besoin de plus, il avait besoin d’être reconnu. Qu’est-ce qu’un héros sans assistance ? Il avait besoin de haïr les autres pour que les autres le haïssent… « JE VAIS ÊTRE LE PROCHAIN MAL QUI VOUS RONGE, VOUS NE VOUS DEBARRASSEREZ JAMAIS DE MOI, BANDE DE SALOPARDS ! » hurla-t-il aux hiboux, tout tiqué de partout, le corps en fusion. La vie avait du mal à se réhabituer à son corps. Quel triste spectacle, cette déchéance anatomique, ce corps maigrelet. On aurait pu en faire des osselets. Faites le combattre contre un lapin, soyez sûrs que le lapin sera victorieux. Et en même temps une beauté un peu passée subsistait, son apparence déconfite voilait mal ce visage famélique d’ange ténébreux. Même caché par ce masque blanc de fantôme, on devinait les traits nobles et altiers d’un homme spécial, à la valeur étrange. « Garces et pochetrons… vous m’avez bien eu », sanglota-t-il en silence dans la nuit. Pauvre fou, lui jetait silencieusement la Lune avec dédain.