A la poursuite d'un Songe

[Libre. Premier post pour Sakristi]

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Lanre


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Il bailla lourdement, les paupières engourdies et les yeux ceinturés par les cernes, en achevant de broyer la verveine et le genévrier qui sommeillaient encore dans le petit bol de bois. Il lui faudrait ensuite en tirer un pigment suffisamment tenace pour accrocher sa peau. Puis, il jeta un bref coup d’œil à l'argile blanc qu'il avait préparé auparavant, avant de pousser un profond soupir. Lentement mais sûrement, il sentait la fatigue qui commençait à le ronger. Le soleil, pourtant, vomissait une lumière terne qui passait à grand peine à travers les interstices et les déchirures du bois barrant la vieille fenêtre de la bicoque. Sans un mot, après sa rencontre avec le Furet, il s'était avancé dans les ruelles triste et exiguës, avant de gagner d'autres venelles plus sombres encore. Là, il avait réalisé combien les forêts qui habillaient les collines et le brouillard qui roulait sur les montagnes lui manquaient. Le cœur d'autant plus pesant, il avait fini par s'approprier la vieille masure abandonnée, chassant les quelques rats et les blattes qui avaient pris racine sur place.

Des heures avant que ne disparaissent les étoiles, le Ke'ēlt avait alors dressé un petit autel. Dans le plus grand des mutismes, il avait déposé au sol le collier de crocs qui ceignait son échine, dessinant avec le cuir un cercle aussi parfait que possible. Puis, tirant le couteau de Blanche, il marqua la terre sèche de l'une des rares runes qu'il connaissait. Certes, le tracé n'avait rien de complexe, et pourtant quand l'os rencontra la boue assoiffée et battue par le temps, il hésita. Un instant. « Mataoka isse, Tre'ak Maw », souffla-t-il d'une voix éraillée. La première ligne traversa l'arceau de haut en bas. « Mataoka hjāt, Tre'ak Maw », murmura-t-il à nouveau, ajoutant à son premier trait un second, en diagonale. Puis d'un troisième, implorant une fois encore la Grande Ourse, ainsi que l'exigeait le rituel. « Mataoka k'anal, Tre'ak Maw », chuchota encore le chasseur, dont la barbe rousse mangeait les joues ascètes. Il ne lui restait plus que deux sillons à creuser. Deux rides de plus sur la peau fatiguée de cette terre déjà trop foulée du pied.

"Mataoka sābhail, Tre'ak Maw", tonna-t-il un peu plus fort cette fois. L'ogam prenait doucement forme : bientôt la première rayure serait encadrée par les quatre autres, obliques. « Mataoka Io doȳnaul, Tre'ak Maw », acheva-t-il enfin. Son ton s'était brisé au moment même où il avait dessiné la dernière strie. Laissant le silence retomber sur la chaux décrépie des murs de la cahute, le dernier des siens abandonna la dague de Nyttę̄́ à quelques pouces de l'obole. Puis, en offrande, il déposa une unique plume de corbeau, accompagnée d'une branche de vinetier aussi rouge que celui qui paraît ses lèvres, soulignait parfois l'amarante de son regard, muselait sa chair. Et puis, les jambes croisées à la manière des tailleurs penchés sur leur ouvrage, il jeta sur son monde la plus aveuglante des ombres.

Comme à son habitude quand il n'avait pas le temps de dormir, il tâcha de se calmer. Déjà à l'heure du tournois d'Aegis, il avait constaté combien il était complexe de sentir et de ressentir, enfermé à l'étroit derrière d'imposants garde-fou de grès et de granit. A certains égards, il n'était donc pas mécontent de quitter la Cité. Il aurait juste aimé le faire en d'autres circonstances.

Il resta un instant, ainsi, à méditer. Derrière le suaire qui recouvrait le vert-de-gris, le néant était parfois déchiré de souvenirs d'un autre âge, aujourd'hui révolu. Il se remémorait un homme qu'il avait été. Un homme qu'il était toujours — sans plus pouvoir l'être, en vérité. Le temps sembla s'étirer et, après ce qui lui semblait être des heures passées à sonder un vide édifiant, il ouvrit de nouveau les yeux. S'arrachant à sa méditation, il entreprit de préparer ce dont il aurait besoin pour son voyage. Hjä récupéra la sacoche de cuir dont il s'était séparé préalablement et vida son contenu sur le limon graveleux qui lui faisait office de plancher.

De toutes ses possessions ne demeurait qu'une poignée de fleurs, de plante, ainsi qu'un peu de salpêtre qu'il conservait précieusement dans un petit coffret de bois sculpté. A l'intérieur d'une fiole hermétique se déchaînait le gel liquide qu'il gardait depuis des semaines déjà. Il avait aussi son mortier, quelques lanières de tissu, de la chanvre pour nouer le tout et des mèches. Presque par réflexe, il fit craquer ses phalanges avant de laisser choir les pelisses qui bardaient ses poignets, lestés de fer, et alourdissaient sa nuque. Il n'en aurait pas besoin pour travailler.


Il devait être quatre ou cinq heure quand l’Étranger claqua une dernière fois la porte branlante de la baraque qu'il abandonnait à qui en aurait l'utilité. Les premières lueurs du jour caressaient doucement les toits de la ville depuis un court moment, déjà. Sur la chaume des bâtisses les plus pauvres brillaient  son sourire pâle, croqué d’embruns, charriés par les nuages.

Après un rapide coup d’œil, comme pour s'assurer qu'il ne serait pas suivi, il se mit en route d'un pas décidé. Il avait noué ses cheveux en chignon négligé, pour dégager son champ de vision et son cou où pesait un torque de bronze, orné d'une tête d'ours de chaque côté. Sur sa gueule, comme sur le reste du corps qu'il dissimulait sous plusieurs épaisseurs de fourrure, il avait apposé un masque d'un bleu sombre, dont les motifs tribaux n'évoquerait probablement rien à Furet.
Un large trait aux couleurs de nuit griffait ses yeux de gauche à droite. Trois échardes  barraient inégalement sa gueule, rayant son soupirail gauche tandis qu'une série de poing décoraient son front, juste au dessus des sourcils. Une autre ligne dont l'azur tirait sur le noir tombait lentement le long de son nez. Quant à ses lèvres, elles étaient cousues d'une peinture aussi orageuse que les cieux qui ne tarderaient pas à s'agiter. Sur sa gueule, il ramena une lourde capuche au pelage gris, pas si différent de celui des loups qu'il avait croisé, avec Swann.

La sangle lui mordait l'épaule quand il arriva à l'auberge où il avait donné rendez-vous à l'apothicaire. Il avait du éviter plusieurs patrouilles de garde, bien conscient qu'il était peut-être encore recherché par les soldats qui l'avaient jadis jeté dans les geôles, mais il ignorait que même sans être reconnu ils auraient pu s'opposer à ses déplacements. Il n'avait aucune notion des interdits regardant le vagabondage mais il n'entendait de toute façon pas se présenter aimablement aux hommes d'arme.

"Kveðj Aur", héla-t-il la doyenne, en s'approchant. Il fut satisfait de voir qu'elle était déjà prête à partir et qu'il n'aurait pas à tambouriner sur les portes de son logis. D'un bref coup d’œil, il dévisagea l'ancienne, sans grand respect pour des convenances dont il n'avait de toute façon pas connaissance. Elle était engoncée dans sa pèlerine et habillée sobrement, comme le sont souvent les gens du voyage. A sa hanche pendait une petite besace, et il pouvait apercevoir u second sac, sans doute porté sur le dos. Lui préférait généralement y accrocher une rondache, mais il n'était pas étranger à la pratique. « Prête à partir ? » Lança-t-il aussi simplement que le lui permettait sa maîtrise de la langue. Rabotant la distance qui les séparait encore, il nota la présence d'une dague à sa ceinture et d'une sarbacane. « Bon choix », commenta-t-il, désignant le long tube du menton. Il avait perdu la sienne des mois auparavant et aurait aimé mettre la main sur un autre de ces objets. « Je suppose que tu t'y connais en poison », poursuivit-il, de façon peut-être un peu évidente. La vieille femme lui avait dit être apothicaire, mais il ignorait bien ce qu'elle voulait signifier par là. Cela n'avait d'ailleurs pas grande importance.

"Nous marchons vers le désert", siffla-t-il ensuite, après avoir planté dans ses yeux un regard polaire. Puis, tournant les talons et prêt à gagner l'une des nombreuses sorties de la Ville-Close, il lâcha son dernier avertissement. Ces quelques mots trahissaient son état d'esprit. « J'espère pour toi que tu sais chasser », signifia-t-il d'un ton si neutre qu'il en devenait presque froid. Il était près à l'escorter mais il n'avait pas l'intention de jouer les homme-liges ou les héros.


Sakristi


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Lorsque le Chasseur était parti, Sakristi n’avait même pas cherché à croiser le regard de son amie d’enfance, sûrement empli d’interrogations. Elle n’avait à se justifier de rien. Oh, évidemment, la voir repartir alors qu’elle se remettait à peine de son précédent voyage ne devait pas enchanter la Maquerelle. Mais elle savait également que l’Apothicaire ne rendait plus de comptes à personnes, et ce depuis un certain temps. C’est donc sans échanger plus que quelques mots que les deux femmes se séparèrent, au moment d’aller regagner leurs espaces respectifs.

Les Déesses d’Izzie devaient savoir ce qu’elle trafiquait, au choisissaient, comme beaucoup, de fermer les yeux sur tout ceci. Quant à l’ancienne habitante de Cocorico, elle se réfugia dans sa chambre, loin des bruits de l’auberge et de la luxure. A certains moments, l’angoisse venait appuyer contre son ventre, comme si un tambour commençait à y battre.
« Dans quoi t’es-tu fourrée, Furet ? » se demanda-t-elle à haute voix.

