L'air se gelait aussitôt qu'il quittait ses lèvres. L'Hylien resserra sa prise sur la bride, comme pour s'ancrer à quelque chose de connu, dans cette mer qui lui semblait chaque fois plus effroyable. Chaque fois plus hostile, chaque fois plus étrangère. Combien de fois avait-il gagné le Castel ? Sans doute en connaissait-il plus que Llanistar lui même, qui y vivait pourtant au quotidien. Et pourtant, de jour en jour et surtout de visite en visite, tout lui semblait différent. Vicié. Et il connaissait également les rudesses de l'Hiver. Suffisamment pour savoir qu'elles n'y étaient pour rien. Elles l'auraient saisi bien avant son passage sous la Grande-Arche de toute façon. Sans doute n'aidaient-elles pas, mais de toute évidence elles n'étaient pas la source de ses maux. Ce rat qui, il lui semblait, lui rongeait le crâne pouce par pouce venait d'ailleurs.
Dans son regard perçait nettement la mauvaise humeur, due à la douleur, qui s'insinuait au plus profond de son être. C'est de ce même regard plus froid, plus dur et peut être plus agressif qu'usuellement qu'il balayait l'ensemble de cette cour intérieure, recouverte par la neige et peuplée par une garde plus armée qu'il ne l'avait jamais vue. De là à dire qu'elle était plus efficace, il n'en savait rien.
Bientôt, le Nordique lui donna raison, débarquant seul. Certains soldats vinrent à sa suite, s'approchant de la petite troupe qu'ils avaient composé avec Impa. S'il ne les observa pas tous, ceux qui croisèrent le blizzard au fond de ses yeux se pressèrent moins. De toute évidence, il ne partageait pas la chaleur de l'officier. Pas le moins du monde. Et à ses salutations, il ne trouva d'autre réponse qu'un silence habituel, certes, mais froid néanmoins. Il se déporta pour laisser le Général se saisir du Chancelier qu'ils avaient ramené jusqu'ici, non pas par désir de les voir réunis – il ignorait tout des liens entre l'homme d'armes et l'homme de lettres – mais parce que, doucement mais sûrement, le Château lui pesait. Sans qu'il en soit véritablement conscient, il n'avait guère d'autre envie que de s'enfuir aussi loin que possible de tous ces murs plus hauts les uns que les autres.
Llanistar s'exprima encore, sans qu'il n'écoute vraiment ce qu'il disait. Il se surprit en fait à regarder le ciel, sombre. Gris. Loin. Mais quand une main de fer et d'acier attrapa le cuir des rênes, il revint sur terre, presque immédiatement. «
Ca ira. » Grogna-t-il, d'un ton aussi noir que ne l'était son coeur. «
Je sais où sont les écuries. » Cracha-t-il, ensuite, alors que le gamin bafouillait timidement quelque chose. Et tandis que Llanistar, Orpheos et Impa s'avançaient vers l'imposante porte de pierre, il se détacha d'eux, et s'en éloigna jusqu'à gagner les étables. A mesure que leurs silhouettes se faisaient plus lointaines, il était pris de cette furieuse envie de monter à cheval, et de faire grand galop vers la Citadelle. De se jeter dans la première taverne venue, et de lutter contre le froid à grand coup de vin chaud. Et il ignorait pourquoi il ne le faisait pas.
"
Tu sais, Epona... —" Glissa-t-il, alors qu'il lui venait le besoin de se justifier. Peut être le regard de la jument était trop inquisiteur pour lui. «
Je crois que... — Je crois que tu passeras une meilleure nuit ici, que quelque part en ville. Et puis... — » le Fils-de-Personne laissa le silence s'installer, ne préférant pas terminer sa phrase. C'était une évidence, de toute façon. Bien entendu, il avait envie de la voir. Il serait parti depuis longtemps, autrement. «
Viens par là. » Souffla-t-il à l'animal, en tirant la porte de l'étable et en la guidant. Son courroux retombait doucement. Il installa son amie dans l'une des loges disponible, et quitta les lieux. Dès lors que son nez fut de nouveau exposé au vent, les doutes l'assaillirent de nouveau. Il glissa ses bras tant bien que mal autour de son torse, tâchant de se protéger du froid, et s'avança vers le Palais des Rois. Sans grande détermination toutefois.
