Posté le 24/12/2014 18:32
Il déglutit, non sans une certaine difficulté. Sur sa langue, il sentait encore le goût âpre de l'éther mélangé au jus d'aloès. Le Ceald fit jouer l'intégralité de ses doigts, comme pour s'assurer qu'il pouvait encore les bouger comme bon lui semblait. Certaines de ses phalanges craquèrent alors qu'il envoyait ses ongles chercher le plus loin possible. Autour de lui, la réalité semblait à l'arrêt et pourtant le village était en proie aux flammes. Doucement, alors que s'effondrait une poutre rongée par le feu, il tira une petite fiole de sa besace. C'était la deuxième de la soirée. Une substance à base d'un peu de rebis et d'aconit, qu'il avait pu récupérer dans les Bois Perdus, loin au Sud. Sans un mot, l'étranger déboucha le petit flacon de verre, jetant le liège qui calfeutrait le récipient puis le porta à ses lèvres. Fermant les yeux, il renversa sa tête en arrière, tâchant de boire cul-sec et aussi vite que possible le liquide ambre. Quelques secondes plus tard, le verre explosait contre la pierre qui pavait le mur d'une des masures.
Toujours à genoux, le rouquin jeta son bras contre son visage, logeant son nez dans le creux de son coude. Un frisson naquît au creux de ses reins et remonta brusquement toute sa colonne vertébrale alors qu'une violente quinte le secouait tout entier. Son autre main glissa de sa jambe jusqu'à l'herbe encore humide. Son poing se ferma sèchement sur une motte, alors que le paria palissait doucement. La sueur poissait ses tempes et la toux le ballotait comme la tempête ballote une brindille. L'air vint à lui manquer, alors que le mal persistait. Il lui semblait entendre son coeur battre alors qu'un marteau de guerre martelait son crâne. Bientôt, tout cela cesserait il en était conscient. Mais comme à chaque fois qu'il se retrouvait pris à revers, dépourvu et sans l'occasion de préparer les peintures anciennes, il en venait à se questionner. Et si cela ne cessait pas ? Et s'il s'était trompé lors de la préparation du breuvage ...? La moindre erreur de dosage pouvait le mener tout droit dans les tréfonds et les abysses d'un sommeil éternel. Un de ceux qui interdisaient de franchir la Grand-Porte d'Ifreànn.
Mais, peu à peu, la quinte qui le malmenait jusqu'à lors commença à faiblir. Sa poigne sur l'herbe se desserrait progressivement, tandis que la toux laissait place à une respiration aussi saccadée qu'haletante, mais contrôlée. Relativement, du moins, et certainement plus que quelques secondes auparavant. Son regard demeurait flou, perdu entre deux brins de verdure encore serein malgré le chaos qui régnait partout autour. Doucement, Lanre se releva. Sa main gauche prit appui sur la façade d'une bicoque encore debout et il récupéra la claymore qu'il avait laissé tomber un peu plus tôt avant de commencer à marcher, péniblement. La sangle de cuir passé en travers de son épaule, l'apatride s'extirpa tant bien que mal de l'impasse dans laquelle il s'était fourré. Loin sur sa droite, les morts somnolaient encore sous d'immenses plaques de pierre bien étrangères à ceux de son peuple. Chez lui, druides et guerriers préféraient voir les dépouilles des leurs reposer en mer, ou brûler.
Le maraudeur passa une tête à l'angle, curieux et avide de plus de détails que les quelques informations éparses qu'il avait. S'il n'était pas bien ardu de comprendre que le village subissait une attaque, il aurait souhaité avoir plus à se mettre sous la dent. Qui attaquait lui importait assez peu – il savait pertinemment qu'un nom ne lui apporterait rien – mais l'état dans lequel se trouvait la bourgade l'intéressait déjà plus.