Mais plus que la peur, c’était un sentiment enfoui depuis un moment qui la dominait. Enfermée depuis trop longtemps, elle allait enfin respirer un air qui n’avait pas été emprisonné entre quatre murs. Le monde qui l’attendait recelait de dangers, mais pas plus que lors de sa dernière aventure. Par ailleurs, un sourire délicat vint fendre son visage en pensant à son compagnon improvisé de voyage.
« Un compagnon sans nom… » L’homme n’avait pas l’air bien amusant, mais elle ne partait aucunement pour rire. Par associations libres, elle se perdit à essayer de retrouver l’odeur des arbres, de la terre mouillée. D’une certaine manière elle associait cette odeur au rouquin même sans l’avoir reniflé. Il ne se serait pas laissé faire de toute façon. Mais tout ce qui l’exaspérait chez les citadins qu’elle fréquentait plus par obligation que par choix semblait absent chez lui. Il se ne forcerait à rien pour elle, mais ne lui tiendrait pas rigueur de ne pas se forcer pour lui. Cette existence côte à côte sans symbiose écœurante, elle ne l’avait expérimentée qu’une fois au cours de sa vie, avec Izzie. Sans trop d’espoirs néanmoins, elle se prit à y croire un tout petit peu.

S’arrachant à sa méditation, elle prépara ses sacs. L’affaire fut rapidement menée à bien, puisqu’elle les avait à peine défaits depuis son retour du Désert.
« Hop, ça peut servir. » ponctua-t-elle ses gestes par ci, par là. Elle avait peur de manquer, mais d’un autre côté, personne ne l’aiderait si elle était trop chargée. Avant de ranger quelques affaires restantes, elle les déposa sur une petite table, et se réserva un petit instant avec ses dieux à elle. Elle leur demanda lucidité, force, et sagesse. Elle n’avait pas besoin de chance, ne voulant pas influencer celle des autres, notamment de la jeune femme aux cheveux de lunes qu’ils allaient rechercher. Sans cérémonie, elle rangea ensuite l’autel, éteint tout et dormir d’un sommeil qu’elle n’avait su trouver depuis des lunes. Elle savait ce qu’elle ferait le lendemain, et cela la soulageait de bien des maux.
***

Elle ouvrit les yeux quelques secondes avant le chant du coq. Excitée comme une puce, elle avala un petit déjeuner consistant, avant de descendre ses sacs et de faire ses adieux à son amie, et quelques filles qui ne lui étaient pas trop antipathiques.

« Kveðj Aur » lui tint le Chasseur dans une langue qu’elle ne connaissait pas, mais qu’elle interpréta comme des salutations. Habitué des longs voyages, il la détailla pour l’évaluer. Elle comprit et en fut soulagée, peu rares étant ceux qui partaient sans rien – ou trop encombrés – braver les éléments de la Nature. Peu survivants, également. D’une certaine manière il était sensible à sa survie, même si c’était sans doute pour ne pas menacer la sienne.

« Prête à partir ? » lui demanda-t-il. « Oui. » dit-elle sans faire de trait d’esprit, cherchant davantage à se faire comprendre qu’à lancer ses remarques piquantes habituelles. Ils échangèrent ensuite brièvement sur le poison, suite à la remarque de sa sarbacane. Elle lui expliqua qu’elle travaillait avec les plantes, tant pour leurs bienfaits que pour leurs méfaits. Elle ne cacha pas non plus que si son art était plutôt de soigner, elle savait pertinemment comment user des dons de la Mère pour se débarrasser des inconvenances du quotidien. « J'espère pour toi que tu sais chasser » sembla-t-il néanmoins s’inquiéter, peu désireux de jouer les nourriciers. « Je suis déjà partie seule et je n’ai pas manqué de nourriture. Ne t’en fais pas pour moi. » le rassura-t-elle. Ainsi, les choses étant claires, ils partirent.

Une fois qu’ils eurent franchi le pont, marquant leur sortie de la Citadelle, elle prit une longue inspiration. L’air n’était pas des plus purs en raison de la misère et de ses conditions qui régnaient alors où ils évoluaient. Mais, déjà, elle se sentait moins enfermée. Elle déposa un peu d’un beurre végétal qu’elle transportait dans sa petite sacoche pour protéger ses lèvres du soleil et du vent.
« L’as-tu déjà rencontrée, celle que nous cherchons ? » demanda-t-elle alors qu’ils circulaient entre de petites bâtisses, abandonnées pour la plupart, désertées jusqu’à la nuit pour d’autres. « Je me souviens de notre rencontre comme si elle datait d’hier. » soupira-t-elle. Elle comprenait à peine pourquoi la jeune femme l’avait tant marquée. Elle avait ressenti, c’était tout ce qui lui importait. « Tu ne m’as pas dit comment t’appeler. » lui rappela-t-elle, s’en souvenant elle aussi sur le coup.

Elle prenait appui sur son bâton pour les passages boueux, mais elle était satisfaite de réaliser qu’elle n’en avait pas tant besoin que cela. Pour autant, elle apprécierait sans doute de l’avoir dans plusieurs lieues. Puis, il pouvait s’avérer être une bonne défense dans quelques situations sociales désagréables. Elle se força à limiter ses mots, l’autre n’ayant pas l’air des plus bavards. Pourtant il l’intriguait, et elle restait une grande curieuse.
« Par où comptes-tu passer, toi qui sembles plus voyager que moi ? » demanda-t-elle, réellement intéressée par l’itinéraire. Elle était déjà ravie des plantes qu’elle allait peut-être retrouver dans la Plaine.


Lanre


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Le ciel tonna une première fois et, mécaniquement, il leva le nez vers les sombres nuages que les vents portaient déjà, alors qu'il quittait la bicoque. Ils venaient de passer le pont-levis, tout juste abaissé par la garde de la Ville-Close. Derrière eux, les hommes du Général levaient encore la herse, après avoir consigné les raisons de leur sortie dans un large registre cerclé de cuir. Il avait entendu l'un deux se plaindre de l'utilité d'un tel dispositif, marmonnant qu'il avait dû apprendre à lire. Un autre réclamait la mise en place de sauf-conduits. Sans bien comprendre de quoi il s'agissait, le vagabond tira doucement sur le cuir  qui sanglait son épaule, jusqu'à ce que le bois-de-fer épouse la fourrure de ses galons. Sans un mot de plus, il se remit en route, d'un pas alourdi par la boue et la pluie. Elle était encore fine et ne suffisait pas à couvrir les premiers bruits de l'éveil de la ville. Peut-être le pourrait-elle plus tard, mais il en n'était pas sûr : la capitale lui semblait être comparable aux vieux esprits qui habitaient les terres de son monde. Seulement, à la différence de la Grande-Ours ou du puissant Cerf, ses remparts étaient immobiles ; faits de pierre et son vacarme, incessant.

La Citadelle elle même semblait infinie : passée les longs murs de son enceinte, d'autres bâtisses continuaient à s'étendre, obscurcissant çà et là la ligne d'horizon. Pourtant, les masures n'étaient jamais très hautes et la plupart n'étaient composée que de bois, de bousat et de chaume, mais elles étaient nombreuses. Il y en avait bien plus qu'aucun des siens n'aurait pu en avoir besoin tout au long d'une vie. Son clan tout entier n'aurait pas pu remplir tant de huttes, s'il avait seulement pu les construire. Sans trop y réfléchir, il ramena la main jusqu'à son torse, cherchant après le collier de griffes qui lui avait été offert par Aaricia, après l’Épreuve, avant de réaliser qu'il ne l'avait plus. Il l'avait sacrifié aux mêmes entités qu'il souhaitait voir venir en aide à son amie.

C'est la voix du Furet qui le tira à ses errements, tandis que tout deux s’engouffraient dans l'une des allées de terre battue. Elle voulait savoir s'il connaissait la Macrale qu'ils cherchaient. Depuis leur première rencontre, il s'était fait aussi évasif que possible à son sujet. « Oui », grogna-t-il sobrement, sans s’appesantir de détails. Tant qu'il ne serait pas certain qu'il pouvait faire confiance à l'apothicaire – ou à défaut, qu'il ne puisse pas faire autrement – il se refusait à en dire plus que le strict nécessaire. Aussi la laissa-t-il simplement continuer, narrer le peu qu'elle avait elle même à dire sur la sorcière. Et si, en vérité, il n'était pas réellement d'humeur à entretenir une conversation, toute information était bonne à prendre. L'Ours se força donc à poursuivre. « Quelque chose t'as marquée ? » Questionna-t-il simplement, sans chercher à masquer ses intentions.

Du poignet, qu'il avait de nouveau ceinturé de pelisses et de fer noir, il repoussa une lourde tenture, tendue entre deux gourbis. Plus loin, deux hommes bien matinaux rentraient les cochons surpris par les embruns. D'autres rembarquaient leur commerce, comme le firent le tisserand et la tanneuse qui récupéraient peaux et textiles initialement mis à sécher. Quelques enfants poursuivis par un vieux chien jouaient et riaient, ignorant l'orage à venir, tandis qu'une femme dont l'âge avait grisé les cheveux dormait d'un demi-sommeil, sous la protection d'un toit oblong. Il s'avança.

