Posté le 14/04/2012 20:51
Fredonnant quelque air qu'il connaissait, l'Hylien pénétra dans la Grand-Salle. Il s'accrochait à cette petite mélodie, qu'il tenait de la fermière. Si jamais Malon ne lui avait appris, et si elle même ne savait pas qu'il n'était pas étranger à ce chant, il était suffisamment attentif (et tout particulièrement à elle..!) pour avoir retenu la mélopée. Les paroles lui restaient inconnues, globalement, mais il en avait saisi l'esprit. Quelque chanson triste qui, il semblait, convenait parfaitement à la situation. Et c'était tout naturellement qu'elle avait envahi son esprit, avant de venir à sa langue. Sa voix restait timide, et la ballade de faible intensité. Sans doute avait-il besoin d'extérioriser toute son inquiétude, toute cette pression. Sans doute.
Il s'avança, parmi les vestiges et les décombres de l'antichambre. Partout des cadavres jonchaient le sol. Souvent, deux cadavres s'empilaient l'un sur l'autre. L'assaillant et l'assailli, tombé ensemble, tout deux épuisés par cette gigue mortelle. D'autres fois, c'était un véritable puzzle sanglant. Comme si la main d'un géant, encore infantile, s'était amusé à broyer, trancher, éclater tous ces hommes et toutes ces armures. Dans le ventre béant d'untel, l'on retrouvait sans doute le bras coupé d'un tel autre. Décor macabre. Qu'attendre de plus de la part de Ganondorf ? Et même en s'y attendant, le blond ne pouvait qu'être pris par les tripes. Cette rage de tout à l'heure, partiellement endormie par le chant de la rouquine, et réveillée par cette scène morbide.
Le Hall était désormais vide. Il était seul vivant dans ces lieux. Les deux lourds battants ouverts suggéraient que les vainqueurs avaient pu entrer. Mais l'obscurité qui masquait tout ce qui se cachait derrière la porte était la même que celle qui avait avalé le Croisé, sur le parvis.
Sans qu'il ne sache véritablement pourquoi, ou même qu'il puisse s'y préparer, il fut pris d'un instant de faiblesse. L'acier claqua contre le sol, tandis qu'il lâchait son arme. Le Champion de Farore se plia en deux et régurgita tout ce qu'il avait pu avaler depuis la veille. Loin de se contenter de cracher de la nourriture absorbée, il mêla quelque peu de son sang. Envers et contre tout, il courba les genoux. Une main au sol, fermée, l'autre lui tenant le ventre, il ne parvenait simplement pas à se relever. Qui du poison ou du spectacle lui retournait le plus l'estomac ? Harassé comme l'avait laissé ce seul et unique combat qu'il avait eu à donner, il était considérablement affaibli. Des spectacles ainsi, ce n'était pas le premier qu'il voyait. Et pourtant, il se retrouvait à vomir comme s'il n'avait jamais côtoyé l'horreur de la guerre, la perversité de la mort, l'atrocité de la violence.
Triste spectacle que celui d'un Héros à quatre pattes, recrachant ses boyaux. Un chien, ou un héros ? Pouvait-on réellement le considérer comme tel ? Le Cid Gris n'avait-il pas raison, au moins en partie ? Il n'était pas un héros. Il était un homme. Un homme considérablement affaibli par le poison, un homme fragilisé par la fatigue. Un être défait par la honte, détruit par la culpabilité. On ne pouvait retirer à Esar la véracité de ses propos. Il avait envoyé tout ces hommes à la mort. Et s'il le savait très bien (comme ils le savaient eux-mêmes) en le faisant, il ne parvenait simplement pas à l'accepter. Peut-on appeler Héros, celui qui arrive après la bataille..?
Haletant, et presque vaincu, il resta ainsi un instant. La température était tombée d'au moins deux degrés, dès lors qu'il était entré, et ça ne l'empêchait pas de respirer les relents de la peur qu'avait pu éprouver ces enfants qui s'étaient jeté au combat. De sentir les effluves nauséabondes de la mort, et d'être pris à nouveau d'un haut le coeur. Sans s'inquiéter un instant de dignité, d'honneur ou de gloire, il cracha à nouveau. Instinctivement, sa main chercha la lame purificatrice. Cette épée qui l'avait choisie. Le contact de ses doigts et du fer sacré le rassura quelque peu, et il reprenait un semblant de constance. Malgré la culpabilité qui le forcer à plier le genoux, il devait avancer. Pour que tout ceux-là ne soient pas tombés pour rien. D'un geste timide, et fragile, il leva l'épée, pour mieux l'abaisser et s'en servir comme d'une béquille. En aucun cas il ne pourrait se relever seul.
