Posté le 01/01/2015 18:07
« Abi'. T'entends ? »
Le roux cessa momentanément de nouer la lanière qui permettait à son armure de tenir à son mollet pour lancer un regard interrogateur à Ad', son frère d'armes et colocataire. Celui-ci avait les yeux rivés à la fenêtre, l'air alerte. Pourquoi l'interrompait-il ? Il n'était jamais en retard, mais la relève n'allait pas tarder, il devait se dépêcher de rejoindre la garde descendante pour commencer à son tour sa patrouille nocturne - raison pour laquelle il se préparait si minutieusement, d'ailleurs... Cependant, l'inquiétude monta chez le soldat, alors qu'il observait l'air grave de son compagnon de vie. Celui-ci avait rarement le visage aussi sombre. Il plissa des yeux, à son tour, le visage tourné vers l'extérieur, et écouta. Si ténu, de là où ils étaient... Mais... Des cris de guerre se faisaient entendre au loin. Alerte ! Quelqu'un s'égosillait au loin. Alerte ! Aler-
Plus rien.
Le sang d'Abigaïl ne fit qu'un tour. Il s'empressa de finir son équipement ; ne lui restait plus que quelques ajustements, et il serait fin prêt pour toutes les éventualités. Les idées fusaient dans son esprit, mais il s'empressa de faire le tri : nul besoin de paniquer, il comptait sortir dans tous les cas. Quelque chose lui disait que sa patrouille risquait de très mal se finir, pour lui comme pour les autres. Mais il était décidé à défendre la ville qui a fini par devenir la sienne.
Ni lui ni Ad' n'avaient été présents, lors du premier raid de Cocorico par les Dragmires. A l'époque, ils venaient tout juste de quitter la Citadelle pour un voyage dans le Sud. Un bref retour au pays natal, dépourvu de tout incident (hormis la brève maladie de la soeur cadette du soldat, Lysabel, qui s'en remettait à peine lorsqu'il la quitta à nouveau pour retourner en milieu urbain.)
Si Cocorico était bel et bien attaqué une seconde fois, ils étaient prêts à donner sa vie pour elle.
Il était prêt.
Il se redressa, vérifia que son armure était solidement ajustée sur toutes les parties de son corps, puis il se tourna pleinement vers Ad'. Il regrettait un peu les ordres qu'il allait lui donner, mais ils n'avaient pas le choix.
« Réveille Nesreen dans sa chambre, et partez tous les deux. Prend Grison 'vec toi. »
Son ami s'emporta au quart-de-tour, visiblement vexé de ne pas pouvoir faire partie du combat. Il ouvrit la bouche, l'air nettement indigné, mais le garde ne lui laissa pas le temps de tergiverser et coupa court à ses protestations en continuant directement : « Je sais que tu te bats très bien, et Nesreen aussi. Mais c't'une réfugiée Gérudo, réfléchis. Je vais pas tuer les siens sous son nez, j'vais pas lui dire de les tuer sous l'mien, et faut la surveiller, sinon elle va rien écouter. Comme toi. » Têtus comme des mulets, pas un pour rattraper l'autre. Mais tant pis. Tout comme Ad' avait fini par devenir son frère de sang, il avait fini par s'attacher à la Gérudo qu'il hébergeait momentanément chez lui, jusqu'à ce qu'elle puisse retrouver sa Reine du Désert.
Il s'équipa avec empressement mais d'une main ferme de Trancheloup, son épée, en attachant le fourreau à sa taille. Puis ses yeux pers transpercèrent ceux, ocre, de l'ex-assassin devenu apothicaire. « J'vous demande pas de fuir. J'te demande d'aller aider l'évacuation. Si c't'une attaque, faut vite emmener les autres en sûreté. Embarque les voisins, ça va être la panique, ils auront besoin d'un type pour les rassembler. A toi de voir si c'est le Mont ou la Plaine le plus sûr, en sachant que la nuit... » Il ne finit pas sa phrase, le temps de s'armer de son bouclier rond, aux emblèmes de la Reine. Sa dague de parade resta soigneusement attachée à sa ceinture, pour le moment ; elle ne pourrait pas le protéger des flèches perdues, et pour l'instant, sa priorité était d'aller retrouver le capitaine de garde du village.