Sans l'arrêter, la doyenne reprit ses questions, changeant cette fois de thématique. Il se tourna légèrement pour pouvoir lui lancer un regard austère, avant de reprendre la marche. Il était des sujets qu'il ne souhaitait pas aborder et son identité en faisait partie. « Cela n'a pas d'importance », souffla-t-il néanmoins, forçant un peu la cadence. Ses doigts glissèrent jusqu'à la dague de Nyttę̄́, qui pendait à sa hanche, tandis qu'il longeait un vieux champ désolé. La lumière du jour brillait encore trop peu pour pousser les Hyliennes et les Hyliens hors de leur trou. « Appelle-moi comme tu le voudras », finit-il cependant par lâcher, la bouche rendue amer par les regrets. Après tout, en l'absence des siens, qui pouvait encore prétendre lui donner un nom ? Il avait été bien des choses, bien des hommes, mais il n'était plus personne pour le voir désormais. Son cœur se serra doucement à cette pensée.

"Nous ferions mieux d'avancer", maugréa-t-il simplement, espérant secrètement que sa compagne de route saurait se faire plus silencieuse à l'avenir.  Ses questions le fatiguaient déjà ; d'autant plus qu'elles n'avaient pas attrait à la traque de l'Orfraie. S'il était soulagé depuis qu'il savait quoi faire, au moins pour un temps, le temps lui manquait néanmoins et il ne comptait pas se fatiguer à parler quand il leur était possible de marcher. Plus vite ils auraient quitté les Faubourgs, plus vite ils se rapprocheraient du désert. Un bref coup d’œil accordé au soleil qui commençait tout juste sa course lui indiqua la route à prendre. Ils iraient vers l'Ouest.

A l'évidence, l'Ancienne n'avait pas saisi la réelle teneur de sa dernière intervention. Après quelques minutes seulement, elle se laissa aller à ses précédents travers. « Nous irons au-delà du désert », expliqua-t-il, prêt à préciser davantage les propos tenus de l'autre côté du Mur, avec la simplicité qui était la sienne. Avant de prendre la parole, il s'était assuré qu'aucun homme en arme n'était susceptible de les entendre. Sans être très au fait des problèmes de la région, il avait bien compris que certains chemins n'étaient empruntés que par les prisonniers, les soldats et les traîtres à la couronne. Lui ne répondait à aucune autorité, mais il souhaitait ne pas faire parler l'acier plus que de raison. « Je sais qu'elle y a un terrier, et je sais où le trouver », affirma-t-il ensuite. Le pas décidé, il continua. « Certaines galeries à travers les falaises permettent de contourner la forteresse Gerudo », puis il se tût, peu désireux de divulguer davantage d'éléments. Sa camarade de fortune en saurait plus en temps voulu. D'ici là, il leur faudrait éviter l'avant-poste militaire établi par la Reine pour pouvoir ensuite creuser leur route à travers les cavernes des Gorges.


Keith Lyne


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La chasseuse tendit sa main et sentit une goutte s'y écraser. Elle avait bien fait de se presser à vendre sa marchandise après avoir vu arriver les nuages sombres qui zébraient à présent le ciel. Le temps de saluer les quelques habitués qu'elle connaissait sur le petit marché, et une fine pluie s'abattait à présent sur eux, vidant progressivement la foule des commerçants matinaux qui craignaient pour l'état de leurs biens.

Elle prit le temps de recompter ses gains. Elle n'avait jamais couru après l'accumulation et ne cherchait pas à tirer le maximum de ces pauvres marchands déjà durement touchés par la guerre, au contraire. Il y avait seulement là de quoi renouveler un peu son équipement et passer quelques jours en ville, elle n'en espérait pas plus.

Rangeant la bourse dans son sac, Keith s'apprêtait à rejoindre le pont-levis à présent baissé avant de se figer sur place. Elle n'avait ni un aussi bon odorat ni une aussi bonne ouïe sous cette forme qu'en louve, mais il lui arrivait d'avoir des pressentiments sans en comprendre la provenance. Ce furent ses yeux qui l'éclairèrent sur la raison alors qu'elle cherchait frénétiquement la cause de cette sensation. La jeune femme venait de repérer son voleur, accompagné d'une femme qu'elle ne connaissait pas. De toute évidence ils quittaient la ville.

À présent qu'elle avait récupéré son précieux arc, l'information aurait dû la laisser de marbre. Pourtant, elle gardait un goût d'inachevé depuis leur dernière discussion. À défaut d'avoir entièrement pardonné à l'individu ce qui était arrivé, elle avait au moins compris ce qui l'avait amené là. Sa colère avait eu largement le temps de se tarir. Et s'il faisait à présent ressortir des souvenirs pénibles liés à ses parents, il réveillait avant tout une soif de savoir qu'ils n'avaient jamais pu étancher. Plusieurs fois, elle avait repensé avec un sentiment d'inachevé à sa rencontre avec l'étranger, et à ses origines qui pouvaient lever le voile sur les siennes.
Après une courte hésitation, la chasseuse s'élança en direction des deux voyageurs, prenant soin de ne pas glisser dans la boue.

"Hallja, attendez ! Lanre ! Si je ne me trompe pas... ?" Arrivée à leur hauteur elle adapta son pas à leur rythme comme si elle les avait accompagnés depuis le début. "J'espère qu'au moins cette fois tu te rappelles de moi, At’hu ?" Bien que la pique ne soit pas innocente, il n'y avait pas de ressentiment dans sa voix. Son ton se voulait seulement espiègle, elle n'était pas venue à sa rencontre avec des idées belliqueuses cette fois.

"Notre dernière discussion a été... trop courte à mon goût..." Elle préféra éviter de revenir sur les événements qui l'avaient écourtée. D'autant plus devant une autre personne. "Il y a encore beaucoup de choses dont j'aurais voulu parler. Mais je suis ravie de voir que tu sembles aller mieux."

Lorsqu'elle l'avait perdu de vue, c'était avec une blessure plutôt impressionnantes et de potentiels ennuis avec la garde. La raison lui apparaissait toujours aussi invraisemblable mais elle était sincère lorsqu'elle se réjouissait que ses problèmes aient l'air réglés.

"À ce que je vois, tu as trouvé une compagne de voyage !" Elle détailla Sakristi du regard avant de se glisser près d'elle pour lui tendre la main avec un sourire. "Enchantée, je m'appelle Keith !"

L'amie de l'ours semblait dégager une assurance et une sérénité que seuls le temps et ses épreuves pouvaient forger. Bien qu'elle ne sache rien du but de leur voyage ou des raisons de leur association, le duo ne lui semblait pas dénoter.

"Figure-toi que ce vieil ours et moi on s'est rencontrés parce qu'il a dérobé mon arc. Et un lapin." Elle ajouta d'un ton taquin : "Heureusement pour lui que j'ai au moins récupéré l'arc."

La jeune femme lança un dernier regard en direction de la ville. La promesse d'une nuit dans un lit confortable et de soirées festives dans les tavernes ne pouvait pas rivaliser avec sa curiosité. Elle n'était pas à quelques jours près.

"Je sais que ce ne sont pas mes oignons, mais... Où est-ce que vous allez d'un pas si pressé ? Je peux peut-être faire un bout de chemin avec vous ?"


Sakristi


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Une chose au moins était certaine : son compagnon de voyage n’était pas le plus loquace que la vie lui ait donné. En un sens, il lui rappelait Amund, son amour d’antan, le père des enfants qu’elle avait laissés derrière elle. Oh, bien sûr, cet étranger sans nom, comme il semblait lui avoir fait comprendre, ne la faisait pas chavirer comme l’avait fait le paysan de Cocorico. Mais son air bourru et son mutisme éveillaient une certaine nostalgie chez l’apothicaire. Et comme dans le passé, elle savait se faire particulièrement agaçante en l’assaillant de remarques et de questions stupides, auxquelles il prenait de moins en moins la peine de répondre.

Tout cela amusait grandement la sorcière, qui se cachait savamment derrière cette couverture de vieille femme un peu cruche. Personne ne se méfiait d’une vieille qui radotait, ou du moins pas pour les raisons pour lesquelles on aurait dû se méfier d’elle. « Fort bien, j’ai déjà rencontré un certain Renard, et tu m’as l’air aussi mal-léché que lui. Revêche irait à merveille. » décida-t-elle plus pour elle que pour lui. Si elle l’appelait, peu importait le nom, il aurait désormais plus envie de la fuir plutôt que de répondre à la sollicitation. Elle esquissa un léger sourire. Au moins ce petit jeu lui mettait-il du baume au cœur, car l’idée de retrouver le rude désert ne l’enchantait pas réellement.

Ils déambulèrent pendant un long moment entre les habitations de fortune et des placettes qui semblaient plus commerçantes, comme de petits marchés. La vie ici semblait assez miséreuse, mais voir ainsi les habitants parler entre eux, malgré une méfiance qui devait être de mise à cause des brigands qui s’improvisaient sans cesse, remuait toujours autant l’Hylienne au cours de ses voyages. Les faux-semblants de la vie citadine l’écœuraient encore davantage en voyant comment cela se passait ailleurs. Elle continua donc à épuiser son compagnon pour se décharger un peu. Elle remarqua qu’au-delà de son caractère, il demeurait très évasif. Elle ne s’en offusqua pas, elle non plus n’ayant pas la plus grande confiance en lui.

Alors qu’elle s’était néanmoins résignée à le tourmenter, et qu’elle se réfugiait dans les méandres de ses pensées, ce fut une autre voix qui prit le relai pour s’adresser à… « Hallja, attendez ! Lanre ! Si je ne me trompe pas... ? » La sorcière les détailla tour à tour pendant que la femme qui les avait interpellés cheminait jusqu’à eux. Il n’y avait pas d’erreur : c’était bien le roux qui était visé. Elle s’étonna de leurs points communs, ravie de pouvoir rester – pour une fois – silencieuse pour analyser la nouvelle venue de ses yeux orange et verts. Elle croisa toutefois le regard de Lanre assez longtemps pour placer un petit « Je préfère Revêche. » ponctué par un haussement d’épaules nonchalant.

