Posté le 13/05/2013 18:42
Le poil était soyeux sous la pulpe de ses doigts, tandis qu'il flattait doucement l'encolure de sa belle-amie équidé. La robe rousse qu'elle arborait avec fierté avait cette faculté déconcertante de lui tirer un sourire sans le moindre mal, quelque soit le temps, quelque soit la situation, quelque puisse être son propre état. La relation qu'il partageait avec la jument dépassait le simple duo habituel qu'un maraudeur quelconque pouvait former avec son animal. Il n'avait certainement pas le talent dont disposait sa fermière préférée pour parler avec les chevaux, mais il lui semblait véritablement qu'il était capable de communiquer avec Epona. De la comprendre aussi bien qu'elle ne le comprenait.
"C'est bien ma belle." Lâcha-t-il, doucement, à l'encontre de sa monture, avant de vider les étriers — sans tomber pour autant. A peine ses pieds avaient-ils touchés terre, qu'un nuage s'éleva doucement, avant de mourir. Ses doigts vinrent serrer la bride, et il mena son cheval à travers les escaliers serpentants jusqu'à Cocorico. Il savait pertinemment combien ce geste anodin s'avérait être un exercice des plus ardus pour les chevaux. Lui qui, d'habitude si déterminé, avançait avec une prudence à peine dissimulée pour s'assurer que son amie déjà chargée ne se blesse pas. Non pas parce que Malon l'aurait tué (encore que..!) mais parce qu'il tenait indubitablement à l'animal.
Le hameaux d'Impa baignait dans une douce lumière qu'il ne lui avait pas toujours connu. Au plus profond du puits, ou par dela les clotures qui fermaient le cimetière, pareil halo n'avait pas toujours brillé, il ne s'en souvenait que trop bien. Baissant les yeux puis courbant la nuque, il s'avança, avec en mémoire les légendes sanglantes faite de haine et de cupidité. Celles qui sommeillaient là où l'Ombre savait masquer le chemin. Celles qu'il avait eu à défaire. Celles que plus qu'aucune autre, il aurait préféré oublier. « Là, tout doux.. — » Murmura-t-il à l'égard d'Epona, qui ressentait son mal être. Il avait vu ce que renfermait le village, ce que tous ignoraient. Il avait vu ce qu'on appelait Temple et qu'il préférait désigner comme antichambre des tourments. C'est là qu'il avait vu Sheik se muer en un hochet pour démon fraichement libéré, là qu'il avait perdu la trace de la Nourrice de Zelda. Non, décidément, il ne parvenait pas à voir Cocorico comme il avait su le faire, enfant.
Tant le rayon de soleil qui perçait au travers des nuages que les rires des quelques gamins qui jouaient près de l'arbre au centre de la place lui tirèrent un sourire, heureux de constater que les choses pouvaient parfois changer. Et changer en bien. L'espace d'un instant, il eut cette impression que ce qu'il défendait n'avait pas encore sombré, qu'il était encore envisageable de sauver le monde qu'il avait connu, et aimé. Quand bien même il n'avait rien dit, ni montré, il avait été chamboulé par la trahison de Dun Loireag ex Hyrule. Le Prince Parjure avait marqué son être plus qu'il ne l'avait cru réalisable : là où il croyait autrefois en son prochain, l'Hylien touchait du doigt le caractère parfois peu fiable qu'avaient le coeur des hommes. Et cette trahison avait été un coup sévère : pendant un temps il n'avait plus cru.
Le cuir, sous l'injonction de ses mains, s'enroula autour d'un long rondin d'un bois clair, maintenu par deux fourches, sans doute tirées du même arbre. Il savait à quel point Impa avait toujours été économe et prompt à multiplier les efforts pour éviter le gaspillage. A fortiori dans un cadre aussi peu fertile que celui de Cocorico. Après s'être assuré que son amie était fermement accrochée, et surtout qu'elle aurait à boire (il ne craignait pas pour elle mais espérait pouvoir reprendre la route avec Flora au plus vite), il récupéra ce qu'il avait harnaché avant de quitter Belle et son Castel-aux-milles-et-un pièges. Sa joue gauche restait marquée par le carreau qui aurait pu le tuer.
