Avec dédain, son regard se posa sur l'Elu de Farore.
La garde basse mais les jambes lourdes, elle se prépara à encaisser l'assaut ; si tant est qu'elle le pouvait encore. Si elle avait connu bien des situations périlleuses - bien trop compte tenu de son jeune âge -, celle-ci était de celles dont on ne pouvait être certain de l'issue. Tout autours du quartier se trainaient des corps tantôt inertes, tantôt en passe de le devenir. Les rares femmes des dunes à avoir survécues finissaient de quitter la ville en emboîtant le pas des quelques Dragmires n'étant pas tombés. Seuls les terribles rugissements du Roi des Lézards de Feu transgressaient le silence de la nuit, alors que les bruits d'affrontements et de panique s'étaient peu à peu estompés. Plus rien ne retenait vraiment la Belle de Villarreal ; pourtant, elle ne fuyait pas. Esseulée, sans le moindre objectif particulier, elle s'obstinait dans un combat perdu d'avance. Perdu, parce que déjà par le passé elle n'avait su défaire le Héros. Parce que cette fois, il était accompagné d'un soldat compétent qui se refusait à se laisser mourir. Et parce qu'au fur et à mesure que l'affrontement s'éternisait, elle épuisait ses tours un à un.
Oh ! Il lui en restait bien assez ; les idées ne manquaient pas. Les jambes, en revanche... Sans compter la blessure assez sérieuse qu'elle trainait à la hanche depuis l'embuscade du Fils-de-Personne, ni son nez qui la lançait régulièrement depuis la fracture. Certes, elle avait combattu dans de pires états. Oui ! Mais c'était en repoussant ainsi ses limites et celles de son corps qu'elle avait failli embrasser la Mort. Or, compte tenu des enjeux inexistants liés à la fin de cette bataille, elle ne pouvait se laisser aller à un acharnement stupide. Elle l'avait promis... et elle s'y tiendrait.
Comme un pâle reflet de la combattante qu'elle était réellement, elle ne s'essaya pas à la moindre esquive lorsque l'arrête d'acier percuta violemment sa mâchoire dans un craquement franchement glauque. Son regard abasourdi trahissait la détresse qui l'accompagna alors jusqu'au muret de la fontaine. Sa main, tremblante, en relâcha l'épée-émaille lorsque de la tête elle suivit le mouvement du feu rougeoyant qui parcourait Excalibur. Son porteur, plus habile, plus agile, plus rapide sur cette fin de combat, l'en menaça, et lorsqu'elle sentit la chaleur ardente parcourir son dos, elle comprit qu'il lui coupait là toute retraite. Profitant de ce net moment de domination, il l'humilia définitivement d'un croc-en-jambe qui la fit chuter lourdement sur le sol. Toute la sérénité de la lionne ayant disparu, c'est avec mépris et indignation qu'elle reçut le plaquage du Faux-kokiri.
Tout semblait réglé pour les valeureux royalistes, désireux de capturer une lionne affaiblie et pourtant parfaitement vivante. Certainement pensèrent-ils la victoire comme acquise lorsque, pour parfaitement en finir, un trait noir comme la suie fit gicler le sang de l'assassin en se plantant dans son bras gauche. Ah ! Comme ils devaient être fiers, tous deux, de leur stratégie efficace et sans pitié. Implacables, ils s'étaient offerts un luxe tout particulier : écraser la Lionne Noire. Sauf... qu'aucun des deux protagonistes n'avaient imaginé que Swann n'avait pas été leur unique adversaire lors de cette nuit sans lune.
Par les astres, quelle erreur ce fut.
~
Rocs et gravas continuaient de rouler sur le sol tandis que les cris de panique des soldats royalistes se perdaient en écho dans les travées de Cocorico. Lourdement, la seconde moitié de la façade de la maison s'écroula à son tour, ne leur laissant pas le moindre espoir de survie. Lorsque la dernière pierre fut tombée, Swann s'affala sur le muret de la fontaine, épuisée. Il n'était pas aisé de se défaire d'autant d'hommes armés à la fois, surtout compte tenu de son état douteux. Si son corps ne souffrait pas de blessures mortelles, l'accumulation des combats commençaient à sérieusement peser sur ses performances ; tout comme sa retenue... inhabituelle. L'ancienne douzième de l'Ordre aurait affronter chacun de ses ennemis un à un jusqu'à ne plus pouvoir aligner correctement ses jambes et elle n'aurait eu de cesse de faire virevolter son épée qu'à sa mort. Cette inconscience, ou cette rage, l'avait abandonné le jour où elle s'était trouvé une raison pour ne pas mettre inutilement sa vie en balance.