Outre la plaisanterie, la chasseresse fit une impression plutôt positive à Sakristi, même si sa tendance à faire davantage confiance aux femmes qu’aux hommes n’était pas forcément un gage de vérité. Au moins mettait-elle un peu d’énergie positive dans leur collaboration. Elle fut même ravie de l’entendre s’adresser à elle. « Keith. » la salua-t-elle en souriant. « Je suis Furet, enchantée. » se présenta-t-elle à son tour. « Figure-toi que ce vieil ours et moi on s'est rencontrés parce qu'il a dérobé mon arc. Et un lapin. » lui confia-t-elle ensuite. « Charmant à tout point de vue, donc… » rétorqua-t-elle en levant un sourcil en direction de l’ours en question.

Cet aveu éveilla cependant ses sens, car une envie de vengeance pouvait vite arriver. Et même si la nouvelle arrivante paraissait douce et fraîche comme la rosée, sa musculature demeurait imposante. Elle était également vive d’esprit, et le serait sans nul doute dans ses gestes si le ton devait trop monter. Le ton naïf dont elle fit preuve, et sa proposition de les accompagner la détendirent légèrement, mais elle resta sur ses gardes. La perspective d’échanger avec cette femme qui semblait avoir parcouru de nombreuses contrées en quête de… Peu importe quoi ! la tentait assez. Mais des deux, elle n’était pas celle qui avait un passif avec la jeune femme.

Elle regretta d’avoir été si infecte en fin de compte, maintenant que ses intérêts dépendaient de la volonté de Revêche. Elle ne se gêna tout de même pas pour lui tendre son air le plus innocent – auquel il ne serait sûrement pas sensible… - à la manière d’un enfant qui demanderait à son père s’ils pouvaient garder un nouveau petit animal rencontré par hasard. Il ne manquait que des « S’il-te-plaît, s’il-te-plaît ! » implorants pour parfaire la scène.


Lanre


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Sans un mot, il se retourna sur la jeune femme qui l'avait interpellé. La voix lui était familière, certes, mais trop peu pour qu'il ne soit en mesure d'y associer un visage. C'était autre chose qui avait su retenir son attention. Ses talons s'enfoncèrent dans la boue qui inondait les sols et noieraient bientôt leurs pieds tandis que, d'un regard muet, il détaillait le visage de celle qui avait décidé de jeter du sel sur ses plaies. Une crinière rousse habillait sa gueule striée de mauve, d’où perçaient deux perles absinthe. Sur son épaule, déjà recouverte d’une discrète fourrure, reposait un arc. C’était plus qu’il n’en fallait pour comprendre.

Immobile, ou presque, l’étranger n’esquissa pas le moindre geste susceptible d’alerter la chasseresse. Pourtant, tout son corps s’était raidi. Sous les pelisses qui ceignaient ses mains, son index tapotait doucement la lame de sa dague. Du regard, il chercha rapidement après Furet, qui lui avait déjà trouvé un surnom. Un instant, il soupçonna que les deux femmes aient pu être de mèche et que toutes les questions dont elle l’avait assailli – tant celles relatives à leur trajet que les autres – n’avaient d’autres objet que de l’endormir. La barbe qui mangeait ses joues ne les empêcha pas de se creuser, tandis que ses dents grinçaient en silence.

Rapidement, l’ancienne s’imbriqua dans l’ersatz de conversation qu’entendait entretenir cette archère qu’il ne cessait de retrouver sur son chemin. Qu’on continuait à placer sur sa route ? Si les deux inconnues se connaissaient, elles jouaient bien la comédie. La pluie battait ses tempes autant qu’elle ne martelait la chaume quand l’apothicaire se décida à rappeler son nouveau nom, dont il ne comprenait de toute façon pas la signification. Il ne broncha pas, laissant les deux inconnues à leur discussion.

Les bruits d’hommes en armes ne tardèrent pas à l’alerter. L’acier des bottes claquait contre la terre humide tandis que cliquetaient les mailles. Sans prendre la peine de répondre à Keith Lyne, dont il n’était pas sûr de comprendre la réelle intention, Hjä laissa son instinct le guider. Il lança à l’apothicaire un regard lourd de sens : s’il était assez peu probable que ces soldats en aient après eux, il n’appréciait guère les savoir dans les parages… Et n’avait pas oublié ce qu’il devait théoriquement à la dernière des Nohansen. « Partons », souffla-t-il simplement, non sans jeter le menton vers la bordure du ménil et les premiers hères à travailler les champs, envers et contre les averses.

D’un mot – en Hylien, cette fois – l’aventurière en fit savoir un peu plus sur ce qu’elle espérait. « Viens », fit seulement le Ke'ēlt à l’attention de sa compagne de route — quoique le message pouvait sembler ambigu. Peu désireux de s’attarder, il ignora son regard implorant et se saisit de son bras. Il était ferme, austère sans doute aussi, mais pas menaçant ou agressif. Et lui de poursuivre, d’un ton marqué par la lassitude autant que par l’accent dont il n’aurait su se défaire : « Rappelle-toi ce que nous avons à faire ». Il n’en dit pas plus, mais sans doute sa poigne avait-elle traduit – à son insu – l’urgence de la situation. Il lâcha l’avant-bras de sa camarade et roula un instant des épaules, comme pour réassurer sa prise sur la lanière de cuir qui retenait l’épaisse latte de bois-de-fer qui pesait sur son échine.

"Nous iront seuls ", reprit-il, fixant cette fois Keith Lyne et adressant une première réponse à la jeune femme. « J’ignore ce que tu cherches, mais je sais que je n’ai pas de réponses pour toi », ajouta-t-il encore. Sa voix, profonde et rauque, craquait comme le font les vieux arbres secoués par le vent. Il s’éloigna ensuite, sans plus attendre, laissant les deux Hyliennes derrière lui ; avant de se retourner à moitié après quelques pas. « Je peux patienter », tonna alors At’hu – c’est ainsi que Keith l’avait appelé – à l’attention de Furet, qu’il devançait toujours. Il lui semblait qu’elle avait encore à parler avec la chasseresse « Ne sois pas trop longue », acheva-t-il avant de reprendre sa route vers les campagnes. Il était pressé de s’arracher au ventre de ce monstre de pierre.


Keith Lyne


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Lorsque l'homme qu'elle était venue interroger prononça ce simple verbe "Viens", Keith crut d'abord qu'il l'invitait à les suivre lui et sa sympathique compagne. Après tout même si elle ne lui avait pas beaucoup parlé elle avait bien compris qu'il était plutôt avare en mots et elle était prête à s'en contenter dans un premier temps. À la façon dont il pressait, de façon un peu brute à son goût, la dame qui l'accompagnait il n'était pas non plus difficile de deviner qu'il avait hâte d'avancer. Mais alors que la chasseuse s'apprêtait à leur emboîter le pas, elle reçut une douche froide quand il prit la peine de préciser sa pensée.

Pas de réponses pour elle ? Un instant elle sentit de la déception l'envahir à cette idée, mais bien vite ce fut la colère qui la remplaça avec l'impression qu'il la prenait pour une idiote. Elle était la preuve que partager des origines communes n'impliquait pas forcément de les connaître en profondeur, mais comment espérait-il lui faire croire que c'était son cas alors qu'il parlait à peine le hylien quand elle l'avait rencontré ? Bien sûr, il ne savait peut-être pas tout, mais elle n'avait même pas encore précisé ses questions et il en savait assurément bien plus qu'elle. Tout ça ressemblait bien plus à une façon de se débarrasser d'elle.

Alors que l'ours mal léché s'éloignait elle lança un regard surpris à Furet.

"Il est toujours comme ça... ? Je ne lui demande pas la lune pourtant !"

Instinctivement elle cherchait le soutien de la compagne de route de Lanre qui lui avait paru bien plus accueillante. Elle ne pouvait évidemment lui apporter les réponses qu'elle cherchait, mais elle avait toujours été elle-même plutôt avenante avec les autres femmes.

"J'espère qu'il ne t'entraîne pas dans un plan louche ? J'ai remarqué qu'il avait le don pour s'attirer des ennuis..."

Elle n'avait pas manqué de rapprocher son accélération avec le passage de patrouilles. Après tout, lors de sa dernière rencontre avec lui il venait de toute évidence de mettre toute la garde de la ville en émoi, tandis que lors de la première les événements avaient mal tourné. Elle ne le pensait pas particulièrement mal intentionné, il lui avait semblé plus indifférent qu'autre chose, mais il restait un élément qui l'alertait. Il ne plaçait pas les limites et la loi au même plan qu'elle.

"Je ne veux pas paraître trop curieuse, mais j'avoue que je me demande ce qui te pousse à le suivre malgré son peu d'égards pour..." Ses yeux avaient glissé vers la silhouette du grognon personnage qui semblait avoir continué à avancer malgré son annonce. "Eh mais il ne t'attend même pas ?"

Elle attrapa la main de Furet, bien plus délicatement qu'elle ne l'avait vu faire plus tôt, pour l'entraîner avec elle. Il était hors de question qu'il abandonne ou distance la dame à cause d'elle. Elle ne lâcha sa main qu'une fois arrivée à hauteur de l'homme pressé.

"Je croyais que tu devais l'attendre !"

Contrariée, elle ne reprit pas tellement plus calmement la discussion où ils l'avaient laissée.

"Faènn ! De toute façon je n'en ai pas fini avec toi. Ne te moque pas de moi ! Tu ne sais pas me répondre ou tu ne veux pas me répondre ?"