En dépit d'une vue encore embrouillé par une certaine forme de brume, le rouquin distinguait une explosion de couleurs à quelques pieds à peine. Du jaune, de l'orangé, du rouge et... Un noir de suie. Les cris vrombissaient ses oreilles et il sût que doucement mais sûrement, les philtres qu'il avait avalé commençaient à faire effet. Ses mains partirent à l'assaut de la boucle qui maintenait le cor contre sa hanche. Inspirant longuement, il repensa un instant au raid des hommes de Vaal'an sur le hameau qu'ils avaient bâti dans les bois, lui et ses compagnons. Ses lèvres embrassèrent doucement l'embouchure de l'instrument. Un son lourd et puissant envahit l'atmosphère. La corne vibrait entre ses doigts, hurlant mieux qu'aucun homme ne saurait le faire. L'olifant dansait presque dans ses mains, sonnant la guerre, sonnant la mort. La geste qu'il imprimait dans les airs semblait retentir entre les murs de chaque bâtisse, comme si les ruelles et les faubourgs s'improvisaient caisses de résonance immenses, avant de monter vers les cieux. Une seconde fois, il fit tonner le cor. Si d'aucuns dormaient encore, il ne doutait pas qu'il les avait tous tirés du sommeil. Et si ces hommes d'armes qu'il avait déjà fuit à la Citadelle n'avait pas encore vu venir l'assaillant, ils étaient tous prévenus qu'un danger montait sur le village, dorénavant.
La sueur perlait déjà sur son front, quand il rangea l'instrument, scellant les attaches à sa boucle de ceinture. D'un vif mouvement d'épaule, le Ceald fit glisser la lanière maintenant sa lame et la noua autour de sa paume. Un demi-sourire étira ses lèvres, alors que son regard se portait au loin, sur les combats qui éclataient dans les rues. Plus haut, surplombant le village, quelqu'un sonna le carillon au sommet du beffroi. « Buà no bas, Ifreànn ! » Souffla-t-il, légèrement replié sur lui même, épée en mains. Sans attendre, comme porté par l'alarme et les cloches, il s'élança. Si les Wyrms le jugeaient méritant, il les rejoindrait un autre soir. Dans un cas comme dans l'autre, il savait qu'il n'existait que deux issues. La victoire, où la mort. C'était là le tribut du fer, celui du sang.
En quelques foulées, le Ceald gagna la Grand-Place. Çà et là, des corps commençaient à s'amonceler. Un brasier naissant léchait l'armature des demeures les moins protégées et les fenêtres brisées ne se comptaient plus. Si tout Cocorico était loin d'être à sac, les maisons les plus proches du cimetière étaient déjà à feu et à sang. Face à ce spectacle, l'étranger cessa de courir et laissa la pointe de son arme griffer le chemin de terre, marchant d'un pas lent. Il s'accordait un bref instant pour jauger les lieu. Le boulevard était large, quoiqu'encombré par les cadavres et les restes. Des femmes, rousses et à la peau basanée, affrontaient les soldats dans un combat qui lui paraissait bien inégal. Pourtant, il ne s'en soucia guère. Son regard restait indéniablement attiré par un mastodonte qu'il n'apercevait que de dos. Autour de lui demeurait un cortège qu'il ne parvenait pas à concevoir : les mêmes morts qu'il croyait profondément enfouis sous des tonnes de terreau marchaient de nouveaux. Ses doigts se refermèrent un peu plus fermement sur le cuir qui bardait la fusée de son épée tandis que ses sourcils se fronçaient. En son sein naissait un malaise qu'il ne parvenait pas à expliquer. Il n'avait pas peur, non. Loin de là. Il ne craignait pas le trépas, mais le voir fouler la terre des vivants lui serrait le coeur. C'était contre-nature. C'était malsain.
Il renifla en même temps qu'il ne grinça des dents. « Qu'est-ce que t'empestes... ! » Cracha le Ceald, ramenant sa deuxième main sur la hampe de son arme. En un bond, il se jeta sur le colosse, tandis que ses sous-fifres affrontaient les hommes de la Couronne. Il ignorait s'il était possible de tuer les squelettes – seuls les fous essayent de tuer les morts, disait Brieg – mais il savait que l'acier pourrait le percer, le fendre ou le faucher, tout aussi ironique que cela puisse paraître. Le rouquin frappa de tranche, attaquant depuis le profil de la bête. Le premier assaut n'avait rien de complexe : il visait le bassin, par l'avant, dans l'espoir d'immobiliser le géant d'os et d'ivoire. Avant même de s'assurer de la réussite de son coup, Lanre jeta son pied contre celui du squelette. Sa botte, de fourrure et de cuir, était renforcée de fer clouté sur les premières phalanges, l'intégralité de la semelle et sur une ligne suivant le tibia. Jouant sur deux tableau à la fois, le skaald espérait surprendre la créature : s'il ne parvenait pas forcément à la stopper d'un coup d'épée, peut être la plante de son pied – encore suspendu, filant sur le talon de son ennemi – parviendrait à briser quelques unes des articulations de la bête.