Son Père le lui avait interdis, aussi devait-elle faire au mieux de respecter sa volonté. Et pourtant, cette fois, il lui semblait que l'adversité était bien trop relevée pour conjuguer victoire et survie. Surtout lorsqu'elle sentit le souffle de ses deux adversaires dans son dos. Esseulée, fatiguée, rien ne pouvait laisser transparaître le moindre espoir. Cette intuition qu'elle avait depuis le début du combat s'était muée petit à petit en une crainte ; désormais, c'était devenue une certitude : elle ne se coucherait pas libre cette nuit. Il lui restait la possibilité de fuir, mais dans son état la garde la rattraperait sans mal dans la lande - et encore, il n'était pas certain qu'elle puisse distancer le Soldat et le Héros. Cette possibilité n'effleura pas même un peu son esprit : trop fière, elle ne pensait qu'à la victoire. Parce qu'elle était Swann Dragmire, la Lionne Noire, incontestée vainqueur du Tournoi d'Aegis. Parce qu'à part un peu de hargne, il ne lui restait pas beaucoup plus après les quelques passes disputées.
Elle la sentit alors ; en elle, une énergie malsaine et terrifiante s'agita. Son corps, réchauffé par cette agitation soudaine, sembla beaucoup plus alerte. Plus fort, aussi. Les Larmes du Clan se réveillaient lorsque dans son esprit résonnaient les paroles du serment qu'elle avait prononcées le soir-même de son entrée réelle dans le clan.
La Belle refréna cette pulsion meurtrière et malfaisante ; si elle se laissait aller à la transformation, elle s'abîmerait davantage (et ses ennemis n'aurait d'autres choix que de la tuer). Pour autant, ces brusques remous ne pouvaient signifier qu'une seule chose : son Seigneur était proche, probablement dans le village même. Swann y vit une opportunité, et sa voix s'éleva, faible mais empreinte d'une douceur toute particulière :
«
Seigneur... », souffla-t-elle. Puis de reprendre, avec un peu plus de conviction : «
Père ! » Elle chercha ses mots, sachant qu'il l'entendait parfaitement, comme il l'avait fais auparavant, à la Forteresse. «
Il est ici, père ! »
D'un regard en arrière, elle s'assura que personne n'approchait. Les cendres et les poussières n'avaient pas finis de se dissiper dans la ruelle.
«
Je peux le battre en notre honneur », dit-elle, levant les yeux au ciel. «
Mais... je suis affaiblie. Beaucoup trop. » Elle marqua une pause, laissant à Ganondorf le temps de comprendre qu'elle ne pourrait fuir avec lui. «
Donnez-moi une chance de le vaincre. »
Des sorciers qui parcouraient Hyrule, Ganondorf était le plus grand ; et ses tours plus spectaculaires les uns des autres incitaient autant de crainte que d'admiration. Ces capacités exceptionnelles ainsi que son imagination débordante laissait croire à Swann qu'elle s'adressait à la meilleure personne possible. Néanmoins, elle sentait du mouvement dans son dos, aussi espéra-t-elle qu'il lui reste suffisamment de force et de puissance pour un dernier mauvais tour en faveur de sa plus fidèle fille. Et très vite, compte tenu de l'urgence de la situation.
Ce fut alors que la Belle sentit un corps, jusque là inerte et dénué de toute vie, bouger sous sa botte droite. Aussitôt eut-elle un mouvement de recul tandis que l'ambre et le gris contemplaient la sorcellerie du Seigneur Noir à l'oeuvre. Elle chercha aux alentours d'autres mouvements, pensant alors qu'il réveillait les morts comme il avait l'habitude de le faire. Elle déchanta en n'en comptant pas un de plus. Presque déçue - car elle ne voyait pas bien comment un seul mort-vivant, plus lents qu'un escargot, parviendrait à l'aider à vaincre deux adversaires aussi coriaces que Link et Abigaël - elle reposa son regard sur la silhouette noire qui se dressait devant elle. Et, doucement mais sûrement, un petit sourire naquit au coin des lèvres de la sombre enfant, alors que les traits sombres de l'engeance se dessinaient.