Elle avait l'impression de le contrarier mais elle n'en avait rien à faire. Si c'était une question de temps elle pouvait très bien marcher elle aussi.

"Non c'est bon, continue à avancer ! De toute évidence monsieur a des choses plus intéressantes à faire !"

Et au fond ce n'était pas ce qu'elle lui reprochait d'avoir des affaires à régler. Elle voulait seulement qu'il comprenne sa demande et ce qu'il lui refusait. Dans le repaire d'Aedelrik elle avait eu le sentiment qu'une porte sur son passé s'ouvrait et voilà qu'il la lui claquait à la figure.

"Tout ce que je te demande c'est de me parler de ton pays ! C'est si compliqué ? Je veux savoir d'où je viens ! Où mes parents ont grandi, où j'aurais pu grandir..."

Elle ne préférait pas rentrer dans les détails de ses relations compliquées avec ces derniers. Ni du drame qui les avaient secoués. Mais l'essentiel c'était qu'elle était loin d'avoir pu leur soutirer beaucoup d'informations et qu'elle n'avait pas l'intention de les revoir pour réessayer.

"Je n'ai eu droit qu'à des bribes de souvenirs de leur part... J'ai beau essayer de recoller les morceaux, j'ai l'impression de ne rien savoir..."

Elle n'aurait pas exactement pu formuler ce qui la travaillait autant à ce propos. Après tout son quotidien n'en serait pas transformé et elle s'était bien débrouillée jusque là. Pourtant elle était consumée par une curiosité difficile à réprimer. Peut-être qu'un peu inconsciemment elle sentait que ces informations lui permettraient de mieux comprendre son enfance.

"Mets-toi à ma place ! Si tu n'avais vécu qu'ici, est-ce qu'il ne te manquerait pas quelque chose ?"

Sans doute n'était-elle pas la plus douée pour demander des services. En tout cas pas avec cet homme qui la mettait hors d'elle. Et pourtant sa requête lui tenait à cœur.

"Pas forcément immédiatement... J'aimerais juste savoir que tu m'en parleras..."


Sakristi


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L’Apothicaire observait la scène comme si elle y était totalement externe. Elle se rendit compte de l’importance qu’elle accordait aux moindres faits et gestes de son compagnon de voyage, tant elle guettait ses réactions pour savoir quoi faire. Bien sûr, elle adorait le contrarier, mais comme il l’avait souligné, ils poursuivaient un même objectif. Elle voulut rétorquer lorsqu’il lui attrapa le bras, peu désireuse de laisser encore un homme croire qu’il avait un droit de contact sur elle juste parce qu’elle était une femme. Mais lorsque sa main libre se posa sur le bras du roux pour l’écarter, elle s’arrêta net, laissant juste sa main posée là. « Je n’oublie rien. » le rassura-t-elle, un peu sur le même ton que lui.

Troublée, elle détailla la mine fermée de Revêche. Pas assez longtemps pour que cela soit vraiment remarquable, mais elle put y voir ce qui l’avait tant interpelée. Des salauds, elle en avait croisé, et encore plus depuis qu’elle passait du temps au bordel d’Izzie. Mais l’aura de l’être qui avait croisé la sienne n’était pas du tout semblable à celle de ces hommes. Au contraire, ses sensations la renvoyèrent à des instants éloignés et très secrets où elle était seule, où elle était elle. Le vent de la forêt sembla caresser son visage -du moins en sensation – et une odeur de terre humide et de chaleur animale. Cet homme, aussi étrange qu’il fut n’était finalement qu’un être resté brut, telle que la Mère les avait créés, et Sakristi fut réellement reconnaissante d’avoir pu toucher ce sentiment du doigt.

Il la lâcha cependant, et elle revint à la réalité. Les deux autres étaient visiblement en train de se disputer : elle désirant venir avec eux, et lui refusant catégoriquement. « C’est que nous ne partons pas pour une promenade de santé. » appuya-t-elle. Le regard froid du guerrier se posa brutalement sur elle, et elle ne sut dire si c’était de l’indignation, ou la surprise de la voir aller dans son sens. Elle le suivit donc avec conviction, mais avec un léger pincement au cœur à l’idée de ne plus revoir cette femme qui lui semblait fort sympathique, en plus d’être plus intéressante que les greluches habituelles. Sans que cela ne l’apitoie réellement, elle était également un peu triste pour elle, car elle n’aurait pas ces fameuses réponses après lesquelles elle semblait courir.

A mi-mot, et un peu entre ses dents, elle fit remarquer à son compagnon : « Plus elle sera frustrée de ta conduite et plus elle insistera, tu sais ? » Il la gratifia d’un autre de ses regards indéchiffrables, avant de lui faire signe de ralentir. Elle commençait d’ailleurs à haleter – plus à cause de l’incertitude liée à la situation qu’à la cadence –  et ne s’en rendit compte qu’en prenant le temps de souffler. « Je peux patienter. » lui souffla-t-il enfin. Elle comprit qu’il lui demandait de se débrouiller pour calmer la jeune femme. « Ne sois pas trop longue. » précisa-t-il, comme pour ne pas être trop aimable. Mais cela fit sourire la sorcière. « Je ferai vite. » lui rétorqua-t-elle avec la désinvolture d’une enfant qui parlerait à ses parents un peu trop pesants.

Elle le laissa donc continuer, tandis que la rouquine arrivait à sa hauteur. Elle pesta contre Revêche et Sakristi ne put que hocher la tête pour signifier qu’elle partageait son opinion. La Chasseresse la questionna ensuite sur leur destination, et la dangerosité de leur entreprise. « Pour être honnête, c’est surtout parce que des ennuis s’annoncent que j’ai accepté de le suivre. » Et aussi parce qu’elle s’accrochait désespérément à l’espoir de trouver enfin quelqu’un comme elle. Mais ça, l’autre n’était pas obligée de le savoir. « Eh mais il ne t’attend même pas ? Je croyais que tu devais l’attendre ! » s’écria-t-elle soudain. Sakristi la retint par la main, comme elle l’avait fait plus tôt avec elle. « Non, ce n’est pas ce que tu c… » Mais la jeune femme était déjà en pleine bataille verbale contre son compatriote – d’après ce que Sakristi avait compris. Il ne manqua pas de lui faire comprendre, sans aucun mot, comme à son habitude, qu’il espérait un peu mieux de sa performance pour la calmer et la retenir.

D’une certaine façon, l’apothicaire comprenait la fougue de la Chasseresse. Cette expression dans ses grands yeux lui évoquait celle qu’elle surprenait autrefois dans ceux de sa mère, qui elle aussi avait souffert de ne pas connaître une partie de sa famille, de son histoire. Furet avait tout fait pour détruire ses racines, mais d’autres couraient après les leurs, et parfois en vain, pendant toute leur existence. Elle ignorait toutefois si ce Lanre avait les capacités pour entendre cela. Elle le devança avant qu’il ne puisse répondre quoi que ce soit. « Ce que tu demandes est tout à fait légitime. » Elle prouva à l’étranger qu’elle maîtrisait elle aussi le regard dur et accusateur. « Quoiqu’on puisse en dire. » Elle fit mine de regarder les vêtements de leur interlocutrice, en effleurant la matière du bout des doigts, pour paraître naturelle, alors qu’un petit groupe de personnes passait à leur hauteur. « Mais comme l’a dit… » Elle ne savait pas comment l’appeler. « …notre ami si souriant, nous avons beaucoup à faire. Je pense que tu aimerais prendre ton temps pour ces choses-là, non ? » tenta-t-elle alors, espérant ne pas attiser encore plus sa curiosité. Elle-même était d’ailleurs devenue bien curieuse face à cette culture qu’ils avaient évoquée – ou qu’ils n’avaient pas évoquée assez, justement – et qui était très certainement liée à l’étrange sentiment qu’elle avait eue en sentant son acolyte.

Pourtant, quoi que puisse en penser l’autre, s’ils allaient vraiment où il avait dit qu’ils iraient, une paire de bras combattants supplémentaires ne seraient sans doute pas du luxe. Qu’en pensait-il, à ce stade de la discussion, et au-delà d’un agacement palpable ?


Lanre


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Les cieux pleuraient avec insistance et acharnement. Au loin roulaient d’épais nuages noirs, descendant lentement sur les collines nues qui marquaient la fin du domaine de la Bastide — ce monstre au ventre de pierre et de grès auquel il espérait s’arracher. Plus que jamais, il aspirait à retrouver Blanche ; à la serrer une fois de plus contre son torse. Un soupir silencieux perça ses lèvres gercées par le froid, tandis qu’il remontait un peu plus la fourrure de sa capuche sur son front. Elle lui manquait bien davantage qu’il n’aurait su l'exprimer. Il n’avait de toute façon personne à qui le dire.

A quelques coudées, encore, Furet discutait avec la Chasseresse. Reniflant de contrariété, conscient qu’il ne pouvait désormais qu’attendre sa partenaire d’infortune, At’Hu jaugea d’un œil distrait le grand-arbre contre lequel il s’était appuyé. Les marques sur son écorce disaient son âge et l’Etranger se prit à s’interroger l’espace d’un instant : l’esprit qui l’animait avait-il vu les gens de la Sène construire la Forteresse qui se dressait sous leurs yeux ? Les murs de la Ville-Close étaient hauts, et pourtant il n’aurait su imaginer qu’ils puissent survivre à leurs constructeurs.

L’idée l’aurait sans doute effrayé.

