Posté le 13/01/2013 02:55
Entre ses doigts courraient les lierres qui montaient sur la petite masure du Chef Kokiri. Il avait besoin de ce support pour ne pas s'effondrer. Un genoux à terre, l'autre bien étrangement plié, l'Hylien avait le regard incliné droit sur le sol rendu bouillant par les flammes. Sa respiration se faisait plus ardue à chaque instant, son seul accès à l'air semblait se faire de plus en plus discret. La toux le prit, tandis que sa main droite s'effondrait au sol, pour mieux le soutenir. Une chaleur sourde l'envahissait. Une fournaise qu'il mettait sur le dos de l'incendie qui rongeait la Forêt comme autant de termites s'attaquaient aux fondations d'une maison avant de la jeter à terre. Et en dépit des flammes qui se saisissaient de lui encore un peu plus à chaque instant, il sentait grandir en son coeur une indignation violente. Puissante.
« Tu n'avais pas le droit. », fit la voix d'un peu plus tôt. « Oh, non tu n'avais pas le droit d'entrer dans les Bois. C'est le domaine des Enfants et des Enfants seulement. Les Adultes s'y perdent pour y mourir. »
Il releva tant bien que mal les yeux. La Kokiri était toujours là, mais son visage avait perdu cet air faussement complice qu'elle présentait un peu plus tôt, avant que la fièvre ne pousse le blond à crouler sous le poids et regarder l'humus ravagé. Le faux-Kokiri suait à grosse gouttes. La véhémence avec laquelle il était attaqué n'avait rien de commun aux langues de feu qui léchaient avidement les sous-bois du Domaine du Vénérable.
« Tu sais pourquoi tu as toujours été seul ? », Demanda l'enfant, plongeant des pupilles émeraudes dans les yeux de glace d'un Link en proie à la peur. « Parce que tu es différent. Différent de tout le monde. Et en conséquent, tu seras toujours seul. Les gens comme toi, ça n'a pas d'amis. Oh, non, non, non. Pas d'amis pour ceux comme toi. Mais de toute façon tu ne le regrettera pas tant que ça... »
L'image que renvoyait la fille du Vénérable fut brouillée, dissipée. Comme la tempête sait souffler le sable, et en briser la masse compacte. Il semblait au Garçon-sans-Fée qu'un air qui lui était connu raisonnait dans la Forêt tout entière. Il aurait dit que les pins chantaient la mélodie, que le bruissement du vent siffler la chansonnette. Mais il ne parvint à mettre le doigt dessus. La musique lui offrait un répit qu'il était heureux de trouver.
La Forêt brûle.
Ce constat ne lui faisait rien. C'était comme s'il était déconnecté du monde réel, prisonnier d'une farce qui tournait mal. Et qui promettait de ne pas s'arrêter là. Son palpitant se retrouvait serré. Un poing invisible se fermait dessus et le broyait. La tête lui tourna, il crût un instant qu'il allait vomir. Malgré toute sa volonté, il ne parvenait pas à lutter contre le mal qui s'imposait à lui.
« Link ? » S'enquit-elle, apparaissant juste sous ses yeux. « Tu ne veux plus jouer avec moi ? » La rage s'entendait dans sa voix, la tristesse s'imprimait sur son visage. Un sourire animal et malsain se dessina subitement sur son visage. « Les adultes n'ont rien à faire dans la Forêt, sinon y mourir. » Décréta-t-elle, posant ses deux mains sur son torse.
Un froid qu'il connaissait par trop bien s'empara immédiatement de lui. Il avait combattu des êtres semblables, quand il s'était lancé à la recherche d'Impa après avoir appris le Nocturne de l'Ombre. Mais là encore, tout le savoir qu'il avait accumulé le fuyait sans vergogne ni remord. Il n'avait pas la moindre idée de comment lutter, ne savait pas s'il voulait lutter. Ne s'était-il pas assez battu, déjà ? N'avait-il pas assez donné pour Hyrule ? Pourquoi devait-il toujours faire plus, sans espérer ne serait-ce qu'un sourire en retour ? Pourquoi n'avait-il pas le droit, lui non plus à une vie simple, plutôt qu'à l'existence de nomade qu'il connaissait depuis si longtemps ? Effet pervers de l'esprit qui s'en prenait à lui, Fado trouvait le moyen de remettre en doute les convictions de l'autrefois détenteur du Courage.
La Forêt brûle.
