Posté le 22/07/2014 22:22
Il renifla, en passant sur ses cheveux son éternel capuchon de fourrure blanche. S'il avait connu bruine plus froide, il savait aussi qu'il n'y avait rien de mieux que l'orage pour frigorifier un homme. Fut-il habitué à lutter contre les excès de l'Hiver, ou simplement du mauvais temps. Il avait beau avoir trouvé refuge sous quelques grands arbres d'un sous-bois, ses cheveux lui collaient déjà les tempes — poissées par la pluie. Du bout de ses doigts, découverts par les gantelets qu'il avait retaillé de sorte à ne pas mourir de chaud quand le soleil décidait de se montrer, dégoulinaient les mêmes torrents qui humectaient sa gueule de baroudeur ; balafrée et pleine de boue. Surpris alors qu'il s'essayait à la chasse, il avait du se rapatrier en hâte, relativement à l'abris sous les feuillages de doyens tels qu'il en existait par-delà les mers, vers chez lui. La paume de sa main rencontra l'écorce trempée d'un chêne en fin de vie, et il grogna de mécontentement, pestant contre sa maladresse comme contre son incapacité à interpréter des signaux qui, ailleurs, lui auraient pourtant semblé évidents.
Le paria se releva tant bien que mal. Non content d'avoir compris l'ampleur de l'averse quand tonnait le premier éclair, il s'était foulé la cheville en poursuivant une pauvre hase aussi effrayée que leste. Avec elle, c'était son souper qui s'était envolé. Il s'avança plus avant dans les bois, à la recherche du cabanon qu'il avait pu dégoter quelques jours auparavant. Où il avait laissé sa sacoche, le canif d'os de Blanche et les maigres restes de ses provisions. A sa ceinture pendait toujours la lanière de cuir qui lui servait de fronde, quelques cailloux pesant au fond de son poing en guise de munitions. Au moins pourrait-il se réjouir autour du quart d'un de ces fromages ronds qu'il avait pu troquer contre quelque-uns des services qu'il était capable de rendre en comptant sur sa maigre connaissance de la langue. Pas grand chose, bien évidemment, mais suffisamment pour ne pas avoir à voler son pain de certains jours. Mais de certains jours seulement.
D'un coup d'épaule sec, il enfonça la porte déjà mal-en-point. La cabane était dans un état désastreux déjà avant qu'il ne décide de s'y établir. La toiture était pratiquement inexistante sur près de l'intégralité de la maison. Ca et là, le plancher avait disparu et la verdure qui avait poussé lui faisait penser à un incendie. Il n'avait pas encore fouillé le tas de poussière, mais il ne s'attendait à trouver les restes d'un imprudent. Carbonisé, réduit en cendres ou tout simplement brûlé. Ca ne serait guère que le troisième cadavre qu'il trouverait. Les deux femmes qu'il avait découvert lors de sa première exploration de la cave étaient mortes d'une cause qu'il ne parvenait pas véritablement à identifier (il n'y avait pas passé tant de temps, établir la vérité sur ce feu lui semblait loin d'être indispensable). S'il avait été dans une situation similaire, sans doute aurait-il demandé à ce que sa compagne et leur enfant se mettent en sécurité pendant qu'il tâchait d'empêcher la propagation des flammes dans la masure. Sans doute.
Le bois craqua, avant de céder définitivement. Il n'avait pas pour ambition de s'établir ici, ni même d'y rester quelques jours de plus. Simplement d'y prendre un dernier repas et d'y passer une dernière nuit. L'étranger s'engouffra, enjambant nonchalamment les débris, à la recherche de ses maigres possessions. Les rares effets personnels qui lui restaient et qui... Sa main se ferma sur la besace avant que ses jointures ne palissent. Un voleur l'avait détroussé de ce trop-peu dont il espérait jouir une dernière fois. Dans un grognement, il s'arracha au mobilier calciné sur lequel reposait son fromage, jadis. Non seulement, il devrait trouver le moyen de reprendre le trou béant qui ouvrait son sac sur le monde, mais en plus il allait devoir chasser en boitillant comme un jeune faon. Par la barbe des défunts, il en avait assez de cette journée.
Il soupira en passant le baluchon autour de son torse, puis en passant son couteau à sa ceinture, avant de s'extirper à la bicoque. Sitôt dehors, la pluie le repris. Une fois de plus il grogna son mécontentement, s'appuyant sur le premier arbre venu. Doucement il progressa, de centenaires en troncs et d'arbustes en doyens, jusqu'à percevoir une silhouette entre les géants d'écorce. Sans pouvoir dire s'il s'agissait d'un homme, d'une femme ou de quoique ce soit d'autre, comme décrivaient certains simples d'esprit qui rodaient à la métropole. Ses doigts glissèrent jusqu'à sa fronde, qu'il chargea aussi vite qu'il avait su se l'approprier, alors qu'il s'accroupissait en tâchant de rester aussi silencieux qu'il ne l'avait appris au fur et à mesure de ses chasses. Prudemment, il commença à ronger la distance, et petit à petit la silhouette s'effaça pour laisser place à un véritable campement. Feu et tente de cuir, quelques proies pendues et étalées ; à portée de main. Ses lèvres s'étirèrent en un demi sourire, masqué par l'obscurité comme par la fourrure qui poissait ses cheveux et ses tempes, dorénavant.
Le vaurien contourna le camp, veillant bien à ne se faire ni voir, ni entendre. S'il voulait avaler un morceau ce soir, il était indispensable de repartir sans la moindre pointe de flèche au plus profond de la gorge. Et s'il était envisageable de repartir les mains couvertes d'un sang d'homme, il préférait l'éviter — dans la mesure du possible. Bientôt il gagna le flanc Ouest du bivouac, où restaient suspendus les corps de deux lièvres et d'un faisan. Rien qu'à les voir, le trappeur raté - ce soir, c'était indiscutable - qu'il était salivait déjà. Des jours et des jours qu'il n'avait pu se mettre autre chose qu'un vieux fromage rance sous la dent. Quand ses doigts caressèrent la fourrure petit mammifère, il se repaissait presque dès-à-présent. Et la douleur de sa cheville comme envolée (ses pensées ailleurs, il avait cessé d'y faire attention), il tira un coup sec, décrochant l'animal sans plus de respect. C'est quand sonna la corde, qu'il comprit son erreur. Le chasseur avait accroché quelques osselets à son dispositif, qui tintaient clair. Un piège visant à attraper plus grosse proie ou protéger sa prise le temps d'une brève absence. Il pesta, conscient qu'il ne pourrait tenter de le prendre de vitesse. Les quelques flèches fichées dans la terre trempée attestaient de ses moyens. La peste que cette journée.
[Libre. Premier post pour Keith Lyne]