Suivant l’ondée, pliée par les flots du vent, son regard avait lentement glissé jusqu’à épouser l’horizon et les forêts qui l'habillait. C’est là qu’il souhaitait retourner, ce monde qu’il voulait retrouver. Plus vite passait le temps et moins il comprenait l’affection que nourrissait Aedelrik pour la Cité. Le Renard y avait fait son terrier, mais lui y manquait de tout. Il appréhendait chacun des passages qu’il lui faudrait encore y faire.

L’esprit occupé par des questions auxquelles il n’avait pas la réponse, il ne les vit pas approcher.

D’une voix fâchée, la braconnière siffla son agacement. Quand elle lui reprocha de ne pas avoir attendu l’Apothicaire, sa langue claqua sèchement contre son palais tandis qu’il dardait sur elle de sévères lucarnes vert-de-gris  : que faisait-il, sinon patienter ? Il ne s’était pas soustrait à leur compagnie — ou si peu. A l’évidence, l’expression de son mécontentement ne suffit cependant pas à arrêter la chasseuse. Elle jura furieusement, avant de reprendre. Lui s’était fait de glace. Son visage s’était fermé, ses austères mâchoires aussi. En silence, comme la première fois, il la laissa cracher sa hargne. De toute évidence, elle avait compris qu’il ne souhaitait pas lui consacrer de son temps et pourtant elle insistait.

Derrière le masque de givre qu’il affichait, il écoutait. Bientôt, Furet appuya la plainte de Keith Lyne, comme pour lui donner plus de force, davantage de poids. Les joues mangées d’une barbe sans cesse plus drue, il grinça des dents. Toute la froideur de l’hiver brillait au fond des yeux qu’il posa, un temps, sur la sorcière. Pourtant, il ne dit rien. Pas avant qu’elles n’aient fini. Le récit de l’étrangère en aurait peut-être touché certains, mais il resta de marbre quand elle évoqua ses parents. Il n’existait pas de mot, dans sa langue, pour définir la réalité qu’elle tâchait d’expliquer. Qu’il n’aurait peut-être pas comprise de toute façon.

"Je n’ai rien pour toi", tonna-t-il enfin, alors que les deux femmes s’étaient tus. Il n’avait pas poussé la voix, mais s’était assuré qu’il serait entendu, malgré l’averse et les rigoles qui couraient le long du lourd manteau de brume dont se couvraient les landes de la princesse Zelda. L’espace d’une seconde, il crut qu’il allait poursuivre. Mais tandis qu’il hésitait, les mots qui brûlaient presque sa langue eurent tôt fait de mourir dans sa gorge. Il ne lui devait pas d’explication et certains secrets avaient sans doute vocation à mourir avec lui.

"Tu as terminé ?", questionna-t-il Furet, se détournant ouvertement de la Chasseresse. Ignorant certains des doutes qui tâchaient de l'assaillir - lui aussi regrettait les montagnes, les vallons, les bois, les côtes et les Hautes-Terres qu’il lui avait fallu abandonner -, il marqua un arrêt. « Si c’est le cas, reprit-il non moins durement, d’un ton spartiate, nous partons. »

Une seconde fois, il laissa le silence parler pour lui. Le Ke'ēlt leva les yeux au ciel. Il ne craignait pas, ce jour, la froide emprise du Seigneur-Frimas mais bien la puissante colère de l’Oiseau-Orage. La route serait longue et il n’avait aucune envie de devoir se murer un jour de plus, même pour se protéger de la rage d’un Esprit. Son regard, empreint d’impatience autant que de bruine, revint sur sa compagne de voyage. A côté d’eux, la Chasseresse préparait son départ.

Pour la deuxième fois dans la même journée, l’Ours tint sa langue. La réaction de la vieille femme l’avait dérangé et il entendait le lui faire savoir — quand bien même elle s’en doutait sans doute déjà. Il n’avait jamais cherché à cacher ses émotions. Pour autant, il y avait bien plus urgent que sa frustration et il n’avait aucune intention de se laisser ralentir par si peu. Ils avaient déjà perdu suffisamment de temps. Le temps viendrait, si la situation l’exigeait encore, de s’expliquer avec la marâtre.

Mettant fin à leur échange muet, il reprit la marche vers l’Ouest. D’un geste sans bruit, il réajusta la lanière de cuir qui mordait doucement son échine.


Keith Lyne


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Le sang de Keith se mit à bouillir alors que l'homme balayait une fois encore sa demande sans avoir l'air d'y apporter la moindre considération. Au fond d'elle, elle savait qu'elle s'y prenait mal, que lui crier dessus ne lui donnerait pas plus envie de l'aider. Malheureusement, la jeune femme n'était pas de celles qui savaient tenir leur langue, et encore moins de celles qui savaient jouer la comédie pour convaincre par la douceur et la flatterie. Même la pluie ne pouvait pas calmer le feu qu'il avait allumé, et avant qu'elle n'ait le temps de vraiment y réfléchir, les mots étaient sortis de sa bouche sur un ton agressif.

"D'rall !" Ses yeux lançaient des éclairs alors que par fierté, elle énonçait le contraire de ce qu'elle souhaitait. "Très bien, tu n'as qu'à emporter tes secrets dans la tombe !"

La colère et la déception l'empêchaient de peser clairement ses paroles. Le jour où elle avait récupéré son arc, elle avait aussi eu l'impression de toucher des doigts un trésor longtemps convoité. Pourtant, celui qui en détenait la clef n'avait de toute évidence aucune intention de la lui donner, alors même qu'elle ne voyait pas ce que ça lui coûterait. Elle aurait pu insister, supplier, mais elle devinait que ce serait inutile en plus d'être contraire à ses habitudes, elle s'était déjà bien trop livrée à son goût. De toute façon, Lanre s'était déjà détourné d'elle, pressé de reprendre où il en était resté avec sa compagne de voyage. Elle ne put s'empêcher de l'invectiver une dernière fois avant de partir.

"Ours bourru, têtu, égoïste ! Je ne comprends décidément pas ce qu'Aedelrik te trouve !"

Ses silences et son indifférence avaient le don de l'énerver. La chasseresse frappa du pied sur le sol déjà boueux et tourna les talons, serrant les poings. Elle s'arrêta toutefois sur place après quelques pas, et il lui fallut quelques secondes pour se maîtriser et se tourner à nouveau vers les voyageurs. Son ton restait un peu sec, elle ne pouvait rien y faire tant que sa fureur n'était pas apaisée, mais ses paroles s'étaient adoucies. Elle avait légèrement haussé la voix, mais c'était seulement pour être entendue si les deux compères s'étaient déjà remis en route et quelque peu éloignés d'elle.

"Quant à toi Furet, si nos chemins se croisent à nouveau, je serais ravie de faire plus ample connaissance."

Elle avait senti la volonté de la vielle femme d'intervenir en sa faveur et, même si ça n'avait pas été une réussite, elle en était touchée. Elle ignorait ce qui liait ces deux-là, mais elle s'en voulait de lui avoir offert ce spectacle navrant et se doutait qu'elle l'avait mise dans une position compliquée.

La louve se remit alors en route dans la direction opposée à eux. Elle n'avait plus qu'à trouver en ville un moyen de calmer ses nerfs.


Sakristi


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Ne s’étant reposée que le strict minimum après ses précédentes mésaventures dans le Désert et à travers le monde, Sakristi sentait bien que ses ressources n’étaient pas aussi complètes qu’à l’habituelle. Ainsi, si son corps semblait plutôt bien remis, sa patience, elle, déjà très limitée, avait pris son temps pour se remplir à nouveau, et cela se faisait nettement ressentir à travers cette situation qui ne durait que trop.

Alors qu’ils s’échangeaient de nouvelles impolitesses, qu’elle espérait être les dernières, elle avait repris sans s’en rendre compte une attitude de la mère qu’elle avait été, à fermer les yeux et se pincer le haut du nez. Un nom fut évoqué, et éveilla quelque-chose en elle sans qu’elle ne le reconnaisse réellement. Qui était donc cet Aedelrik sorti de nulle part ? Encore un chasseur-barbare venu d’elle ne savait quelle contrée ? Lorsqu’elle rouvrit les paupières, et croisa le regard de son compagnon par-dessus sa main, elle comprit que ses prières muettes avaient néanmoins été entendues.

« Tu as terminé ? » la questionna-t-il durement. Elle ne fut pas piquée au vif, loin de là. Elle était même plutôt soulagée qu’ils partagent la même motivation à déguerpir. « Si c’est le cas, nous partons. » Elle hocha la tête, et commença à marcher dans sa direction, s’attendant à le voir partir juste avant elle, ce qu’il fit.

La voix de la jeune femme leur parvint derrière eux. « Quant à toi Furet, si nos chemins se croisent à nouveau, je serais ravie de faire plus ample connaissance. » Elle se contenta de la saluer de la main en esquissant un sourire peu convaincant. Elle aussi était devenue curieuse quant aux origines de ces deux drôles de personnages et savait que l’échange serait sans doute plus fertile avec la femme qu’avec Revêche.

Ils marchèrent en silence pendant plusieurs longues minutes. Le pas de l’Ours était rapide, mais suffisamment mesuré pour qu’elle puisse le suivre sans trop se fatiguer, son bâton lui faisant davantage office d’accessoire que d’un réel outil de marche. Le silence n’était pas vraiment pesant, même si Revêche n’avait pas caché sa contrariété. Elle le rompit cependant, plus pour sa conscience à elle que pour son bien-être à lui. « Tu attendais autre-chose de moi. » Elle ne savait pas vraiment si les excuses faisaient partie des coutumes qu’il avait ramenées avec lui, et de toute façon, sa fierté mal placée n’était jamais vraiment loin. Elle ajouta donc simplement : « Je ferai mieux à l’avenir. » en guise de promesse.