C'est épée et écu dans le dos, ainsi que le sourire sur les lèvres qu'il laissa Epona à son abreuvoir pour s'approcher du groupe d'enfants qui s'amusaient à traquer une des innombrables cocottes d'Anju. « Hey, petit ! » Héla-t-il celui qui lui apparaissait être à la tête des quelques marmots. Une tignasse brune aux reflets roux, un peu folle, des taches de rousseurs sur un visage plutôt pale et quelques égratignures de dur à cuir lui rappelèrent Mido quand l'interpellé se retourna. « J'suis pas un p'tit ! Tu m'veux quoi, le vert ? »
Les lèvres du Sans-Lignage s'étirèrent un peu plus encore. L'attitude de ce pseudo caïd des ruelles lui plaisait sans qu'il n'eut su comment l'expliquer. Elle avait un air neuf, autant qu'elle ne lui était familière. Avec cet air coriace et ce regard plein de défis, le petit bout d'Hylien (les oreilles ne trompaient pas le Faux-Kokiri) parvenait à le sortir de ses propres malaises. Et, aussi naturellement que le Poisson-Rêve n'accompagne les dormeurs, il fit fléchir ses genoux jusqu'à se retrouver accroupi devant le gosse.
"Je ne te cherche pas de noises." Commença-t-il, cherchant sans peine le regard brun qui lui faisait face. Ils étaient à la même taille, dorénavant, et comme sur un pied d'égalité. C'était quelque chose qui était venu spontanément au jadis-Champion de Farore, qu'il n'avait pas su calculer. « Excuses-moi si je t'ai vexé. » Reprit-il, tranquillement, avec toujours ce demi sourire qu'il ne parvenait plus à effacer. « Nan, nan, c'bon. Qu'est-ce qu'tu veux ? » Grogna le faciès qui se cacha soudainement sous sa lourde tignasse.
"Il y a quatre jours, environ, une amie à moi a du arriver ici. Tu as du la voir : elle n'est pas très grande, jeune, avec un joli visage et de longs cheveux bleus. Elle a souvent... —
— Celle qui est venue pour l'accouchement ?" Trancha le brun, qui en savait manifestement plus que le vagabond. Un léger silence s'installa, le temps que Link se ressaisisse, incapable de se souvenir avec précision de ce que le gamin de la Grand-Place lui avait dit, un peu plus d'une demi-semaine plus tôt. « Sans doute, oui. Ca doit être elle. » Finit-il par concéder. La sacerdoce était remarquable, et à partir du moment où elle avait été capable de déployer assez d'énergie magique pour guérir un humérus réduit en miette, il n'était pas improbable de l'imaginer sage-femme. Malgré sa cécité. « Tu sais où je peux la trouver ? » Enchaîna-t-il, en posant la main sur l'épaule du bambin.
"Elle est trop jolie pour être ton amie !" Souffla l'enfant, moqueur, avant que ses amis ne s'esclaffent, moqueurs. Le Voyageur de Temps fronça les sourcils, durcissant légèrement son regard, effaçant son sourire. Le petit arrêta de rire, quand au fond de ses yeux se plongèrent deux billes de givre au fond desquelles commençait une valse explicite. « Du côté de l'auberge. Par là. » Termina-t-il, hésitant, en levant le doigt pour pointer une direction dans le dos de son aîné. « Et je suis pas "petit". Je suis Marco. » Conclut l'interessé, d'une voix plus assurée que l'instant passé.