Allez. Debout. La journée est loin d'être terminée. De longues heures le séparaient encore du coucher de soleil. Et de toute façon, la nuit ne marquait pas la fin de ce jour. Le jour ne s'arrêterait qu'une fois Dun, en sécurité. Avant, il lui fallait tenir. Et une fois ce jour passé, il pourrait s'octroyer le luxe d'être faible. Pas maintenant.
Le fer racla contre la pierre, l'espace de l'instant ou le « Garçon de la Forêt » (comme le désignait la fermière) la traîna contre le sol. Le temps de la relever définitivement. Et se faisant violence il avança à nouveau, s'essuyant tant bien que mal.
Il s'arrêta, devant les Ténèbres qui se mouvaient. Il lui semblait distinguer quelque sourire malsain, mais il mit ça sur le compte de la fatigue qui le tenaillait. Encore une fois, il fut pris d'un frisson presque indiscernable. Définitivement, il ne supportait pas cette matière opaque et obscur. Mais sans hésitation, ni regret, il imita le Cid.
Horrible sensation, que celle que d'être jeté au sein de cette chose indéfinissable. Une espèce de chaleur perverse, l'impression d'être mis à nu par une entité par trop curieuse. Faisant appel à tout ce qui lui restait de volonté, il résista, tant bien que mal – plutôt mal – à cet être intrusif et inquisiteur. L'Hylien serra les dents, pris de douleur, quand la chose s'inséra dans ses oreilles et ses narines. Il ne put retenir un cri, une fois celle-ci installé dans son crâne. Mais cette fois-ci, il ne plia pas le genoux. Au contraire. Ses doigts s'enroulèrent sur la garde de l'épée sainte, et il lutta. Aussi fort qu'il le pouvait. Tout tenace qu'était cet être de noirceur, le Héros finit lentement par avoir le dessus. Lentement, et pudiquement, cela dit. L'Esprit avait autant de ressource que de matière, et alors que les assauts continuaient, gagnant en puissance, Link avait l'impression que sa boite crânienne allait exploser. Soumise à une pression pire encore que celle-là qu'il connaissait quand elle se démodelait pour adopter une nouvelle forme. Les mutations dues aux masques étaient incroyablement plus agréable que ça. Jamais, il n'avait rencontré pareil chose.
Enfin, l'Intrus sembla se calmer, et se rire de lui. Comme si toute victoire était remportée sur l'espoir d'Hyrule tout entière. Mais avant que l'enfant sans fée puisse réagir, l'objet de sa douleur lui donna des directives. Ou plutôt que de réelles directives, il lui indiqua le chemin à suivre, non sans raillerie. Le blond ne saisissait pas le langage parlé, mais une forme d'instinct bestial le guidait mieux que des mots.
À nouveau, dans tant d'obscurité, il s'accrocha à cet air que Malon chantait souvent.
Et son image surgit comme un rayon. Lueur brisant les ténèbres. Toujours agressé de toute part, le Porteur du Courage se ressaisît, nonobstant la faiblesse dont il devenait la proie. Ses bottes raisonnèrent contre le sol invisible, ses pas guidés par quelque lumière, il avança. À la bouche, un refrain nouveau.
Lentement, mais sans doute possible, l'Esprit pourri recula. Link continua sa route jusqu'à arriver de l'autre côté de cette brume maudite. Son premier pied dehors, et ce fut au tour de cet indiscret de hurler de toute ses forces. L'Hylien seul avait conscience de toute la souffrance qu'il provoquait chez les Ombres. C'est sans pitié qu'il les quitta, revigoré par leur action, fredonnant un air d'espoir, les yeux emplis d'une colère déterminée. Au fond de ses pupilles d'un bleu glacé dansait une valse violente. Ce regard de Héros.
Sans le savoir, les « filles » de Ganondorf avait eu un effet tout à fait opposé à leur volonté. Du mal peut découler le bien, et par le poison sont guéris les maladies les plus virulentes. Loin d'être frais et reposé, il n'en était pas moins gagné d'une énergie nouvelle que même le venin d'Esar ne saurait paralyser. Bien assis sur son trône, le Seigneur du Malin dégustait une coupe de vin, un sourire aux lèvres. L'Élu appuya (d'une façon plus instinctive que réfléchie) la pointe d'Excalibur, l'épée des Déesses contre le sol, tandis que sa propre main reposait sur le pommeau. Et en silence commença l'affrontement. Un duel qui s'ouvrait avant tout sur le regard.