Elle ne se ferait pas un ami de ce nouveau compagnon de route, et s’était faite à cette idée. Ils n’en avaient pas besoin. La confiance, en revanche, serait était un luxe dont elle ne voulait surtout pas se priver, surtout au vu de ce qui les attendait. Aussi ferait-elle en sorte de ne pas plus la briser avec ses petits jeux malicieux. Elle avait testé Revêche au début de leur périple et avait à peu près cerné son fonctionnement. A présent qu’elle avait plus de cartes en main pour poursuivre, elle ne se mettrait plus entre eux et leur objectif : la femme aux cheveux qui brillaient comme la lune.

« Tu crois qu’elle sait ? » lui demanda-t-elle, ne sachant pas si elle obtiendrait ou non une réponse. « Je ne suis pas pressée de voir ce qu’elle a prévu si elle s’attend à nous voir arriver. » ajouta-t-elle, pour justifier ses interrogations. Même si en réalité, si elle n’avait pas risqué d’en faire directement les frais, elle aurait jubilé de voir l’étendue des capacités – bien différentes des siennes – de cette fameuse sorcière.


Lanre


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Le feu crépitait doucement quand il finit par s’asseoir. Dans son dos, un manteau de nuées bigarades s’était fait le théâtre d’un récit quotidien ; cycle perpétuel et d’apparence immuable. Chaque soir agonisait l’astre du jour, laissant alors la lune danser sur son cadavre jusqu’au matin. A l’aube, pourtant, il finissait toujours par se relever — si bien que d’aucuns, chez lui, attendaient avec appréhension l’heure où ce ne serait plus le cas. De nombreux anciens en avaient d’ailleurs conté l’histoire, non sans effroi et dramaturgie. Sans doute n’était-il pas illogique d’avoir peur de la Nuit. De celle qui jamais ne cesse ; qui brasse la fin de tout dans son sillage.
Ce n’était plus quelque chose dont il avait le temps de se soucier.

Si inéluctables lui semblaient ces prophéties qu’il avait entendues depuis l’enfance, il avait appris à ne plus les craindre. Il avait beau ne pas y réfléchir, le Kē'elt était conscient que viendrait un jour son trépas. Il n’était pas plus éternel que la course du soleil où que l'effrénée gigue du Seigneur des Sorgues, qui ne tarderait d'ailleurs à débuter. Mais il avait plus urgent à penser qu'un aboutissement abstrait - pourtant ô combien réel - auquel il ne pourrait de toute façon rien changer. D'un bref regard, il contempla quelques-uns des derniers rayons qui caresseraient la canopée ce soir-là, avant de se défaire de la bandoulière qui tirait sur son épaule depuis des heures dorénavant.

Il se sépara aussi de l'épais tronçon de Bois-de-Fer qu'il s'était refusé à quitter jusqu'à présent ; ignorant alors la sorcière qui vaquait à ses occupations.  Il avait choisi, pour le bivouac, un endroit en lisière des sous-bois et à proximité d'un ruisselet d'eau claire qui se jetait sans doute dans un véritable bras de rivière, en aval du bosquet. Au sol, il avait disposé un cercle de pierre pour encadrer les langues de safran qui crachaient déjà de faibles volutes d'une fumée blanche. L'averse survenue plus tôt dans la journée avait percée la frondaison et inondé toute la futaie, allant jusqu'à en gonfler les ramures. A l’évidence, elle avait dérangé certaines orfraies, puisque l’une d’entre elle passa discrètement au-dessus de leur escale.

Au moins n’était-ce pas un griffon, pensa-t-il sans un mot.

L’Ours se souvenait encore bien de son dernier périple en direction du désert Gerudo. Il y avait accompagné la Lionne Abandonnée après avoir fui les geôles du palais de Zelda, en quête d’un artefact étrange dont il n’aurait su résumer l’utilité : il s’agissait d’un volume de cuir reliant diverses lamelles de vélin ; elles-mêmes habillées de symboles avait expliqué Swann. Il avait surtout gardé en mémoire le trajet et l’immensité de la mer de sable qui s’était ensuite dévoilée à eux. Aujourd’hui, il n’avait aucune envie de s’éloigner à ce point des forêts. D’autant plus qu’il était persuadé que la Macrale ne se cachait pas si loin : sans quoi, elle n’aurait pu les aider au Castel.

Reniflant sans bruit, il tira la dague de Blanche de sa ceinture et récupéra un petit torc qu’il avait commencé à sculpter des mois auparavant. La pièce, qu’il ne travaillait pas régulièrement, prenait forme peu à peu. Deux corbeaux de corne – encore assez grossiers – s’observaient d’un œil morne, reliés par une longue tige de bois courbe, déchirées d’entrelacs imitant les plumages entremêlés des deux animaux. Il espérait pouvoir en faire don à Nyttę̄́ quand il la reverrait.

Quand Furet vint s’asseoir à son tour, l’Etranger n’avait toujours pas monté de tentes et n’avait aucune intention de le faire. La pluie avait cessé, les cieux n’étaient pas obscurcis de brouillard. Il avait remarqué combien les Hyliens étaient attachés à leurs bannes, dès lors qu’ils quittaient la sécurité et le confort de leurs abris de pierre. En cela, ils n’étaient pas si différents de ceux qui habitaient au sud du Mur.

Peu désireux de poursuivre son ouvrage maintenant qu’il n’était plus seul, le malandrin rangea le petit bijou dans sa sacoche.

De quoi auras-tu besoin ?”, questionna-t-il alors l’Apothicaire, non sans récupérer un peu de viande fumée qu’il avait fait cuir en prévision du voyage. Sans accorder un regard à la femme qui l’accompagnait – et à qui il adressait la parole de nouveau pour la première fois en plusieurs heures – , il lui jeta un peu de ce qui composerait son propre repas. « Une fois que nous aurons trouvé sa cachette, que faudra-t-il chercher ? », précisa-t-il ensuite, non sans effort. Il n’avait aucune envie d’échanger – la rencontre avec la chasseresse l’avait sans doute plus marqué qu’il n’aurait aimé l’admettre – mais il lui faudrait bien en apprendre plus s’il espérait revoir un jour son amie.

Peut-être Furet cherchait-elle ses mots, mais l’espace de quelques secondes au moins, le silence retomba sur leur camp. C’est à ce moment-là que le traqueur se décida à s'occuper de nouveau du lièvre qu’il avait abattu quelques instants seulement avant de monter le campement. Montant la chair de l’animal sur une broche, il l’installa ensuite au-dessus des flammes. Et d’interroger encore sa compagne de route, toujours plus avide de détail mais trop méfiant pour dire le fond de sa pensée : « Que feras-tu quand nous y serons ? »


Sakristi


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Les deux voyageurs avaient avancé sans échanger le moindre mot  à travers la Plaine et les sous-bois. Si à aucun moment cela ne lui avait paru difficile, Furet avait vraiment commencé à apprécier le silence lorsqu’ils étaient passés sous les premiers arbres. Au début, ceux-ci étaient plutôt clairsemés. Puis ils avaient continué à avancer, et désormais leur ciel n’était plus qu’une épaisse constellation de divers feuillages, dont le bruissement semblait lui chuchoter qu’elle était la bienvenue à la maison.

Revêche portait toujours aussi bien son sobriquet, à en juger par ses traits aussi fermés que ses fines lèvres. L’histoire avec la chasseresse avait donné un grand coup de pied dans sa patience déjà visiblement bancale. Ce qu’elle ignorait en revanche à cet instant, c’était si cette attitude était constante chez lui, ou bien si elle était alimentée par une rancune tenace.

Bientôt les interrogations de la Sorcière furent chassées par une averse aussi impromptue que revigorante. Sans s’arrêter, elle noua rapidement une tresse dans sa crinière indomptée, nouant le bout comme elle le put avec des mèches dépassant ça et là. Ainsi l’eau ne risquait pas de ruisseler dans ses yeux, car si l'apaisement l’avait enfin gagnée, elle n’ignorait pas non plus les dangers qui les guettaient à chaque instant. La pluie se calma, puis reprit, et ainsi de suite jusqu’au déclin du jour.

Son regard se posa sur un recoin à l’abri du vent, comme niché dans le tout petit bras d’une rivière. L’endroit lui plut aussitôt et elle ne fut pas mécontente de comprendre qu’ils dormiraient ici lorsque son compagnon s’arrêta sans cérémonie. Elle suivit son regard et alla s’affairer au pied des arbres les plus grands pour remuer le sol du bout de son pied. Elle lui rapporta ainsi aiguilles, feuilles et brindilles épargnées par l’humidité pour l’aider à démarrer le feu dont il avait fait son affaire. Elle ne dit rien mais fut plus que satisfaite de constater qu’il l’avait débuté légèrement à gauche du ruisseau. Les éléments étaient ainsi parfaitement agencés pour attirer la réussite dans leur quête.

Voyant que leur campement prenait forme, elle prit congé et tourna un moment autour de chez eux pour grappiller quelques plantes, baies et insectes, qu’elle fourra dans les différentes poches de sa besace. Quand elle se décida à revenir auprès du Roux, celui-ci était concentré sur une activité minutieuse, comme s’il taillait quelque-chose. Elle n’y prêta pas davantage attention et s’assit près de lui, ni trop loin, ni trop près, du moins à son goût à elle. Par un élan de pudeur, ou quelque émotion qui pourrait s’en rapprocher chez ce personnage, il rangea ce par quoi il était occupé. Elle ne le regarda pas plus, fascinée par le reflet des flammes sur la peau claire de ses propres mains.