Le Fils-de-Personne se sentait gelé. L'impression que sa vie le quittait, sans savoir réellement s'il voulait y faire quelque chose. Il lui était devenu impossible de réfléchir, de comprendre ou même de s'indigner. La passivité dont il faisait subitement preuve imposait les événements à lui sans qu'il ne puisse tenter de changer le cour de chose. Il n'entendit pas le spectre hurler quand elle toucha le collier de noix qu'il n'avait pas senti le Skull Kid lui passer autour du cou. Pas plus qu'il ne se sentit tomber. Le néant se fit autour de lui et la Forêt continuait de brûler.
"Link, tu m'entend ? Link ?!" Cette nouvelle voix lui semblait si lointaine, mais si familière. Il avait cette envie persistante de lui répondre et de la rassurer. Oui ; il l'entendait. Mais il ne parvenait pas ouvrir les yeux, il ne parvenait pas à desserrer ces lèvres pincées. La pâleur de son teint appelait la mort aussi sûrement que l'argent n'appelait les Pestes Mojos. L'Esprit l'avait laissé dans un état bien sinistre, mais s'en était allé.
Impression de déjà vu. Quelle drôle situation que d'être éveillé par une Fée. Il semblait à l'Hylien que Navi était de retour à ses côtés, quand Galadriel entreprit de lui faire ouvrir les paupières. Son délire n'avait pas durer plus de quelques minutes, et pourtant quand il se redressa, un brin mieux, il put constater par lui même.
La Forêt brûlait. Les Arbres alimentaient sans cesse le brasier infernal et tombaient les uns après les autres. Des rafales dispersaient temporairement la fournaise qui ne tardait guère à se reformer. Et le vent qui faiblissait en puissance finissait même par alimenter le feu.
"La peste..." Souffla-t-il, la main appuyé sur le crâne, reprenant connaissance autant que consistance. Il se releva (n'étant auparavant qu'assis), et jeta un coup d'oeil circulaire. Grondait en son sein un courroux qui n'avait rien d'une colère fugace. Ils paieraient. Au plus profond de lui même, il en était persuadé : l'incendie n'avait rien de naturel, et ceux — celles qui l'avaient déclenché paieraient. Son poing jadis marqué d'un Fragment divin se ferma tandis que le cuir qui le recouvrait grinçait.
Les flammes les encerclaient, l'Enfant-au-masque-de-Crâne s'était caché derrière lui. Link avait conscience que pareille situation devait l'effrayer au moins autant qu'elle ne le faisait bouillir lui. Son regard sévère scrutait le Village Kokiri à la recherche du moindre indice pouvant l'éclairer sur ce qu'il était bon de faire ou de ne pas faire. Mais fumée et danseuses orangées se plaisaient à lui brouiller le chemin.
"Viens." Fit-il simplement au Skull Kid, en l'attrapant par les hanches et en l'amenant à ses épaules. Sans avoir la moindre certitude, il se sentait redevable envers ce gamin qui lui rappelait l'enfant isolé de Termina. Et même sans ça, il n'aurait pu laisser un ingénu dans semblable pétrin. Il glissa un regard à la Fée de Saria, et tant pour ses deux compagnons que lui même, il murmura. « Ne crains rien. Tout ira bien. » Ses jambes qui lui avaient paru si lourdes jusqu'à peu lui semblaient aussi légère que le vent. Ses muscles tendus ne rêvaient que d'une course. Il s'élança à travers les flammes.
La barrière incandescente fut franchie avec plus de peur que de mal. Il y avait sans nul doute laissé des poils roussi et sentirait le brûlé pour quelques heures, mais tout le monde vivait et personne ne souffrait de quoique ce soit. L'Hylien préférait toutefois garder le Skull Kid sur ses épaules jusqu'à avoir retrouvé Saria, peu désireux que celui-ci soit à nouveau frappé par la peur. Galadriel le guida jusqu'à son amie, de telle sorte qu'il n'eut qu'à suivre la petite bille scintillante jusqu'à la Kokiri.
"Saria !" Lança-t-il, portant sa voix au plus loin qu'il lui était possible, quand il aperçut enfin la Sage. « Saria, veilles sur lui, s'il te plait. Je... » Les mots lui manquèrent. Il refusait de laisser brûler sa Forêt, mais il ne disposait que de bien peu de moyen pour lutter contre pareil drame.
Et la Forêt brûlait.