Posté le 04/11/2012 13:05
L’effet escompté était réussi ; les poulets s’agitaient dans tous les sens, battant leurs petites ailes maigrichonnes comme si leur vie en dépendait. Hommes comme femmes, ils gigotaient tels des gigots en devenir, qui comprennent que leur vie bat de l’aile. Astre souriait, majestueux non pas par la qualité de ses vêtements, mais par la force de sa présence. Il était l’épervier qui fondait sur les rats. Son regard de souffre brûlait les autres, et la salle humide semblait s’être refroidie car le feu de ses yeux était de givre. Arkhams l’accompagnait, et le seul fait qu’il soit là à ses côtés, lui donnait du combustible à sa morgue ; il était le détonateur de sa vigueur.
"Que fais tu là?"
Elle était surprise de leur interruption, elle semblait même effrayée par ces deux fantômes porteurs de mort. Lenneth reprit contenance, car elle avait un pouvoir à assoir.
"Vous n’êtes pas invités Messires."
Un ogre de caillou prit place aux côtés de la jeune femme, comme pour lui prêter allégeance. Le Chevalier noir pensa le reconnaître. C’était l’un de ces souverains oubliés, ermite forcé dans les montagnes goronnes. Ses yeux de jais étaient menaçants et méfiants. Mais Astre n’était pas venu se battre, loin de là.
Les deux autres présents, entre autre le parodique guerrier méditatif et un jeune caniche ; le premier avait la main sur le pommeau de son arme, prétendument prêt à jaillir l’épée de son fourreau et à attaquer. Les Phénix sont parfois naïfs ; leur niaiserie fait peine à voir. Astre soupira, un demi-sourire sur ses lèvres blafardes.
« Nous n’avons pas nos cartons, mais je t’assure, nous sommes bien invités. N’est-ce pas, Arkhams ? ». Un peu de moquerie permet d’établir une atmosphère instable et aiguise les violences. D’un doigt maigre et incisif, il pointa son vieux frère.
« Comme vous pouvez le constater, notre ami ici présent s’est libéré de sa prison de bois. Nous n’entrerons pas dans mille détails pour vous conter l’épique histoire de la princesse sauvée par le chevalier servant, mais vous pouvez d’ores et déjà constater de notre puissance. »
Il fit une pause, histoire de reprendre son souffle accéléré par l’excitation. Une main sur le cœur, l’autre tendue en l’air, il s’était rigidifié comme une tortue qui s’enfonce dans sa carapace et ne laisse au toucher que le dur de sa carcasse.
« Nous venons en paix. » Il aurait pu rire de ses propres mots ; d’ailleurs sa voix sembla trembloter lorsqu’il les prononçait. « Nous venons en paix, oui, vous apporter les clefs de la réussite, les clefs de la gloire et du pouvoir, celles-là même que vous aviez détenu il y a quelques années, et que le loup vous a volés, et que le loup les a mangées. » Il avait l’impression d’entonner un poème, une chanson de chevalerie. « Je vous conte ici une ballade des plus tristes, où le Phénix a rendu ses plumes, où son cou maigrichon s’est fait déchiqueter entre les dents des lâches et des vilains, où l’ennemi vous surprend en nombre et en puissance. Dans cette histoire il ne vous reste qu’à trembler de peur devant ces ennemis, qui ont autant de morale que vous n’avez de force. »
Astre se redressa, gardant la raideur de l’oriflamme, enflammé comme une femme, impétueux comme un enfant, sans ces relents de mélancolie de vieillards aux convictions déçues et desséchées.
« Nous sommes les Hérauts des temps nouveaux, les Chevaliers de l’Ordre princier, les Fustigateurs des anciens régimes, les détenteurs du savoir ultime, la perspicacité et l’efficacité, nous sommes la force qui vous manque, vous êtes le nombre qu’il nous faut. Ensemble… tout devient possible. »
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