Une délicieuse sensation se répandait dans ses jambes alors qu’elle était enfin assise après cette journée d’efforts. Elle ramassa délicatement une feuille à ses pieds, remplie d’eau de pluie à la manière d’un tout petit calice. Elle but sans un bruit, embrassa furtivement la feuille, et la reposa au sol pour venir nourrir à nouveau la terre dont elle venait.

Elle sursauta en entendant la voix de l’Étranger briser le silence. « De quoi auras-tu besoin ? » lui demanda-t-il. Elle le regarda en clignant des yeux, pas réellement certaine de savoir quoi lui répondre. « Une fois que nous aurons trouvé sa cachette, que faudra-t-il chercher ? » précisa-t-il, comme si chaque son lui brûlait les lèvres. Elle repensa alors à Amund, qui avait cette vilaine habitude de lui répondre par “Tu sais bien…” chaque fois qu’elle essayait de lui tirer les vers du nez.  Mais Amund appartenait à une ancienne vie dont elle n’avait plus l’énergie de se soucier, pas plus que du confort de son nouvel ami qui n’en était pas un.

Le regard de l’Apothicaire se perdit dans la contemplation des nuages qui s’étiolaient lentement pour dévoiler tout doucement une timide lune qui s’appliquait à faire son entrée devant l’humble spectatrice qu’elle était. « C’est difficile à dire tant que nous n’y sommes pas. » commença-t-elle, tout à fait conscience que ça n’était pas une réponse satisfaisante. “Un peu d’elle, un peu de moi, un peu de toi aussi.” récita-t-elle. « Quelque-chose de précieux. Ou Quelqu’un. Si nous avons de la chance, des cheveux ou du sang. » L’évocation du fluide vital arriva à point nommé alors que le Chasseur réglait son compte à un lièvre trouvé entre-temps. Elle décida de l’imiter en broyant ses dernières trouvailles dans un coquillage également ramassé sur place, à l’aide d’une branche au bout légèrement aplati. « Ce sont des choses qui se ressentent mieux qu’elles ne s’expliquent. Si quelqu’un peut comprendre ça, je pense que c’est bien toi. » se justifia-t-elle.

L’odeur de la viande grillée vint alors chatouiller ses narines alors qu’elle finissait, de son côté, sa mixture d’insectes et de plantes. « Que feras-tu quand nous y serons ? » creusa-t-il alors. Elle se mit presque à regretter son mutisme antérieur. Elle se pencha pour poser le coquillage près des flammes, calé entre deux pierres qui le protègeraient, mais lui permettraient de chauffer doucement. « Ce que j’ai à faire, Revêche. » répondit-elle alors tout doucement. Elle lui avait promis ne pas en vouloir à la vie de la Sorcière aux cheveux blanc, et ne vit pas l’utilité de le répéter. “La dernière fois que j’ai rencontré celle que nous cherchons, les circonstances n’étaient pas à la discussion.” narra-t-elle, la voix chargée de regrets. « Depuis, les questions que je voudrais lui poser m’empêchent de dormir. » Elle posa ses mains derrière elle et s’appuya dessus de manière à cambrer son dos pour l’étirer. Sa nuque craqua légèrement. « Tu pourras lui poser tes questions aussi pour retrouver ce que toi tu as perdu. » concéda-t-elle, surtout curieuse de voir sa camarade à l’ouvrage. « En ce qui me concerne, j’espère que je pourrai enfin dormir sans mes questions. » Et au moins ne seraient-ils plus obligés de voyager ensemble, même si pour l’instant elle s’en accommodait fort bien.

Elle soupira silencieusement. Elle n’était pas vraiment triste, mais pas vraiment heureuse non plus. Elle se sentait comme à chaque rencontre avec les animaux sauvages qu’elle aimait tant : à rendre grâce pour ces moments partagés, mais le cœur lourd de devoir retourner auprès des Humains dans lesquels elle ne se retrouvait que de moins en moins. Sans s’en rendre compte, elle laissa sa main se promener sur son ventre, chargé puis déchargé de ses obligations passées de Femme de ce monde. Si Lui n’était pas le mieux léché des ours, il ne se questionnait en rien sur ses capacités de Femme de ces Bois. Et cette confiance - ou cette désinvolture ? Mais qui s’en souciait ? - était salutaire. « Merci. » murmura-t-elle simplement, comme une prière adressée tant à son acolyte qu’aux entités qui veillaient sur eux depuis des Royaumes transcendant leurs consciences.


Lanre


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Elles déchirent les cieux, loin au-delà du manteau de Canopée qui surplombe le petit camp à proximité de la rivière. Leur lumière blanche perce parfois à travers les feuilles alourdies par la pluie, avant de disparaître sans bruit, avalée par la lueur fauve du feu. Il projette sur l'écorce, les pelisses et les chairs, un éclat orangé ; avide, presque. Ses langues impatientes lèchent goulument la carcasse d'un lièvre, dépecé et embroché sur un piquet de bois, sans jamais se soucier des angoisses qu'exprime une sorcière en rupture avec le monde des Hommes ; des préoccupations d'un paria que l'on a contraint d'abandonner le sien.

Loin, par-delà le murmure des frondaisons, la Gardienne veille. Đirona observe. Elle voit le trait du Rouge-Gorge percer la fourrure de Mère Ourse et le sang teinter le ramage des bois. Bientôt, les feuilles tomberont de nouveau ; comme à chaque fois s'effondre la grande-dormeuse.

Les lèvres de Furet se scindent une dernière fois, pour dire sa gratitude dans un chuchotement. Sous les doigts du veneur, la branche au bout de laquelle grille encore le repas cesse de rouler. Il plante, sur la Völva, un regard vert-de-gris perplexe, mais ne brise pas le silence qui retombe peu à peu. L'Ours est loin de comprendre ce que souffre sa camarade d'infortune et ne saisit donc pas ce qui peut la rendre si reconnaissante : il n'a pas eu à côtoyer le même univers qu'elle — pas aussi longtemps et pas de la même façon, en tout cas. Contrairement à la Macrale, il n'a jamais eu à prouver la réalité de sa nature profonde et il ne lui viendrait pas à l'esprit de questionner la sienne. Bientôt, le crépitement des flammes et le fumet qui monte vers les ramures récupèrent son attention. Il pousse un soupir discret, pressé de manger pour mieux pouvoir reprendre la route ensuite. L'Apatride sait bien qu'ils ne repartiront pas immédiatement, mais c'est à peine s'il tient en place.

Chaque minute passée à atteindre la fin de la nuit lui paraît si longue qu'elle pourrait être une heure. S'il était seul, il se refuserait sans doute à gâcher un temps si précieux mais le voilà de nouveau forcé de faire équipe pour arriver à ses fins. Les mâchoires fermées et les dents grinçantes, il peste en silence contre sa propre impuissance. Un juron malsain meurt au fond de sa gorge, bien avant de passer ses lèvres gercées, tandis que ses yeux fatigués remontent lentement vers des nues que l'on distingue à peine à travers la sylve hylienne. Petit à petit, le ciel se pique d'étoiles et de constellations dans lesquelles il devine plus qu'il ne voit un passé auquel il cherche aujourd'hui à échapper.

"Tiens", fait-il en récupérant le lièvre chaud, qu'il sépare ensuite en deux d'un bref coup du coutelas que lui avait offert Blanche jadis. Sans plus d'avertissement, il envoie sa moitié à Rougeagresse. Il a vu la sorcière préparer sa propre mixture – un bouillon froid, à l'évidence, préparé à base de plantes et d'insectes – et si elle ne veut pas de son offre, il n'hésitera pas à reprendre son dû. En attendant, il a besoin d'elle au sommet de sa forme et une moitié de lapin lui apparaît être un compromis plus qu'avantageux en la matière.

D'un coup de dent, après s'être reculé contre l'un des arbres jouxtant le bivouac, Lanre entame sa part. Tandis que la viande chaude mort sa langue comme les braises, il tâche d'ignorer les images et les voix que conjurent des souvenirs sans cesses repoussés.

Il a bien trop perdu pour vouloir revisiter cet héritage.

Il a bien trop à perdre pour s'autoriser une telle distraction.

Sans un mot, l'arrière du dos reposant contre l'écorce, le Kē'elt se force à penser au chemin qu'il leur reste à parcourir. Il ne sait guère où trouver Songe – c'est tout le problème ! – mais son voyage avec Swann s'est avéré plus qu'utile pour en apprendre un tant soit peu sur les Dragmires qui assaillent le Royaume de Zelda. La Lionne n'en savait malheureusement pas assez sur les Sœurs Koutake pour le renseigner à leur sujet ou alors a-t-elle estimé qu'il n'était pas nécessaire de l'informer pour le moment. Loin de savoir ce qui l'attendait alors, il n'a pas pensé à la questionner et le regrette aujourd'hui. La H'ūdkona constitue donc sa meilleure piste s'il espère encore les trouver. Elle a été leur disciple, croit-il savoir, et c'est au désert qu'elle a étudié sous leur tutelle. La route a parcourir apparaît encore si longue.

Ils auraient du voler des chevaux, pense-t-il en laissant son regard suivre les courbes du lacis dessiné par les flammes. Peut-être en auront-ils encore l'occasion.

"Je vais monter la garde, Macrale", fait-il après un instant, quand la sorcière semble avoir fini son repas. Et lui de poursuivre, presque comme un ordre : « Repose-toi. »

La pulpe de ses doigts caresse affectueusement la fusée d'ivoire du poignard de Nyttę̄́. Les gravures qui habillent encore la hanse apparaissent de moins en moins marquée avec les âges, observe-t-il en silence, mais il préfère ne pas s'attarder sur les affres du temps qui efface les souvenirs. Il la retrouvera. Et il la ramènera.


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