*
Il s'était engouffré dans le Castel et depuis, il se faisait aussi silencieux qu'un chat et aussi discret qu'une ombre. Si les chats lui semblaient particulièrement absents, il n'en aurait pas dit tant pour les ombres. Quand bien même il était dorénavant à l'abri de l'Hiver, il frissonnait encore, arpentant les couloirs qu'il avait déjà traversé, parfois poursuivi par le Parjure ; à l'époque encore Prince, parfois épée en main à la recherche du Seigneur du Malin. Cette fois-ci il ne recherchait pas plus le second qu'il n'était poursuivi par le premier. Si jamais il avait le malheur de tomber sur l'un d'eux entre les murs du domaine de Zelda, ses premières pensées auraient été pour elle, et sa sécurité. Pour l'heure, il se contentait de la chercher, sans s'inquiéter de sa tranquillité. Il ne tarderait, de toute évidence, à la troubler.
Petit à petit, à force d'embouchures et d'allées, l'Enfant-des-Bois progressait au travers du Palais. Il se glissa, suivant tant son instinct que la lumière et les voix, dans un petit salon. Plus richement décoré qu'il n'aurait jamais de pierreries, de gloire ou quoique ce fut... — brodé de pourpre, d'or dg d'argent ; meublé de façon aussi luxueuse qu'il n'était habitué à l'austérité d'une nuit à la belle étoile. Ses yeux croisèrent ceux de Belle, et il ne put retenir un bref demi-sourire en voyant le sien. L'espace d'un instant, du moins. Avant qu'elle ne lui tourne aussi rapidement le dos qu'elle ne lui avait lancé un regard succinct. Avant qu'il ne disparaisse à nouveau au plus profond de cachots ; là ou sommeillent de sombres choses. Son visage, à nouveau, se referma, tandis que l'âpreté dont il était victime faisait de nouveau surface. En silence, il s'adossa contre le mur, aussi éloigné que faire se peut des regards. Qu'il s'agisse d'Impa, du Rusadir ou de Zelda, tous ne présentaient ni plus ni moins que nuque et séant. Il jeta deux suaires de chair sur des yeux plus gelés que ne saurait l'être le givre.
La Princesse s'agenouilla auprès de son Chancelier, en murmurant son nom, et en le tirant à l'étreinte de Llanistar. Il n'avait guère besoin de le voir pour l'entendre, mais les sons le tirèrent à sa rêverie. Il ne lui fallut pas plus longtemps pour réaliser à quel point il avait cru être d'avantage qu'il n'avait été. Ils étaient trois, présentement, autour de Zelda. Et bien qu'il n'avait jamais voulu le voir, force était de constater qu'il n'y avait personne plus entourée qu'elle. De courtisans, de vassaux et de bannerets ; d'âmes liées par le serment, de garçons et d'hommes prêt à mourir pour elle et pour ce qu'elle représentait... Ses doigts se fermèrent sur une pomme, tandis que de ceux de Zelda fuyait une magie qu'il avait cru connaitre. Son regard glissa sur le fruit qu'il tenait dans son poing. Il n'en avait pas plus envie qu'il ne souhaitait rester. Pris d'une lassitude et d'une fatigue qu'il avait rarement connu, il reposa ce qui aurait pu représenter un diner, dehors.
On aurait pu croire qu'il se fondait avec le mur, mais en réalité il se contentait de se laisser glisser contre la paroi. Appuyé contre une colonne, il se laissait aller là où ce qu'il supposait être la gravité le portait. Et quand Belle souhaita un joyeux retour à Orpheos, il fut peut être le seul – avec le blessé – à ne pas bouger. Les yeux de nouveau clos, il se laissa porter – encore ! – vers les quelques souvenirs qu'il avait de sa maison. Petite, mais haute. Sobre et discrète. Brûlée. Doucement, mais sûrement, il quittait (en pensée, au moins) le Castel et cet univers qui ne serait jamais le sien.