"Merci, Marco." Lâcha Link qui s'était déjà relevé et commençait à tourner les talons pour s'avancer vers l'établissement qu'on lui avait indiqué. Le visage encore tourné vers son informateur, il hocha la tête en signe de reconnaissance avant de s'éloigner. Il n'était pas loin de midi quand ses pas raisonnèrent sur le plancher. Midi passé d'une conversation, sans doute. Il posa sa paume grande ouverte, les doigts en étoile, sur la porte qu'il devinait geignarde, avant d'inspirer profondément, les yeux fermés et la nuque courbée. Il ignorait pertinemment si la Fille de Foi se tenait derrière ce dernier obstacle, quelque part entre ces quatre murs, mais il n'avait rien oublié du goût de ses lèvres, ni de sa fuite après qu'elle l'ai embrassé. S'il n'était pas fier de sa lâcheté d'hier, il craignait encore d'« affronter » la demoiselle.
La porte grinça, comme il l'avait imaginé. Et comme à chaque fois qu'il avait pénétré l'enceinte d'une taverne, il laissa un bref moment s'écouler. Il avait pris cette habitude de jeter un coup d'oeil circulaire. Le tableau que brossait son regard était des plus communs ; le portrait universel de la gargote universelle. Des serveuses aux minois pale et au port aguicheur, des rangées de tables – rondes, carrées ou rectangulaires – qui accueillaient des rangées d'habitués plus ou moins imbibés. Des histoires, des amours et des rires gras au coin d'un feu, d'ordinaire éteint en la saison, et des voyageurs perdus. C'est sur eux qu'il arrêta son regard. Un jeune homme dont les épaules trahissaient l'habitude et une demoiselle drapée de bleu.
"Flora.. —" Glissa-t-il, soulagé de l'avoir retrouvée. Il avait craint pour elle depuis qu'elle avait disparu — quand bien même cet épisode lui était un peu sorti de la tête après qu'il se soit attaqué aux remparts du Castel-Royal. Il s'avança vers la table qu'elle partageait avec l'inconnu, confiant. L'espiègle complicité qu'il lisait sur son visage avait bien vite fait taire ses instincts.
"Salutat... —" Commença-t-il, arrivé auprès d'eux, avant d'être brutalement jeté en avant. Ses deux paumes heurtèrent avec violence la table, faisant d'elle une sorte de bateau ivre secoué par des flots dérangés. Et tandis que le cercle de bois autour duquel Flora del Carmen et son ami étaient attablés ne tanguait, tandis qu'une voix sourde ne s'épandait en commentaire grivois sur une de ces « Dame-qui-sert » qu'il ne pouvait voir, l'alcool courait sur lui. Avant qu'il n'ai eu le temps de réaliser quoique ce soit, le Fils-de-Personne avait été percuté de dos par une enfant à peine plus âgée que l'Avatar de Nayru qui avait eu le malheur de trouver sur sa route la jambe d'un vieil homme au moins aussi frustré qu'aviné.
Il passa la main droite sur son visage trempé d'une liqueur qu'il ignorait, bien trop peu porté sur la boisson, avant d'ouvrir à nouveau les yeux, et de constater qu'il n'avait pas été le seul à se retrouver arrosé de la sorte. L'ensemble des chopes et des cruches était venu se fracasser contre la table plongeant les deux convives sous un déluge sucré.
"Alors, ma jolie, c't'y pas qu'on tient plus d'bout ! T'as t'y pas un peu trop touché a illa vinasse ?" Le rire qui s'éleva n'avait rien de méchant, ni de foncièrement pervers. Mais la fameuse vinasse dont il était question avait tout pour obscurcir le jugement du plus clair des hommes. « ... Excusez-moi un instant. — » Lança l'Hylien plus par politesse que nécessité. Après tout, il n'avait pas encore entamé quoique ce soit en présence des deux jeunes gens, aussi pouvait-il bien s'absenter une minute sans qu'aucun tort ne leur en soi causé. Quoique... —
"Rien de cassé ?" Glissa le Sans-Lignage à la serveuse, tout en l'aidant doucement à se relever. Le croche-patte que lui avait tendu l'ivrogne lui avait certainement foulé la cheville.