Posté le 26/10/2011 00:37
Il se posa un instant sur les toits, les yeux fixant la Petite Ourse, Alpha Ursae Minoris. Allongé sur les tuiles rouges d'une maison dont il ignorait l'appartenance, les bras croisés derrière la tête, et un épi dans la bouche, il se remémorait des bribes de sa vie, passages de son voyage, souvenirs d'un passé. Complètement dans la lune, pour le coup, l'homme laissa enfin toute la tension s'échapper, uniquement maintenant, il se laissa aller à quelques rêveries, depuis bien des douzièmes de cycles. Combien de temps n'avait-il pas croisé un village ? Longtemps ; trop longtemps, aussi prit-il le parti de rester quelques jours, le temps de se reposer.
Après tout, qu'avait-il à craindre, si loin de ses contrées ? Pas grand chose à dire vrai. Personne ne se résignerait à traverser le désert comme il l'avait fait pour venir le ramener devant la cour martiale. Il pouvait bien s'accorder quelques jours.
Le Calicien laissa ainsi le temps s'écouler, sans vraiment compter. L'astre nocturne, Metel, pointant son minois depuis peu, il avait encore toute la nuit devant lui.
Entre l'étoile qu'il avait choisit et ses yeux gris, comme une mer furieuse, défilaient vagues de moments passés, d'instants de jadis. L'espace de cet intervalle de temps il revivait les trois derniers cycles des vingt-trois qu'il avait vécu au total. Et plus que les autres (bien que ceux-ci puissent faire figure d'exemples aussi) ils avaient été particulièrement mouvementés, foisonnant en événements, et parfois même réellement brouillon. Lui même avait du mal à s'y retrouver de temps à autres. Mais l'heure n'étant plus à la nostalgie, il se redressa lentement pour mieux s'asseoir et contempler le spectacle du village dans la nuit. Quelques fenêtres crachaient encore de la lumière alors que d'autres vomissaient ces consonnes et ces voyelles si dures à son oreille. Comment ces gens pouvaient-ils parler langage si barbare, il n'aurait su dire ; bien incapable de le comprendre.
Ces cris finirent par l'agacer, d'autant plus qu'il se situait sur le toit de la maison d'où ils provenaient. Récupérant la sacoche qu'il avait posé un peu plus haut, en équilibre sur l'arrête de la toiture, il jeta un bref coup d'oeil circulaire, avisant l'habitation la plus proche.
Prenant un peu d'élan, il quitta cette masure criarde pour rejoindre l'autre -aux tuiles vertes- qui lui semblait plus calme. Déposant à nouveau son baluchon, il trifouilla ses poches à la recherche d'un peu de Balphas, sans parvenir à mettre la main dessus, et se résignant à ne pas en consommer ce soir, il se promit néanmoins de se renseigner le plus vite possible sur comment en trouver ici, elle ; ou n'importe quel produit de substitution.
Il se rassit alors, mais après s'être ainsi déporté sur un nouvel abri, il n'avait plus l'envie de rester aussi immobile que tout à l'heure. Un passage dans la même baraque que la veille au soir était exclu, sans doute les patrons se souvenaient de quel mauvais payeur il faisait, et lui n'avait pas oublié le regard méchant du gros bonhomme. Sans être effrayé, il n'avait pas besoin de plus d'ennuis que cela.
Ce fut pour finir le moulin qui attira l'attention de l'étranger. Septentrion resta un instant à le contempler, amusé, avant de se dire qu'il pourrait être sympathique que de passer la nuit au sommet.
Sautant de toits en auvents et de terrasses en verrières, il eu tôt fait de rejoindre le gros bâtiment à grain, et ses pales. Cascadeur et véritable petit singe gonflé d'orgueil ou fou de défis, il commença donc son ascension. Les pierres n'étaient pas des mieux agencées, offrant de multiples prises que seul un néophyte aveugle n'aurait su remarquer.
Bien vite il arriva à hauteur d'une des branches de l'hélice de la minoterie, et s'agrippa à celle-ci alors qu'elle tournait. Après tout, le vent soufflait bien assez peu pour qu'il se permette pareil risque. Et comme prévu, l'armature de bois et de toile lui servit d'ascenseur jusqu'au sommet.
C'est là qu'il avait décidé de passer la nuit.