« Tu ne prends pas Grison ? La cavalerie aura besoin de toi. »
Son heaume. Qu'il était bête. A croire que la panique le gagnait, lui aussi. Il retira prestement son bouclier pour pouvoir enfiler le casque, puis il reprit son instrument de protection, d'une main assurée. Prêt au combat. Il ne regardait même plus son ami tant il était concentré sur sa tâche. Mais toujours attentif à ses propos, il répondit immédiatement : « Ca tient pas comme tactique. Je charge à cheval vers la patrouille, tout le monde me suit. J'vais juste tenter de retrouver le capitaine, discret, et suivre ses ordres. »
Le plan était simple, mais le soldat allait s'y tenir. Il voyait bien que son ami rechignait à voir leur route se séparer, d'autant plus qu'il avait toujours été avide de combat. Mais il n'était pas équipé pour la bataille, si bataille il y avait bien, et Abigaïl se refusait à voir un allié mourir si bêtement sous sa juridiction. Il se dirigea vers la porte d'entrée, sous les lourds cliquetis métalliques de son armure. Fort heureusement, une fois à l'extérieur, sous la cohue générale, il pourrait se faire plus discret. Il s'arrêta brièvement à l'entrée, cependant, et lança à Ad' qui s'apprêtait à toquer à la porte de Nesreen : « Si tu crèves, je te tue. »
Cela eut le mérite de lui tirer un sourire. Le grand brun agita un index réprobateur en sa direction, avant de lui répondre sur le même ton : « Ca vaut pour toi aussi, paysan. »
Le coeur étrangement plus apaisé par cet échange, le soldat quitta sa demeure. Son quartier était encore relativement plongé dans le silence, bien que plusieurs têtes pointaient déjà aux fenêtres, les volets ouverts, sans doute réveillées par le boucan qui résonnait à distance. Du seuil de sa porte, Abigaïl distinguait déjà les foyers d'incendie qui se propageaient dans la ville. Bon sang, même vers la maison d'Impa... Le pas ferme mais aussi prestement qu'il le pouvait, il contourna sa bâtisse. Grison hennit en le voyant s'approcher ; son cheval paraissait agité, mais il ne s'attarda pas. Où trouver le capitaine de garde ? Il fallait qu'il se dirige vers le centre des combats. Déjà, des familles sortaient de chez eux, et sur tous les visages se reflétaient la même inquiétude, la même angoisse. Le garde les connaissait, bien qu'ils étaient voisins depuis peu. Il leur lança de loin, sans aboyer trop fort : « Evacuez, tout d'suite ! Restez groupés, perdez pas les gosses ! Allez trouver Ad', il sait où aller ! »
Sans attendre de réponse ou de réaction, il partit. En longeant une ruelle sombre, il aboutit à une place presque déserte. C'était comme entrer en plein coeur de l'enfer : les échoppes étaient dévastées, le feu se propageait. Un foyer immense brûlait non loin, un bâtiment s'était effondré. Des cadavres de malheureux jonchaient de çà et là. Pas de capitaine de garde en vue.
Un homme, pourtant, se démarquait nettement dans le brasier. Un homme, un seul, l'épée dégainée. Flamboyante. Tour de passe-passe - magie - ou effet d'optique ? Abigaïl n'était pas sûr. Mais sa posture de guerrier était parfaite, équilibrée, tendue. Et sa tenue... Bon sang, il le reconnaissait. C'était le Héros du Temps. Plusieurs Gérudos se postaient entre celui-ci et une Dragmire en cotte de maille. Toutes les combattantes du Désert pointaient leurs armes vers l'homme tout de vert vêtu.
Une occasion parfaite. La Dragmire lui tournait le dos. Si Ad' avait été avec lui, il aurait jubilé : le soldat avait la voie entièrement libre, car toutes les forces se concentraient sur le Héros. Sans s'attarder une seule seconde de plus, il s'élança vers la combattante brune des armées du Malin - sans doute une tête, il n'allait pas faire l'erreur de la sous-estimer, jamais.
Des Gérudos pivotaient en sa direction ; trop tard, il était déjà sur elle. Il dégaina brusquement, de la main gauche - côté qui pouvait déstabiliser, il en avait pleinement conscience - et porta déjà un coup de tranche à celle-ci rien qu'en retirant son épée de son fourreau ; le bouclier de la main droite bloquait tout coup susceptible de lui être porté du côté des Gérudos qui ne tarderaient pas à prendre en compte son entrée. Son pommeau heurta la Lionne à la hanche avant que sa lame ne vienne frapper de plein fouet sa cotte de maille, dans le dos cette fois : pas très efficace, mais il avait de la force brute, et comptait sur celle-ci - ainsi que sur l'effet de surprise - pour l'ébranler. Puis, en rapprochant légèrement son bouclier de lui-même pour fermer au mieux toute ouverture possible, il lui porta directement un coup d'estoc au creux des reins.
Son assaut direct rompit la tension qui avait figé les combattants des deux côtés : son arrivée annonçait le début du combat. En attaquant la Dragmire sans répit, Abigaïl avait conscience qu'il avait attiré l'attention sur lui, et détourné celle qui se concentrait précédemment sur Link ; le Héros du Temps était sans nul doute meilleur épéiste, et derrière l'offensive directe du soldat s'esquissait l'espoir de pouvoir créer une large ouverture chez les Gérudos - ouverture que son vis-à-vis saisirait sans l'ombre d'un doute. Tant pis pour le capitaine, pour le rapport, pour la garde descendante : il s'agissait à présent de se battre l'arme au poing, pour la survie de Cocorico.