Posté le 29/02/2012 02:20
Bien caché dans l'obscurité vorace qui dévorait son visage, le Calicien arqua le sourcil. Il était loin de s'attendre à une telle réponse de la part de son interlocuteur. A dire vrai, Väals n'avait écouté que d'une seule oreille, l'autre toute consacrée à l'affût de derniers rumeurs qui pourraient potentiellement venir remplir son aumônière dans les jours à venir. Peut être assez pour payer la consommation que la demoiselle lui apportait ? Qui sait..? Et de toute façon, même avec assez en poche, il était loin d'être dit qu'il payerait rubis sur l'ongle (c'est le cas de le dire !).
L'Étranger déposa le godet qui lui avait été servi sur la table de bois, avant de poser la bouteille d'Eau-de-vie. Il y jeta rapidement un oeil, avant de se décaler de quelques centimètres vers la droite pour laisser à la serveuse le loisir de prendre place sur le banc de bois qu'il occupait.
Bien qu'il n'arqua pas le sourcil une seconde fois, l'homme restait perplexe. L'image qu'il véhiculait l'importait peu, mais il n'avait rien d'un gros buveur, et n'aimait que très peu l'alcool. Il était simplement un outil, un moyen pour délier les langues, et donc recueillir quelques précieuses informations pour la suite. Plus encore, il aurait paru tout à fait anormal qu'il s'installe à une table sans rien consommer, raison pour laquelle il accompagnait le plus souvent sa chasse d'une pinte. Ce godet associé à une bouteille d'un alcool aussi fort que celui de cette Petite-eau... Dieux ! Il y avait bien là de quoi mettre par terre n'importe quel habitué, et c'était là tout ce qu'il voulait éviter. Comment tomber dans l'ivresse et rester attentif ? Ce n'était simplement pas humain. Sans compter le cocktail explosif que représenterait pareil état combiné à la dose de Balphas qu'il venait de fumer. Dangereux. Suffisamment pour le jeter dans un violent trou noir, tant les effets de l'ivresse et de la drogue étaient contradictoires, à l'image même de deux antagonistes poursuivants deux buts contraire.
Les braises rougirent dans le petit âtre d'argent, illuminant d'un vermeil en fin de vie le bas du visage du voyageur, tandis qu'il tirait pour les dernières fois sur cette pipe spécialement réalisée pour consommer cette substance si différente du tabac. Alors que les secondes passaient, le bâtard sentait clairement les effets de l'orviétan se propageait jusqu'au plus profond de son crâne, accentuant toutes ses sensations, jusqu'à celle-là même de la diffusion du stupéfiant dans son organisme.
La Balphas était à l'origine une drogue utilisée pour le combat. Avec pour principale faculté de décupler les capacités de l'intoxiqué, qu'il s'agisse de ses réflexes, son état d'alerte, sa capacité de réflexion, ou tout simplement sa perception du réel, elle améliore toutes les qualités utiles en combat, pour maintenir en vie son consommateur. N'importe quelle analyse, quelque soit son degré révélerait sans le moindre soucis qu'il s'agissait d'effets totalement contraires à ceux de l'ébriété. La Balphas maintenait elle aussi dans un état second, mais un état d'éveil, ouvrant à l'utilisateur des possibilités jusqu'à l'ors presque inconnues, la plupart du temps.
Les propres sens d'Acheleus étaient déjà touchés par la substance en question, provoquant des effets invisibles sur son corps, mais qui caressaient déjà sa perception du monde : le moindre son était amplifié, le moindre geste presque anticipé... Il était, en somme, devenu suprasensible à toute la bulle qui faisait office d'environnement.
Aussi, le simple fait que la jeune femme effleure ses traits de ses doigts lui paraissait être une véritable agression, comme si elle violait une frontière latente mais bien présente. Il va de soi que même sans la drogue pareille audace lui eu parût déplacé, mais sa réaction était considérablement exagérée alors que les récepteurs de son corps subissaient un assaut direct de la part de la substance.
Pour autant, il savait que ce n'en était pas un, et il n'avait pas l'intention de jeter cette compagnie dehors. Elle représentait la possibilité d'une nuit d'où l'on aurait chassé la solitude, et ce n'était pas pour lui déplaire. Aussi se contenta-t-il de mettre un léger holà, sans pour autant faire cesser le jeu tout à fait.
"Comme il est d'usage de garder ses mains tranquilles, jolie dame." Lâcha-t-il, se dégageant alors des doigts de la jeune femme. Si le ton avait été froid, c'était néanmoins ce à quoi il fallait s'attendre de sa part. De tout temps il avait été un être distant, et jamais l'on ne l'avait vu s'ouvrir aux autres, se montrer chaleureux. Il était loin d'être aussi gelé que ne pouvait l'être le vent puissant du Nord, mais il était suffisamment loin, comme les nations à l'Ouest pour décourager nombres d'interlocuteurs.
Toutefois, il jeta bas l'étoffe qui lui couvrait le visage, livrant son faciès à ses deux comparses. La barbe brune de quelques jours qui lui mangeait le visage, les yeux gris comme des océans vengeurs accablant un quelconque Ulysse perdu en mer, le teint légèrement hâlé, après cette traversée du désert ; il ne cachait plus rien. L'Occidentin s'était découvert aussi simplement qu'il ne lui avait été demandé, mais après tout, le tissu lui permettait surtout de voir et d'écouter sans que l'on sache vraiment ce qu'il observait où ce qu'il oyait précisément. Un précieux atout, somme toute, qu'il n'avait plus lieux d'utiliser, dès lors qu'il discutait avec les deux jeunes gens sans plus s'intéresser aux autres.
Conscient de la réaction de sa jolie serveuse un instant plus tôt, il se doutait bien que sa réplique aurait de quoi l'agacer, et ce n'était pas là ce qu'il souhaitait faire. Même sans penser à mal, il n'était pas dans ses habitudes de se faire des ennemis, préférant la discrétion à ce genre d'ennuis futiles. Pour mieux la rassurer sur ses intentions (ou du moins, sa volonté) il laissa sa propre main glisser jusqu'à rencontrer la sienne, sous la table, et s'y poser un instant. Un appel silencieux pour sa présence.