Un instant, elle ne put que contempler le visage de ce terrible serviteur des ténèbres : le reflet de Swann Dragmire elle-même.
~
Le Héros du Temps ne pouvait que ruminer son échec, alors que le genoux de la véritable Swann se coinçait avec force entre ses omoplates, le forçant à rester au sol, contre le corps du subterfuge sur lequel il s'était rué sans la moindre appréhension. Et pour ne lui laisser aucune liberté, l'épée-émeille se logea dans le creux de sa nuque, dont elle effleura la peau, menaçant de percer chair et os. De sa main droite, elle maintenait parfaitement Dent de Dragon, tandis que de l'autre elle le repoussait contre le sol par le col de sa chemise. L'ambre et le gris parcourait rapidement le reste de son corps, avec lequel il pouvait toujours tenter de se défendre si l'envie d'y laisser sa peau lui plaisait ; elle s'attarda aussi un instant sur le brave tireur, au loin, qui lui aurait arraché un bras sans détours avec son arbalète si elle n'avait pas bénéficié de la fabuleuse supercherie de son roi.
«
Et maintenant, Héros ? » Souffla-t-elle dans une nouvelle provocation qu'on pouvait sentir beaucoup plus fière que toutes les autres. «
Un seul coup me suffit », murmura-t-elle à son attention, menaçante.
Elle mourrait d'envie de le faire, évidemment ! Et pourtant... pourtant la lame ne perçait toujours rien. L'enfant du Seigneur noir déglutit, alors que les traits de son visage s'étiraient. Elle se sentait faible, bien qu'en position de force. Son bras ne bougeait plus, comme bloqué par la fatalité et la futilité d'une telle action ; elle tuerait le Héros, certes. Et après ? Etait-ce aussi pitoyablement que l'on devait éteindre la vie d'un si formidable guerrier ? Son meilleur ennemi, de loin ; lui, il n'usait pas de sorts d'illusion frustrant ; lui, il ne la provoquait pas, restant humble en toute circonstance ; et elle le soupçonnait, si ce n'est sciemment au moins inconsciemment, de l'avoir laissé filer lors de leur première confrontation au Bourg.
Elle en restait sans voix, alors que son souffle devenait de plus en plus faible. Sa blessure à la hanche la lançait terriblement, et dans cet instant de répit qui s'allongeait, ses muscles et ses nerfs se relâchaient. Elle faillit pleurer de honte ; Ganondorf ne saurait la reconnaître. Il lui offrait sa chance sur un plateau d'argent, et pourtant, quand venait le moment, elle ne parvenait pas à conclure. Avait-elle trop d'honneur pour le faire ? Par les astres, non, certainement pas, ou c'eut été bien la première fois. Mais plus elle réfléchissait, et plus elle était convaincue de ne pas devoir achever le travail ; un soldat portant une arbalète, à quelques mètres de là, semblait lui déconseiller d'agir ainsi si elle voulait garder la vie sauve.
Aussi se trouvait-elle dans une impasse, de toute évidence.
A contre-coeur, elle desserra son étreinte et se laissa choir en arrière, dos contre le muret de la fontaine. «
Tu saura, maintenant... » cracha-t-elle à l'encontre du Héros, dégoutée. «
Me défier, c'est défier la Mort », déclara-t-elle en détournant le regard. Elle grimaça de douleur et se tint la hanche qu'il avait amoché, lâchant par là-même Dent de Dragon, alors que son souffle devenait de plus en court et saccadé. «
Quelle poisse ! » Conclu-t-elle avec haine et regret.
[ Ceci conclu donc ma participation à l'évent, merci à mes deux partenaires qui se sont prêtés au jeu :3
Je précise, juste au cas où, compte tenu de la stratégie mise en place dans ce post : tout était préparé depuis le précédent, et j'avais laissé de nombreuuuuux indices (certains beaucoup plus explicites que d'autres) pour ne pas vous léser. Je ne vais pas en faire la liste ici, mais ce sera avec plaisir que je verrais ça avec vous par skype si vous le voulez ! ]